
Tous les criminels qu'on tranfporte font envoyés
au lieu de leur exil en automne & au
printems. Ils font conduits en partie par eau,
en partie par terre, enchaînés deux à deux, &
attachés à une longue corde. La nuit on les loge
dans des maifons réparées, & ils font gardés
par les foldats qui les accompagnent. Quand
toute la bande eft arrivée à Tobolsk , le gouverneur
diftribue ceux qui favent des métiers à
divers maîtres de la ville , il en envoie d ’autres
travailler comme efclaves à la campagne. Le relie
eft conduit jufqu'à Jrkutsk , & le gouverneur en
difpofe de la même manière. Ceux qui ont été
condamnés pour crimes capitaux font envoyés
aux mines d'argent ou aux forges de Ners-
chink.
Les voyageurs qui ont été en Rujfie avant le
règne d’Elifabeth , conviennent tous de la févé-
rité exceflive des divers genres de fupplices qui
y étoient en ufage. Mais, dit M. Coxe , » quoique
nous nous joignions à tous les amis de l'humanité
pour nous féliciter de ce que plulïeurs de
ces fupplices ont été abolis, nous ne faurions
foufcrire aux éloges donnés à la fupériorité du
code pénal établi par l'édit d’Elifabeth que l'on
fuppofe avoir entièrement fupprimé la peine de
mort dans tous les cas , excepté le crime de haute
trahifon. *>
a» Cette ordonnance d'Elifabeth a donné lieu *
non-feulement à l'ingénieux Voltaire, mais même
au judicieux Blackftone, de citer cette princefle
comme un modèle de clémence en matière de
légiflation ( i) . Cependant quoique on ne puifle
nier que la peine de mort ne foit infligée trop
fréquemment dans plulïeurs pays, on peut afîurer
que les modifications apportées aux loix criminelles
par l'édit d'Elifabeth ne font pas moins
défe&tfeufes quant à la convenance , qu'illufoires
qùant à l'adouciflement des peines qu'on fuppofe
en être l'effet. »
» A les confidérer d’abord du côté politique
& de la convenance, quand nous fuppoferipns
avec les auteurs cités , que cet édit a été obfervé
a la lettre, &r que pendant quarante ans aucun
criminel n'a fubi la peine de mort dans toute
l'étendue de la Ruflïe , on ne pourroit confidérer
cette douceur exceflive quand il s'agit de crimes
atroces , que comme une injure des plus graves
envers la fociété. En rompant cette barrière de
la crainte de la mort, la plus forte fans doute
qu’on puifle oppofer au crime, on détruit la
fauve-garde la plus fûre dés vies & des propriétés
des bons citoyens , & on affoiblit chez eux ce
fentiment de fécurité qui naît de la feule protection
des loix & qui les attache à la patrie. »
Nous avons difcuté à l'article Peines cette
grande queftion, des avantages ou des inconvé-
niens dé la peine de mort. Voyez cet article.
M. Coxe ajoute : » quant à l’autre obfervation
fondée fùr ce que cette clémence tant admirée
n’eft qu’une clémence apparente & illufoire , ce
n’eft pas une affaire de fpéculation qui puifle être
concertée, c'eft une vérité fondée fur des faits
indifputables. En effet, quoique les loix pénales
de Rujfie ne permettent plus de prononcer ex-
preflement la peine de mort contre les criminels,
ils la fubiflent fouvent par le fa it, puifque les
peines prononcées en plufieurs cas l’entraînent
néceflairement avec elles, & ne fervent même
qu'à prolonger les horreurs d'un fupplice dont
l’humanité doit faire defîrer de hâter la fin. Quand
on penfe que plufieurs criminels périflent fous le
knout, ou de fes fuites, que d’autres ne peuvent
réfifter à la fatigue d’un voyage de quatre
mille fept cents foixante-feize milles, qui fépa-
rent Pétersbourg de Nerfchink (le lieu le plus
éloigné de la Sibérie ) , & que le refte eft bientôt
emporté par le mauvais air de ces mines, ou
par.les travaux auxquels ils font condamnés, il'
fera difficile, de voir autre chofe qu’une lente &
douloureufe exécution dans le fort auquel on condamne
ces êtres infortunés.
