abordèrent il y a environ quatre-vingts ans, à l'île Luçon,
dans une barque toute délabrée & manquant de tout; je les
ai vus en 1 7 6 7 , ils etoient, je-crois, au plus foixante à
foixante-dix perfonnes, &tous Chrétiens; mais la forme du
Gouvernement ne leur plaifant pas, fans doute, ni peut-être
l ’Inquifition, ils avoient demandé à s’en retourner; & en
efîet ils partirent tous, ou preique tous, cette même année
1 7 6 7 , Sc s en retournèrent au Japon, où iis ont vraifem-
blablement repris la foi de leurs pères.
A 1 égard des Noirs de la fécondé claflè que rencontrèrent
les Elpagnols en arrivant aux Philippines, voici ce qu’en
porte la tradition : elle dit que ces Noirs étaient anciennement
les poifeffeurs de toutes ces Iiles, & fur-tout de Luçon, que
les Nations policées des royaumes circonvoifins étant venues
à faire la conquête de cette Me, ces Noirs, s’enfuirent & fe
retirèrent dans les montagnes, & qu’ils les ont peuplées ;
on n a jamais pu venir à bout de les exterminer ni de les
détruit e , parce que 1 affiette des lieux qu’ils occupent eil
impénétrable, & quoiqu ils ne fuiîent pas capables de réfifter
a leurs ennemis a force ouverte, ils les harceloient & les
incommodoient beaucoup ; car étant maîtres des montagnes ,-
des bois & des deffilés, ils faifoient des incurfions fubites
dans les campagnes & les villages, & les obligeoient à leur
payer tribut, comme Seigneurs du lieu; fi les villages refu-
fo ie n t ils égorgeoient à droite & à gauche, & ils fe payoient
eux-même, en têtes coupées, du tribut qu’ils demandoient :
à iatrivée des FJpagnols, ceux-ci s’étant emparés des provinces
de id e de Luçon, les villages trouvant un appui
dans ces nouveaux Conquérans , & fe voyant en fureté contre
ces. montagnards,, leur refusèrent plus hardiment le tribut:
ces Sauvages s’ameutèrent alors, donnèrent dans une peuplade,
enlevèrent trois têtes, & blefsèrent un Efpagnol qui défendoit
le village ; & il n’y a pas plus de cinquante à foixante ans
encore que ces Noirs defcendoient des montagnes exigeant
le tribut, & ils ne s’en retournoient jamais fans
emporter avec eux quelques têtes ; ce qui leur eil d’autant
plus facile que tous ces différeras villages font fans défenfès,
& qu’il n’y a point ou prefque point d’EfpagnoIs dans ces
villages; les Moines en étant, pour ainfi dire, les feuls
maîtres.
Anciennement ils ne leur permettaient pas même d’aller
chercher du bois à feu, ni d’aller à la chalfe dans les montagnes,
ni à la pêche dans la partie des rivières voifines de l’origine des
montagnes ; étant fort adroits dans l’arc & la flèche & fort agiles :
connoifîànt d’ailleurs parfaitement les. détours des montagnes,
& fe cachant dans i’épaiiîèur des forêts, ils tuoient à coups de
flèches tous ceux qui approchoient de leur domaine.
Pour fe racheter d’une pareille fèrvitude, les villages &
les peuples voifins de ces Noirs, pafsèrent avec eux un paéle,
félon lequel ils confenroient de leur payer un certain tribut,
pour avoir la jouiifance libre des champs & des rivières ; quoique
ce paéle n’ait plus tant de force aujourd’hui; on m’a alfuré
à Manille qu’ils le fui voient encore, & que n’étant pas les plus
forts, iis prenoient le parti de diffimuier, tous ces villages qui
bordent les montagnes étant fans défenfes : il n’y a point
d’Elpagnols fi loin de Manille, les Religieux qui adminiflrent
ces différentes peuplades en étant les maîtres, font les feuls
défenfeurs qu’elles aient.
Ces Noirs, d’après la defcription qui m’en a été faite,
ont une couleur vive, la plus grande partie à cheveux épais