font beaucoup de bouches à nourrir ; d’ailleurs , il 11e règne pas
tout-à-fait tant d’économie dans les vaiffèaux Efpagnols que dans
les nôtres, & les tables de nos Vaiffèaux font malgré cela plus abondantes
; ce qu’on deffert de la table du Capitaine dans les vaiffèaux
Efpagnols n’eft plus fervi, pas même à l’office pour les domeftiques,
on leur donne toujours des plats neufs. De plus, les beftiaux de
votre Ille , les volailles , &c. accoutumés à un ciel bienfaifant,
doux & tempéré , ne purent fupporter plus long-temps ces parages
froids & orageux que nous venions de quitter ; tombés comme
fubitement dans ces vilaines contrées, ¡1 nous' en périt un grand
nombre; les poules réfiftèrent un peu davantage. Vous fetitez,
Moniteur, combien dans une telle circonilance les calmes qui fur-
viennent font redoutés. Plufreurs des religieux Auguftins que nous
tranfportions à Manille, firent des prières à faint Jean Népomucène
pour en obtenir du vent; quelques-uns même les écrivoient fur des
petits morceaux de papier, les adreffoient à ce Saint & les jetoient
à la mer par les fabords, qui leur fervoient auffi de fenêtre.
J’ai remarqué, Monfîeur, que les Damiers nous quittèrent i
3 o degrés & quelques minutes de latitude ; nous les avions trouvés
au même degré , de forte que ces oifeaux ne "vont pas jufqu’aa
Tropique; il femble qu’ils aiment les vents' d’Ouell & que l’odeut
même des vents généraux les chaffe & les empêche d’approchei
de fes limites.
Le Paille-en-cul eït tout-à-fait differeht, jar il ne paffe pas le
Tropique. II feroit peut- être curieux de lavoir jufqu’à quelle latitude
on trouve ces Damiers.
■Nous nous trouvâmes, le 23 Juin, par la latitude desTriaîles
à 12 5 degrés de longitude ; les cartes les mettent a 119 degrés.
Pendant la nuit on courut un petit bord au large dans la crainte
de les rencontrer. Nous paffames la journée entière du 24 fans
rien voir. Ce que je trouve, Monfieur, de plus fingulier, c eft
de n’avojr point vu d’oifeaux qui font un indice certain de terres
ou de rochers ifolés. Nous vîmes deux Pàille-en-cul ; mais vous
favez que ces oifeaux vont fouvent à cent cinquante lieues de leur
nid, & que cela ne les] empêche pas d’y retourner coucher tous
les loirs , fi ce n’eil qu’ils aiment fouvent mieux, pour leur commodité
, paffer la nuit fur le haut des vergues des Vaiflèaux qu’ils
rencontrent, ce qui les dilpenlè de faire cent cinquante ou deux
cents lieues pour regagner leur gîte. <2uant aux Tríales, je fais que
quelques perfomies doutent de leur exiltence ; cependant M. d’Après
dit qu’elles font marquées fur les cartes Angloifes, & que c’eft affèz
pour s’en méfier.
Le 2 Juillet nous vimes la terre, c’étoit l’île de Java : nous nous
eltimions à 129 degrés & demi de longitude. Nous attérimes fi fort
à I’Eft, que nous ignorions quelle partie de l’Uïe nous voyions ;
mais nous étions fûrs du détroit, où nous arrivâmes le 7, & dans
lequel nous entrames dans l’après-midi.
II eft fingulier, Monfieur, comme les terres changent l’état
de l’air : pendant le temps que nous avons été dans la lifière des
vents généraux, nous avions eu les plus beaux jours ; à peine
eumes-nous la vue de Java que la fcène changea fubitement : ce
furent alors des temps affreux, des orages très-fréquens, & fur-tout
des pluies que vous pouvez comparer, pour en avoir une idée, à
ces averfes que j’ai quelquefois vues à Saint-Paul former ces belles
& magnifiques cafcades qui vont augmenter votre étang.
L ’île de Java eft très-élevée vers fon milieu; là grande hauteur
doit arrêter le cours des vents généraux de Sud-eft qui tombent
obliquement fur cette partie de l’Ifle ; par la railon de cette grande
hauteur de fille, elle arrête les vapeurs & les nuages d’où fe forment
ces orages , ces tonnerres & ces pluies que nous effuyames : les
vents étoient toujours foibles, & nous en avions fouvent de terre.
Au Nord de. l’Ifle, dans le détroit, on a le plus beau temps du
monde dans cette làilon.
Le 3,, nous vimes une Ifle que nous reconnûmes-pour file de
Combang, & le 5 on vit la pointe de Vigneroux.
En fuppolànt la pointe de Vigneroux exactement connue, la
route de notre Vaiflèau réduite à cette pointe, nous auroit donné
cinquante lieues de différence Oueft.
Tome II. È e e e e