
garder fa place; mais laPorte fait entrer en compte
les contributions qu'il tirera des Kourdes & des
Turkmans, les avanies q uil fera aux villages &
aux particuliers, & les pachas ne reftent pas en
arrière de fes intentions. Abdi pacha, qui corn-
mandoit il y a douze ou treize ans, enleva dans
quinze mois plus de quatre millions de livres, en
rançonnant tous les corps de métiers jufqu’aux nettoyeurs
de pipes. Récemment un autre du même
. nom vient de fe faire chaffer pour les mêmes ex-
torfions.Le divan récompenfa le premier d'un commandement
d’armée contre les rudes ; mais fi celui
ci eft refté pauvre, il fera étranglé commeçon-
cullionnaire. Telle eft la marche ordinaire des affaires.
«Selon un ufage général, la commiflion du pacha
n’eft que pour trois mois ; mais fouvent on le proroge
jufqti’ à fîx mois , 8c même un an. Il eft chargé
de maintenir les fujets dans l’obéiflance, & de veiller
à la fureté du pays contre tout ennemi domef-.,
tique ou étranger. Pour cet effet il entretient cinq
à fix cents cavaliers, & à-peu près autant de gens
de pied. En outre, il a droit de difpoTer des janif-
faires j qui font une efpèce de milice nationale
clafîee. Comme nous retrouverons le même état
militaire dans toute la Syrie , il eft à propos de
dire deux mots de fa conftitûtion.
i 0. Les janiflaires dont je viens de parler, font
dans chaque pachalic un certain nombre d'hommes
claffés y q u i doivent fe tenir prêts à marcher
tentes les fois qu'on les appelle.NComme il y a des
privilèges & des exemptions attachés à ce titre, il
y a concurrence à l'obtenir. Jadis cette troupe étoit
aftreinte à une difeipliné 8c à des exercices réglés;
mais depuis foixante à quatre-vingt ans , l’état
militaire eft tombé dans une telle décadence, qu’il
ne refte aucune trace de l’ancien ordre. Ce%pré-
tendus foldats ne font plus que des artifans & des
payfans aufli ignorans que les autres , mais beau-
cojap moins dociles. Lorfqu’ un pacha commet des
abus d’autorités > ils font toujours les premiers à lever
l'étendard de la fédition. Récemment ils ont
dépofé & chaffé d’Alcp Abdi pacha , & il a fallu
que la Porte en envoyât un autre. Elle, s’en venge
en faifant étrangler les plus mutins des oppofans ;
mais à la première occafion les janiffairès fe font
d'autres chefs, 8c les affaires fuivent toujours la
même route. Les pachas fe voyant contrariés par !
cette milice nationale, onteu recours à l’expédient !
nfité en pareil cas : ils ont pris pour foldats des
étrangers qui n’orit dans le pays ni famille ni amis.
C e s foldsts font de deux efpèces , cavaliers 8c
piétons.
Les cavaliers, les feuls que l’on réputé gens
de guerre , s’appellent à ees titres daoulé ou deleti,
& encore delibaches & laouend, dont nous avons
fait leventi. Leurs armes font le fabre court, îe
piftolet, le fufil 4 8c la lance. Leur coèffure eft un
long cylindre de feutre noir fans bords, élevé de
neuf à dix pouces , très-incommode , en ce qu’il
n’ombrage point les yeux , 8c qu’ il tombe aifé-
ment de deffus ces têtes rafées. Leurs relies font
formées à la manière angloife d'un feul cuir tendu
fur un chaflis de bois ; elles font rafes , mais elles
n’en font pas moins incommodes, en ce qu’elles
écartent lè cavalier, au point de lui ôter l'ufage
des aides : pour le refte de l’équipage 8c du vêtement
, ces cavaliers reffemblent aux Mamlouks ;
à cela près qu’ils font moins bien tenus. Avec leurs
habits déchirés, leurs armes rouillées & leurs
chevaux de toute taille & de toute couleur, on les
prendroit plutôt pour des bandits que pour des
foldats. La^plupart ont commencé par le premier
métier, & n’ont pas changé en prenant le fécond.
