contrée, avoit toujours coutume de venir du fond de la
province, s’établir au Fort-dauphin pendant la Traite qui fe
faifoit toute en fon nom.
Cette année 1 7 6 1 il n’y vint point. Il avoit eu cette
même année la guerre avec un Roitelet fon voifin ; il avoit
outre cela les mains pleines de nos effets des années précédentes
: il promettait de venir & remettait de temps à
autre; en forte que bien loin de pouvoir charger des Vaif-
feaux, on avoit à peine de quoi fubfffter au Fort-dauphin:
enfin on fit tant d’inftances à Maimbou, qu’il vint en nous
faifant accroire qu’il alloit relier & ouvrir une Traite; mais,
for quelques foupçons, aflez bien fondés à la vérité, même fur
des bruits fourds qu’il ne refteroit pas plus de vingt-quatre
heures avec nous, nous formâmes le projet de l’arrêter. Je
combattis cet avis, & je m’y oppofai autant qu’il fut en moi;
car, outre l’injuftice que je crus apercevoir dans le projet,
il me paroiffoit trop hardi pour une poignée de monde, pour
cinquante François au plus : il étoit en même temps très-
difficile à exécuter ; car Maimbou étoit fort bien efcorté, &
fa cafe étoit à trois cents toifes au moins du Fort.
Son fils, nommé Remas, fut la viétimè facrifiée; car
étant venu nous voir au Fort, pour nous dire que fon père
alloit faire un voyage de vingt-quatre heures feulement, au
bout defquelles il reviendroit ; on fe faifit de lui & on le mit
aux fers. Cet aéle d’hoftilité fit une rumeur étonnante parmi
tous les Nègres qui l’accompagnoient ; ils parloient très-haut
entr’eux, & formoient fans doute le projet de nous forcer &
de dégager leur maître; mais on leur fit dire par un Interprète,
que s’ils faifoient la moindre violence , un piftolet, qu’on
leur fit voir, était deffiné à çaifor la tête à Remas : celui-ci
leur
d a n s l e s M e r s d e l ’I n d e . 521,
^eitr cria lui-même de refter tranquilles &. de s’en aller; ce
qu’ils firent.
Màimbeu, qui n’étoit qu’à trois cents toiles du Fort avec
plus de mille hommes, ayant appris cette aventure fâcheuië,
plia bagage & décampa; fa fuite entraîna celle de tout le
village, qui fe trouva défert en moins d’un quarts d’heure:
toute cette populace fe retira avec Ion Roi une lieue environ
en arrière, & nous reliâmes par conféquent les maîtres du .
fiis.de Maimbou ; cependant 011 s’envoya des députés de
part & d’autre, 011 pourparla on fit.la paix; le Roi nous
promit une Traite abondante. On parla d’ôtages, c’eft-à-dire
qu’il y en eut de donnés de la part de Maimbou ; car il
fut convenu entre les Parties que nous garderions fon fils
& que nous le traiterions bien : on ne lui fit aucun mal ;
mais cet infortuné fut toujours aux fers , & enfin envoyé
à bord dans la Sainte-Barbe, où il refta treize à quatorze
jours. Pendant ce temps, on ne çefla de pourparler ; on
fit très-peu d’affaires; enfin, on finit par être forcé de relâcher
Remas , que fon père nous abandonna fans réferve,
& qu’il favoit bien que nous ne pouvions mener efelave à
l’Ifle-de-Fr'ançe. Nous nous vîmes alors abandonnés preique
totalement ; enfin nous fumes forcés de lever l’ancre faute,
de vivres.
Je paflè fous.filence tout le détail de cette aventure, que
mon intention avoit cependant été de décrire tout au long:
on y auroit vu un tableau parfait du génie de ces peuples;
de la crainte qu’ils ont des Blancs, comme ils nous appellent;
de leur caraétère, qui n’eil, félon moi, ni cruel, ni barbare,
comme on l’a toujours repréfenté.
On. y verroit des traits uniques de probité & de bonne
Tome II. U u u