pour cet effet piufieurs’ nates fur le plancher, & tout le
monde fe couche deflùs, tant hommes que femmes, les uns
à côté des autres; en ce cas, dort qui peut. Ils ont auffi
à Manille un fecret admirable pour fe procurer des rendez-
vous : tout le monde fume, les femmes comme les hommes ;
on a pour cet effet des bouts de tabac faits exprès, de
quatre, cinq à fix pouces de longueur, plus ou moins, & gros
comme le pouce, un peu plus, un peu moins ; on l’allume par
un bout, & on le tire par l’autre, en le tenant entre fes dents
ou fes lèvres, comme 011 feroit une pipe ; 011 rencontre
rarement dans les rues des femmes, for-tout de Moeftices,
fans un tabaco à la bouche : les hommes qui cherchent des
rendez-vous en ont auffi un, mais toujours éteint; lorfqu’ils
rencontrent une femme qui leur plaît, iis l’arrêtent, & ils lui
demandent la permiffion d’allumer leur tabaco; la femme, fans
aucunes façons, prend le fabacù, l’allume avec le fecours du
lien ; pendant ce temps, 011 lie une converfation que la femme
peut faire durer tant qu’elle veut; cela dépend du plus ou
moins de temps qu’elle emploie à allumer le tabaco.
Les Prédicateurs crient encore beaucoup contre cet ufàge,
mais inutilement; au forplus, je ne penlè pas que dans le
Tribunal de la Pénitence on foit fort ridicule fur tous ces objets ,
& fur bien d’autres que je fopprime ; car il n’eit pas rare d’y,
voir des Eccléfiaftiques avoir des enfans : j’y ai connu un Prêtre
fort régulier & très bon Eccléfiaftique, qui en avoit deux,
c’étoient deux filles de dix-fept & d e dix-huit ans, fort jolies
& très-bien faites ; elles étoient au Couvent, & elles venoient
quelquefois voir leur père : ce fut chez lui que je les vis
& que j’en fis la découverte.
yinquifition, comme je l’ai dit, lailîê au moins le*
Man ilois tranquilles fur ces objets ; & pour peu qu’on
n’offenië point les Moines, qu’on porte un Scapulaire, un
Rofaire au cou, qu’on récite celui-ci deux fois par jour ,
matin & loir, qu’on entende la Meiîè tous les jours, on eft
abfous à Manille fur bien des points ; c’eft - là à peu - près
tout le culte extérieur des Manillois; on n’y voit point,
comme en France, les églifes pleines d’ames pieufês affiftant
â la Grand’Meffe paroiffiale & aux Vêpres; les églifes font
défertes dans ces heures deftinées cependant par l’Eglife à la
réunion des Fidèles : prefque perfonne ne va à la Grand’-
Meiîè, encore moins à Vêpres.
Leur jeûne, pendant le Carême & autres temps ordonnés
par l’É gliiè, n’eft pas non plus fort auftère à Manille,
puifqu’ils déjeûnent, dînent, goûtent & font collation.
Cet ulage me furprit fingulièrement en arrivant; je crus
dans le commencement qu’il n’étoit que chez des perfonnes
peu fcrupuleuiès, mais je ne fus pas long-temps fans voir
r qu’il étoit général.
Je paffois le plus ordinairement mes foirées chez le P.
Don Eftevan Roxas y Melo ; chaque maifon de Manille a
le foir, la compagnie oufociété, que l’on appelle tertulia ; le
Chanoine Melo avoit la fienne, elle étoit très-bien compolee ;
fouvent le Commiflàire de i’Inquifition s’y trouvoit ; j’appris
bientôt aflez i’ElpagnoI pour prendre part aux converiàtions
& pour répondre aux queftions qu’011 me faifoit fur nos ufages
& coutumes. Vers iesfix heures du foir, on fonne Y Angélus
en même-temps dans toutes les églifes ; la Cathédrale commence
, & au même moment toutes les églifes répètent ;
chacun alors dit l’Angélus ; les palîàns font obligés de s’arrêter
dans les rues ou ils fe trouvent pour le réciter; immédiatement
P i j