livres ; ces trois piaftres ou écus de fix livres, fai/oient à
raifort de la valeur de la piafire pour iors, près de foixante
livres tournois; de forte qu’un habit de pagne, en comptant
la façon, revenoit à l’Iile-de-France à près de cent livres, en
l’ayant de la première main ; car fi l’on achetoit l’étoffe à l’Ifle-
de-France, l’habit fût revenu à plus de cent cinquante livres.
Cet habit duroit environ trois femaines, un mois au plus;
mais on ne le portoit propre que pendant les fept à huit premiers
jours : la grande difette d’étoffes dans laquelle on étoit
alors, forçoit d’avoir recours à celle-ci.
Ces pagnes fe font fur un petit métier ambulant, qui fe tend
tous les matins fous un hangard pour être à l’abri du Soleil; le
foir on le détend, & chaque Tifferand emporte le lien dans
fa.cale: il n’y a que les femmes qui travaillent à ces étoffes.
¡Voici en peu de mots la conftruélion de ce petit métier, infiniment
plus fimple & plus portatif que ne font les nôtres, &
qureft à peu-près le même que celui des Indiens de Pondichéry,
11 eft vrai qu’on n’avance pas beaucoup, & qu’un pagnejtlç
quatre à cinq aunes, refte un mois ou même fix femaines à
être fini; mais ce métier eft proportionné au génie de ces
peuples, qui font lents & parelfeux ; dont les befoins fe réduifent '
à très-peu de chofe, & qui ne peuvent point être tourmentés
de la foif d’amaffer des tréiors, qui ne feroient pas long-temps
en leur pouvoir, puifqu’ffs exciteraient bientôt Ja cupidité des
Chefs à s’en emparer,
Les montans du métier ne font autre chofe que des lattes
de bambou, polànt fur de petits piquets enfoncés en terre
ou dans le fable ; tous les fils de la trame font fortement liés
& attaches a un bout du métier, fur une traverie faite également
de bambou & attachée fur les lattes, &. vient rçpofer
dans
dans toute fa longueur fur de pareilles traverfès, placées de
diftance en diftance fur les autres lattes.
A la place de navette, le Tifferand fe fert d’une eipèce
d’aiguille ou de flèche, faite de bois, longue de quinze à
dix-huit pouces & groffe comme le doigt ; elle eft évidée : le
r e m p ü f l a g e eft entortillé autour de cette aiguille dans le fens
de fa longueur. Avant que de paffer la flèche ou aiguille dans
fa trame, ils défont plufieurs tours de leur fil ; puis lorfque l’aiguille
& le fil font paffés, le Tifferand a grande attention de le
tendre un peu, & d’examiner à droite & à gauche s’il eft bien ;
s’il le juge mal, il y remédie : il prend enfuite une règle, longue
d’environ une aune, aplatie en forme de lame de fabre; cette
règle fait l’office du peigne, & fert à ferrer la couverture : ils
conduifent cette règle de chaque côté avec les deux mains, &
en la retirant toujours à droite, iis la font poiër un bout fur une
traverfe mife à côté d’eu x, l’autre bout fur la toile ; de cette
façon, ils l’ont toujours à leur difpofition.
Le Tifferand s’affied fur une petite banquette, & il roule,
à mefure qu’il la travaille, la toile autour d’une pièce de bois
carrée, qui répond à la poitrinière de nos Tifîèrands; cette
pièce de bois carrée a un trou à chacun de Ces bouts , & elle
entre par ce moyen dans deux forts pieux de bois ferrés
par le bout, qui reftent toujours en place.
Le même fil dont la pièce eft compofée, fert auffi à faire
les lames. Il leur faut une patience fingulière & unique, pour
nouer ces fils & pour en former les lames.
Il ne leur en faut pas moins pour former l’ourdiffure &
le rempliffage de l’étoffe ; car ces fils, qui font les branches
d’un arbre qui eft une efpèce d’aloès & qu’ils nomment raffia,
ont au plus une aune de longueur : il faut nouer ces fils les
Tome II. A a a a