• m En effet, depuis la promulgation de cet édit
de grâce, il ne s’eft pas pafié une feule année
que plufieurs grands criminels n’aient été mis à
( i ) M . Cox e die dans une note : » Selon V o lta i re , là crainte d’ un.châriment & d’un travail pénible qui renaiflent tous
les jours , fait plus d’im preffion fur la multitude que la terreur de la mo rt. U ajoute que les criminels font employés
utilement à des travaux publics. Je répondrai fur le premier p o in t , que la terreur de la mo rt a toujours été regardée
comme la plus grande des craintes qui puiffent opérer fù r l ’efprit des hommes , & que fi celle des travaux publics peuc
faire une égale im preffion , ce n’eft pas lorfque les. c riminels qui y font condamnés font Touftraits à tous les yeux & font
envoyés en Sibérie. Des peines infligées dans des lieu x fi éloignés font comme ignorées du peuple , fpn imagination
n’en eft point frappée. A l’égard de l’ utilité que le public retire des ma lfaiteurs, fi cette punition ne fuific pas pour contenir
les meurtriers , par e x em p le , le public n’a pas fujet de s’en féliciter , 8c lelé g ifla teur lui fait payer bien chèrement l'a*
vantage qu’ il peut y trouver. » I ' H H H
.» Je dirai de meme au chevalier Blackftone qu’il eft difficile de repondre à fa q u eftion, fi la Rufjtç eroit mieux gouvernée
avant Elifabeth & Catherine que fous ces deux impératrices qui pnt aboli la peine de mort. Il faudrpit ppur cela
av.pir une lifte des crimes commis pendant une longue fuite d’années fous l ’une $c l ’autre le g ifla t io n , & en faire une
comparaifon exafte. Mais d’ailleurs ce raifonnement. fuppofe un fait qui. n’eft point vrai ; favoir qu’ aucun criminel n’ a fubi la
peine de mort depuis l’avènement d ’Elifabeth au trône. Je fuis arrivé en Rujfie, prévenu de l ’idée qu’on n’y punifloit perfonne
de mo rt. Je fus bientôt défabufé par un étranger qui répondit à mes queftions fur ce fujet. » On ne décapite i c i , ni ne
2» pend les ma lfaiteurs , mais ils reço iv ent fouv ent le knout jufqu’ à ce’ qu’ils en meurent. »
mort
mort en vertu d'une fentence qui, prononçoit
une autre peine. Et peut-être que fi on avoit le
tableau de toutes ces exécutions , on trouveront
que, malgré la douceur apparente de ce code
pénal, il n'y a pas moins de malfaiteurs mis a
mort en Rujfie que dans les pays _ où les peines
capitales font admifes par les loix. 11 paroitra
donc évident au le&eur que les peines capitales
ont été confervées par le fait en Ruffie , que cela
a été trouvé néceflaire , & que tout ce qui en a
réfulté, c'eft qu’on a affoibli le frein falutaire que
la terreur d’une mort certaine & prompte oppo-
foit aux crimes qui attaquent le plus ouvertement
îa fociété. »
Les panégyriftes d’Elifabeth auroient eu de plus
grands-doutes encore fur fa clémence, s’ils avoient
fu qu’elle conferva expreflfémetft l’ufage barbare
!' de la queftion, pour extorquer les aveux des
perfonnes accufées de trahifon.
Ce n'a été qu'au moment où Catherine IL eft
: montée fur le trône, que cette affreufe torture ,
j & toute efpèce de torture ont été proferites
dans les tribunaux.
' » Noys trouvons que plufieurs gouvernemens
ne font pas afifez pourvus de tribunaux & d officiers
A l’avènement de Catherine II , les loix de
Rujfie n'étoient qu'un vrai cahos, rudis indigef-
taque moles. Elle comprit la néceffité prenante de
les corriger & de les réformer. Les tribunaux
dévoient f ê conformer aux règlemens & aux fta-
! tuts d'Alexis Michælovitch ( i) , qui manquoient
absolument d'ordre & de précifion , & aux uka-
fes ou décrets impériaux rendus par Pierre I. &
! par Tes f «_cefleurs qui étoient extrêmement nom-
I breux , & fe contredifoient fouvent fur des points
( très-importans.