Prefque tous les cavaliers en Syrie font des Turkmans
, des Kourdes ou desGaramanes, qui, après
avoir fait le métier de voleurs dans leur pays ,
viennent chercher auprès des pachas un afyle &
du fervice. Dans tout l’empire, ces troupes font,
aînfi formées de brigands qui paffent d’un lieu à
l’autre. Faute de difeipliné , ils gardent par-tout
leurs premières moeurs , 8c font le fléau des campagnes
qu’ils dévaftent, & des payfans qu’ils pillent
fouyent à force ouverte.
Les gens de pied font encore une troupe inférieure
en tout genre. Jadis on les tiroir des habi-
tans même du pays par des enr-ôlemens forcés ;
mais depuis cinquante à foixante ans , les payfans
des royaumes de Tunis, d’Alger & de Maroc , fe
font avifés de venir chercher en Egypte & en Syrie
une confédération qui leur eft refufée dans leur patrie.
Eux feuls , fous le nom de magarbé , c’eft-à-
dire hommes du couchant, compofent l’infanterie
des pachas ; enforte qu’il arrive par un échange
bizarre, que la milice des barbarefques eft formée
de turks , & la milice des turks formée de barbarefques.
L’ on ne peut être plus telle que ces piétons
; car tout leur équipage & leur bagage fe bornent
à un fufil rouillé, un grand couteau , un fae
de cuir, une chemife de coton , un caleçon, une
toque rouge, & quelquefois des pantoufles. Chaque
mois ils reçoivent une paye de cinq piaftres
(douze liv. dix fo ls ) , fur laquelle ils font obligés
de s’entretenir d’armes & dé vêtemens. Ils font
d’ailleurs nourris aux dépens du pacha, ce qui net
laide pas de former un traitement affez avantageux
; la paye eft double pour les cavaliers , à qui
l’on fournit en outre le cheval & fa ration, qui
eft d’ une mefure de paille hachée. & de quinze livres
d’orge par four. Ces troupes font divifées à
l ’ancienne manière tartare , par bairâgs ou drar
peaux; chaque drapeau eft compté pour dix hommes,
mais rarement s’en trouver il fîx effectifs :
la ratfon en eft que les agas ou. commandant dé
drapeau étant chargés du payement des foldats,
en entretiennent le moins qu’ils peuvent, afin dé
profiter des payes vuides. Les agas fupërieurs ta»
lèrent cet abus, parce qu’ ils en partagent les fruits ;
enfin les pachas eux-mêmes entrent en connivence,
& pour fe difpenfer de payer les foldes entières ;
ils ferment les yeux fur le pillage 8c l’indifeipline '
de leurs troupes.
C ’eft par les défordres d’un tel régime , que la
plupart des pachalics de l’empire fe trouvent
ruinés 8c dévaftés. Celui d’Alep en particulier eft
dans ce cas. Sur les anciens deftar ou regiftres d'imp
ôts , on lui comptoit plus de trois mille deux
cens villages ; aujourd'hui le collecteur en réalife
à peine quatre cens- Ceux de nos négocians qui
ont vingt ans de réfidence, ont vu la majeure
partie des environs d’Alep fe dépeupler. Le voyageur
n’y rencontre de toutes parts que maifons
écroulées, citernes enfoncées, champs abandon-,
nés. Les cultivateurs ont fui dans les villes, où
leur population s’abforbe, mais où du moins l’individu
échappe à la main rapace du defpotifme qui
s’égare fur la fouler
Du pachalic de Tripoli. ' v
Le pacha de Tripoli jouit de tous les droits de
fa place. Le militaire 8c les finances font en fes
mains ; il tient fon gouvernement à titre de ferme,
dont la Porte lui palTe un bail, pour l ’année feuje-
mentT Le prix eft de fept cens cinquanteTourfés ,
c ’eft à-dire ^ neuf cens trente - fept, mille cinq
censklivres ; mais il eft en outre obligé de fournir
le nmtailiement de la caravane de la M e k e , qui
confïfte en bled, en orge , en ris., & autres pro-
vifion^ dont les frais font évalués fept cens cinquante
autres bourfes. Lui même en perfonnedoit
conduire ce convoi dans” le défert, à la rencontre
des pèlerins. Il fe rembourfe de fes dépenfes fur
les miris, fur les douanes, fur les fous-fermes des
Anfariés & du Kefraouan ; enfin il y. joipt les ex-
"torfions cafuelles ou avanies ; & ce dernier article
fut-il fon feul bénéfice, feroit encore confidéra-
ble. Il entretient environ cinq cens Hommes à
cheval auflî mal conditionnés que ceux d’A le p ,
& quelques fufiliers barbarefques.
