loin ; toutes ces caufes font que la tête s’échauffe, & la folie
luit. Prefque tous les Religieux qui paffent aux Philippines
y arrivent jeunes ; parmi dix - fept Augultins qui étoient
à bord du Bon-co f e i l , il n’y en avoit que trois à quatre
qui fuifent Prêtres, les autres étoient Etudians & nouvellement
engagés dans l’Ordre.
Quant aux femmes, leur incommodité naturelle pourroit,
dans un certain âge, contribuer à la folie, dont quantité fe
trouvent atteintes.
Les Eipagnols., comme je l’ai déjà dit, uiènt beaucoup
de chocolat & peu de café, l’un vient chez eux & l’autre eil
apporté du dehors, & par cette raifon plus cher ; ils ne fe
mettent point en peine de cultiver le café, quoiqu’ils l’aiment
tous aifez généralement. Il viendroit certainement bien aux
Philippines, mais je doute qu’il fût de bonne qualité, parce
que le café ne veut pas un climat trop humide. Lorique les
Efpagnols font des repas on donne toujours le café à la fuite,
& peridnne ne le refufe, on voit même qu’il plaît à tout le
inonde, & que chacun fè fait une fête d’en prendre; ils
difent qu’il eil bon d’en ufer de temps en temps comme du vin,
mais que l’ufage journalier n’en vaut rien. Jufqu’à préfent,
perfonne n’a eflàyé de cultiver cet arbre aux Philippines,
je n’en luis point étonné; il y a près de deux cents ans
qu’ils font en poiïèffion des Philippines, & il n’y en a pas
plus de foixante que le chocolat y eil commun, & encore
devient-il rare aujourd’hui, même dë leur propre aveu.
Les Tagalos, comme tous les peuples orientaux, ne font
point inventifs; mais généralement parlant, ils apprennent
avec beaucoup de facilité toutes fortes d’Arts, & , femblables
aux Chinois, ils imitent parfaitement bien tous les ouvrages
d a n s l e s M e r s d e l ’ I n d e . 131
qu’on leur met devant les yeux ; on voit parmi eux d’exceilens
Écrivains qui rempliffent, les places des Contadories, des
Tribunaux, & les Secrétariats ; il y en a eu qui étoient
devenus affez adroits pour remplir, par intérim, les premiers
offices de la Contadorie ; d’autres fervent fous les Alcades-
majors, en “qualité de Directeurs, & s’acquittent de leur
commiffion avec beaucoup d’intelligence ; d’autres ont beaucoup
.d’adrelfe pour conduire des procès; mais on prétend
qu’ils entendent auifi l’art de les embrouiller, & qu’ils les
rempliffent de tant de fubtilités qu’on 11e peut plus venir à
bout de les juger. Le Tagalo eil très-pareffeux, il n’a nulle
ambition, nul defir d’augmenter fon bien-être; auffi vit-il
dans la plus grande médiocrité, ou plus exactement dans la
misère ; fon unique foin eil celui de tenir à manger pour le
jour préfent, fans fe mettre en peine pour le lendemain; s’il
a un peu d’argent, il fe donne du bon temps tant qu’il dure:
ils aiment tous paffionnément le violon & la danfe, ils ne
-celîènt d’en jouer & de danier , jufqu’à ce qu’ils foient réduits
au dernier liard, après quoi la misère les force de reprendre
le travail.
Ils ont un goût finguiier pour les vers & les représentations
de Tragédies ; on les voit repréfenter, en liiànt, comme s’ils
étoient fur un Théâtre. A Manille, où ils entendent tous
très-bien le Caitillan, il s ont traduit & mis en vers dans
leur Langue, des Pièces efpagnoles.
Je ne fais fi ce fut une pareille Pièce que je leur vis
repréfenter en i,y 6 6 , pendant les fêtes de Noël; elle nous
fut annoncée fous le titre de Tragédie ; elle étoit dans leur
Langue, en Tagalo : ils avoient, pour la repréfenter, élevé un
théâtre fort adroitement conftruit, je fus même fort étonné 11