J ’ai remarqué dans cet efpace de mers un phénomène fort iingulier,
& qui ne me paroît pas aifé à expliquer.
Nous avons eu*quelques vents forcés du Nord à l’Oueft-nord-
oueft ; °r > ces vents nous furent toujours annoncés par Une greffe
lame, qui fe faifoit voir quelques jours avant, non du même côté,
mais de l’Oueft ou du Sud-oueft; & j’ai bien remarqué que plus ce
vent de Nord.-oueft étoit fort, plus la lame du Sud-oueft avoit
été greffe.
Je n’aurois peut-être pas fait attention à ce fait, fi M. de la Londe,
ancien Capitaine des Vaifleaux de la Compagnie des Indes, ne m’en
eût fourni l’idée; iï m’a dit a bord de 1 Indien, ou il etoit pafîager
comme moi, qu’étant.au cap de Bonne — efpérance, mouillé, une
groife houlle du Sud-oueft, qui dura û i ou deux jours, lui fit
craindre un coup de vent de cette partie de l’horizon ; mais qu’à la
place il y eut un coup de vent de Sud-eft des plus vioiens.
Nous allâmes jufqu’au Tropique fans trouver les vents généraux
& alifés, qui s’étendent cependant, félon Halley, jufqu’au vingt-huit
& même jufqu’au trente - deuxième degré. Nous ne les trouvâmes
véritablement déclarés qu’aux environs du vingt-unième degré ; ce
qui fait une zone de deux cetjts lieues de différence.
Les calmes & les vents variables que nous avons reflentis aux
environs du Tropique, font donc remarquables, tant au-delà de
ce Tropique qu’en-deçà: il nous venoit à la vérité quelques brilês
de Sud-eft affez fraîches ; mais on voyoit qu’il y avoit un agent
plus puiffant qui les repouifoit, les faifoit fubitement tomber pour
dominer à leur place ; & alors foufHoient les vents de Nord-oued
au S u d -o u eft, accompagnés. d’une greffe iame du même côté,
avec des fautes fubites comme au cap de Bonne-efpérauce.
Tous les foirs & tous les matins, on remarquoit que les nuages
étoient peints de couleur de feu vif & enfanglantés, fignes certains
des grands vents variables du Nord-oueft au Sud-oueft : les nuages
perdirent ces couleurs fitôt que ies vents de Sud-eft fe déclarèrent,
qui d’abord furent très-foibfes.
Je crois, Monfieur, que tous ces vents forcés & paffagers, ces
bourrafques & efpèces de coups de vents que nous avons reflentis
aux environs du Tropique, la où nous devions avoir des vents de
Sud-eft, font une fuite & une influence de l’hiver qui règne alors
au cap de Bonne-efpérance & au-delà, qui dérange & écarte ies
limites des vents alifés en ies rapprochant de ia Ligné; le Soleil
étant alors ( çn Mai & Juin 1 fi enfoncé dans la partie du N ord,
que fon aétion ne peut pas fe faire fentir avec toute fà force jufqu’au
tropique du Capricorne , comme s’il étoit dans la partie
auftraie, ce qui doit durer jufqù’en Septembre ou Oélobre , qui
eft le printemps de ia partie auftraie du Globe.
J ’ai vu l’île de l’Afcenfion ; & nous paflàmes la Ligne du 4 au
5 Juin, par 25 degrés de longitude : nous allâmes jufqu’au dixième
degré de latitude avec les vents de Sud-eft ; alors nous eûmes ceux
de N o rd -eft, qui nous menèrent jufqu’aux Açores où nous trouvâmes
les vents variables de la partie del’Oueft; mais il me paroît
qu’en été , on rencontre encore fouvent des vents de N ord-eft
entre les Açores & l’Europe, car nous fumes bien contrariés par
ces vents.
Nous eûmes des nouvelles d’Europe fous le tropique du Cancer,
par un vaifleau Anglois que nous arraifonnames ; mais nous n’en
approchâmes pas moins ies côtes d’Efpagne avec la plus grande
précaution, à caufê des vaifleaux Afriquains ou Maures , Commô
Vous voudrez les appeler, que les Efpàgnols me paroiflent craindre
de rencontrer: nous en vimes quelques-uns depuis les Açores jufqu’au
cap Saint - Vincent ; mais aucun n’a ofé nous montrer feulement
les dents.
Le 3 1 Juillet nous vimes, à cinq heures du foir, lé cap Saint-
Vincent : à dix heures, nous en étions Nord & Sud & à cinq lieues;
o r, par le rumb de vent que nous fuivimes, nous aurions dû nous
trouver le matin, à huit heures, au cap Sainte-AIarie ou au phare,
c’efl-à-dire fort près de ce C ap, puifque ia route "nous y menoit ;
nous trouvâmes au contraire que cette montagne nous reftoit au
Nord-oueft-quart-nord, à fix lieues de diftance; II eft donc confiant
que nous fumes entraînés félon une direélion qui va dans le détroit