Le vafte empire de Rujfie étoit partage en un
petit nombre de gouvernemens très - étendus.
Chaque gouvernement étoit foudivife en provinces
, & chaque province en cercles ou diftriéts. t II y avoit un gouverneur pour le gouvernement
ï général, un vayvode Se fés officiers pour chaque
I province qui formoient ce qu on nommoit une
I chancellerie , & un vayvode ou juge inférieur
[ pour chaque diftrift.
Les abus qui réftiltoient de cette diftribution
| lie peuvent être mieux connus que par le paflfage
j fuivarit du manifefte que l'imperatrice a mis a
| la tête de la première partie de fon nouveau
I code,
de juftice proportionnellement à leur étendue
} que non - feulement les affaires de fian ce
& de police , mais aufli les procès criminels
civils reflortiflent à la même cou r , qui eft chargée
de J'adminiftration du gouvernement. Les provinces
Sc les cercles ou diftriéts font fujets aux memes
inconvéniens > la ch;nce.ierie du vayvode
étant la feule cour qui prenne connoijlance de
tant d'affaires & d’affaires de nature fi differente.
Les abus qui naiflent de - là ne font que trop
manifeftes. C e font d’un côté des delais, des
omiflions, des vexations, effets nécefjaires d une
conftitution fi mal entendue 8c fi detectueule ,
où une affaire nuit à l’autre , & où l’on n en
peut expédier qu’une partie. Ù un autre cote les
| délais engendrent les chicanes & encouragent aux
; crimes, parce que la peine ne fuivant
, que de loin , la crainte qu’elle eut infpiree h elle
eut été plus prompte n'eft plus un frein fum fan t _
popr les coupables, & les appels fans fin qui le
font d’un tribunal à un autre font un obftacle perpétuel
à la diftribution de la juftice (t) ^
Mais le plus grand mal qui en réfultoit pour
le peuple étoit l’autorité énorme dés juges inferieurs
, gens ordinairement de baffe naiflance ,
fans aucune connoiflâ'nce des lo ix , & qui po.u"
voient cependant punir non - feulement des délits
légers , mais condamner au knout & au bannif-
fement en Sibérie. Il arrivoit fouvent que des
perfonnes foupçonnées de quelque crime ref-
toient en prifon plufieurs années fans eue jugées,
qu’on les appiiquoit à la queftion , raure
de preuves fuffifàntes , & qu’on les y appliquât
même plus d’une fois.
Plufieurs empereurs , depuis le régné d Alexis ,
& en particulier Pierre I , avoient projette de
réformer les loix de l’empire. Mais ce projet etoit
toujoufs refté fans exécution^ Cette grande &
difficile entreprife étoit réfervée à Catherine II »
qui appella en 1767 à Mofcow des députés de
toutes les parties de fon vafte empire, nomma
des commifîaires pour compofer de nouveaux
règlemens, & leur remit les Inftructions qu elle
avoit compofées , inftruétions diétees par le vc*
ritable efprit qui doit animer un habile legifta-
teiir (3).
Conformément à ces inftruftions , la première
partie du nouveau code parut en 1775 > aine
( 0 1 Le plus ancien code régulier de lo ix é c r ite s , date de 15 4 1. Ivan I I . a l o r s aux coûts de
Michælovitch y joignic les édits & ordonnances des fucceiTeurs d ’Ivan , les atrecs des JJoiars q P
ju ft ic e , les lo ix byfanrin.es ou des empereurs de Con ftantmople, Sec. . j . commerce Se dans les procès des
1 ( z ) m en c i . , i s exemples freppem dans cç manifefte , telat.vem en. ; poJ t fa canfe
marchands & des bourgeois. » Un plaideur ,]ui n’ eft pas content: de la T M . « «»*16
» devant le magiftrar d ï la v ille , de là au magiftrat de la province , enflure au mag.itrat au go
» trat fupérieur , & énfuite'au fénat. sî j * A,P(Çer le oroiet d’ un nouveau code de loix. ï ( j ) Voyex les Inflruftions de Catherine I I , pour la comnuifion chargée g ,# | | | - i e *
Saint-Pétersbourg 1 7 ^ . Ces Inftruûioas ont été traduites dans la plupart des Ianguei d - P ^
(Scon. polit, diplomatique. Tom, I)