Betti n’avoit pu , à caufe des vents contraires , gagner
Madagafcar; elle étoit reftée au Sud de Sainte-Marie, à ia
Coupée : elle avoit avec elle deux Soldats que le Commandant
lui avoit donnés pour l’efcorter ; car, comme elle lui étoit
attachée , elle avoit quelques railons de craindre pour elle.
Ce fut de la Coupée qu’elle entendit le canon; n’en pouvant
ignorer la caufe, elle revint fur fes pas; mais tout étoit fait:
la petite garnifon de Sainte-Marie, qui voulut batailler, fut
exterminée. L’ardeur de nos Soldats a pourluivre ces gens
déterminés 8c cachés derrière des huilions, fut caufe qu il en
périt beaucoup, & que ceux qui échappèrent, furent dange-
reufement bleffés; 8c ia preuve que ces Noirs n'en vouloient
qu’au Chef, c’eit qu’ils abandonnèrent bientôt le maffacre;
iis laifsèrent-là tous les bleffés hors d’état de leur nuire, fans
chercher à leur ôter ia v ie , 8c ne voyant plus perfonne à leur
pourfuite, iis fe tournèrent du côté du pillage.
Betti le préfente pour defcendre ; les Noirs lui lignifient
de ne point mettre pied à terre : elle demanda les malheureux
relies des François; on lui répondit quelle pouvoit tout enlever
, tant tués que bielles, & qu’on n en avoit point affaire :
le butin les touchoit de plus près.
Betti enleva donc tous les bielles, alla joindre là mère à
la pointe de Lare'e, & elles eurent Un foin fi particulier de
ces bleffés, que quoique plufieurs le fuffent très-dangereu-
fement, aucun n’en mourut. Des Noirs du pays j qui ne
favoient ni Anatomie, ni Chirurgie, les guérirent avec des
fimples. Qu’arri va-t-il de - là ? on enleva Betti ; on la mena
à,l’Ifle-de-France, pour favoir la raifon de l’attentat commis
contre les François à l’île Sainte-Marie : on fit . un armement
pour aller venger leur mort.
J’ignore fi on commit des cruautés ; je fois feulement que
toute l’île Sainte-Marie, alors bien peuplée, comme je l’ai
dit, par une ancienne race d’hommes qui le diloit venir
d’Abraham, déferta & abandonna fon ancienne demeure ; que
les Noirs allèrent fe réfugier à Madagafcar; que par la frayeur
dont ils furent faifis , ils n’en étaient pas revenus encore en
176 2, quoiqu’il y eût huit à dix ans que cette affaire fût
paffce, 8c qu’ils vifîent que nous les laiffions tranquilles.
Nous; paffomes deux à trois années fons retourner à l’île
Sainte-Marie. On ën reprit encore poffeffron en 1 7 5 4 , après
une fécondé donation que nous en fit Betti qui y avoit des
droits ( voyez Iarticle vingt-deuxième) ; enfin on l’abandonna
tout-à-fait en 176 1 , 8c on fit bien."
Cependant Zanhare ne put conferver les États de fon père;
un Interprète qu’on avoit laiffé à Madagafcar , pendant le
temps que les Vaiffeaux font obligés de difparoître de la côte,
pour chercher un afile contre la mauvaife foifon, fe mit à la
té te du parti oppolë. Le Gouvernement de l’Ifle-de-France,
mal inftruit de ce qui le paffoit à Madagafcar, quoique très-
.voifin, avoit donné trop de confiance à cet Interprète; de
lôrte que pendant trois ans qu’on m’a affuré qu’il y reita, il
ne fit que perfécuter Zanhare, fous prétexte de faire le bien
de la Compagnie; car il me paroît que 'c’était à Madagafcar
comme dans 1 Inde : le prétexte du bien du Commerce a
toujours mis aux Européens les armes à la main pour protéger
un Prince au défavantage d’un autre , làns examiner fi le
Commerce au lieu de devenir plus floriffont, n’en foufffoit
pas au contraire, indépendamment des frais des guerres 8c
de ia perte des hommes.
Quoi quil en foit, cet Interprète, qui éloignoit Zanhare
Tome IL y y y