Le pacha de Tripoli a de tout tems defîré de
régir par lui-même le pays des Anfariés & des Maronites
; niais ces peuples s’étant toujours oppofés
par la force à l’entrée des Turcs dans leurs montagnes
, il a été contraint de remettre la perception
du tribut à des fous-fermiers qui fufiènt agréables
aux habitans. Leur bail n’eft , comme le lien, que
pour une année; il l’établit par enchère ; & de-là
une concurrence des. gens riches, qui lui donne
fans ceffe le moyen d’exciter ou d’entretenir des
troubles chez la nation tributaire : c’eft le même
genre d’adminiftration que l ’hiftoire offre chez les
anciens perfes & affyriens ; & il paroît avoir fub-
fifté de tout tems dans l’orient.
Le commerce de Tripoli confifte prefque tout
en foies afTez rudes, dont on fe fert pour les galons.
On obferve que de jour en jour elles perdent
de leur qualité. La raifon qu’en donnent des per-
fonnes fenfées , eft que les mûriers font dépensait
point qu’il n’y a plus que des fouches creufes.
Un étranger réplique fur le champ : que n’en
plante-t-on de nouveaux? mais on lui répond:
c’eft-là un propos d’Europe. Ici l’on ne plante
jamais, parce que Irquelqu’un bâtit ou plante, le
pacha dit : cet homme a de l’argent. Il le fait venir ;
il lui en demande : s’ il nie, il a la baftonnade ; 8c s’il
accorde, on la lui donne encore pour en obtenir
davantage. C e n’eft pas que les tripolitains foierft
endurans : on les regarde au contraire comme une
nation mutine. Leur titre de janiffaire , 8c te turban
vert qu’ils portent en fe qualifiant de chérifs,
leur en infpirent l’efprit. Il y a dix à douze ans
que les vexations d’un pacha les poufsèrent à
bout: ils le chafsèrent, & fe maintinrent huit
moisindépendans ; mais la Porte envoya un homme
nourri à: fon école , q u i, par des promeffes ,
des fermens, des pardons, 8cc- tes adoucit, tes
^difperfa, & finit par en égorger huit cens en un
1 jour. On voit encore leurs têtes dans un caveau
près de Quadieha : voilà comme lesTlires gouver-
cent! Le commerce de Tripoli eft aux mains des
françois feuls. Us y ont un conful & trois comptoirs.
Us exportent tes foies 8c quelques éponges
que' l’on pêche dans la rade ; ils tes paient avec
des draps, de la cochenille , du fucre.& du café
d’Amérique ; mais en retours comme en entrées ,
cette échelle eft inférieure à fa vaffale , Lataquié.
Du pachalic de Seyde ou d'Âcre.
Le pacha de Seyde jouit de tous les droits de fa
place ; il eft gouverneur, defjaote & fermier général.
Il rend chaque année à la Porte une fomme
fixe de fept cens cinquante bourfes ; ruais en outre
il eft obligé , aihfi qu’ à Tripoly’ , de fournir te
djerde ou convoi des pèlerins de la Meke. On
eftîme également fept cens cinquante bourfes la valeur
du ris , du b led, 8c de l’orge employés à cé
convoi. Le bail de fa fermé eft pour un an feule-
' ment ; mais il eft fouvent prorogé. Ses revenus
' font i °. le miri ; 2tf. les fous-fermes des peuples'
tributaires , tels que les Druzes, tes Motoualis, &
quelques tribus d’Arabes. 30. Le cafuel toujours
.abondant des fucceftions & des avanies. 4 0. Le
produit des douanes, tant fur l’ entrée que fur la
fortie 8c le paffage des marchand!fes.N C e t article
feul a été porté à mille bourfes (un million deux
cens cinquante mille liv.) dans la ferme que Djez-
zar a paffée en 1784 de tous fes ports 8c an fes.
Enfin, ce pacha ufant d’une induftrie familière à
fes pareils dans toute i’ Afîe , fait cultiver des ter-
reins pour fon compte, s’afifocie avec des marchands
& des manufacturiers , 8c prête de l’argent
à intérêt aux laboureurs 8c aux commerçans ; la
fomme qui réfultë de tous ces moyens eft évaluée
entre neuf & dix miilioüs de France. SI l’on y com,
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