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point qu’ils n’ofent pas tirer un coup de fufil, ou lorfqu’Hj
tirent, la peur leur fait écarter le fufil loin d’eux; vifant alors
comme ils peuvent, iis lâchent leur coup, qui porte toujours
en l’air & fort haut, & dont ils font enfuite tout effrayés : ils
font beaucoup plus adroits de la fàgaye, qu’ils lancent horizontalement
& fort jufte, à la diftaiice de plus de vingt pas, &
prefque avec la vîtefle d’un trait.
Malgré la crainte générale de ces peuples à tirer des armes
à feu , on en voit beaucoup de très-adroits, & nous en avions
toujours deux à trois de cette efpèce à notre fervice pour la
chafle, qui nous entretenoient de gibier.
Ces Noirs, lâches. & poltrons à Madagafcar, tranlpiantés
dans nos Colonies, deviennent courageux, bons guerriers
& le battent très-bien ; il n’eft queftion que de les conduire
& de les foutenir, n’étant pas capables d’aller d’eux-mêmes
au feu, car ils fe débanderoient ; mais étant foutenus, ils
avancent fans reculer : ils furent du plus grand fervice à M. de
la Bourdonnaie dans fon efçadre ; ils faifoient très-bien l’exercice
du canon, & fe comportèrent bravement dans fon expédition
contre les Anglois.
Il me paroît bien fingulier que dans tout Madagafcar, l’ulâge
de l’arc & de la flèche ioit tout-à-fait inconnu, pendant qu’on
le trouve parmi toutes les Nations fauvages; & pareillement
chez les Caffres ou Noirs Mozambiques , fi voifins des Made-
càffes, qu’il n’y a que le canal qui fépare ces deux peuples.
Le fer de la fagay-e, à la baie d’Antongil, eft beaucoup
plus petit, & il approche plus de la flèche qu’au Fort-dauphin.
Les habitans de Madagafcar font très-carnaciers ; malgré
cela, ils ne peuvent pas manger beaucoup de viande, fur-tout
au Fort-dauphin, parce que perfonne, hormis le Roi & les
Chefs, n’a la permiflion de tuer ni poules , ni boeufs. Je
trouvai très-fingulier de me voir dans un pays où les Rois,
les Chefs 011 Seigneurs des villages, étoient les feuls bou-
chers de l’État I ce font eux en effet qui mettent le couteau
dans la gorge de la bête : le peuple ne mange de viande au
Fort-dauphin, que quand ceux-là leur en donnent, ou que
quelque Blanc ( Européen ) leur en tue.
Ce pouvoir, du temps de Flacourt, étoit feul entre les
mains des Rohandrians dont j’ai parlé dans l’article précédent;
cette cafte étant éteinte, les Chefs noirs, qui font reftés les
maîtres, ont confervé ce droit fauvage. J’ignore la façon dont
ces Chefs apprêtent ou font apprêter la viande; mais voici
l’ufage des peuples: ils coupent le boeuf par petites bandes, en
y laiffant la peau; mettent ces bandes à une petite broche de
bois, qu’ils enfoncent dans la terre en l’inclinant un peu du
côté du feu, & ils la retournent de temps en temps ; lorfe
qu’elle eft cuite , ils mangent cette chair avec fa peau, tout
enfemble, fans aucune diftinciion : ils ont une qualité remarquable
, celle de fe partager exactement entr’eux ce qu’ifs
ont à manger, en quelque petite quantité qu’il foit; & s’il
furvient quelqu’un avant qu’ils aient fini, ils partagent encore
avec lui ce qui leur refte.
Les peuples ne font pas fi efclaves à Foulpointe & à la baie
d Antongil; car ici, tue des poules qui en a ou qui peut en
avoir ; ils en font des efpèces de fricaffées qui font très-bonnes,
qu ils nomment ro, & dont j’ai fouvent- mangé avec plaifir :
ils caflent la poule par morceaux, la L'ont bouillir avec de
l eau, du fel, de la graine ou feuille de ravend-fara, épice
excellente, jufqu’à ce que la viande foit bieji cuite, & le
bouillon épais & gras.