
IV . A l’égard des progrès que les Ruffes ont
fait-jufqu’ici dans l’établiffement d’ un commerce
entre les ports de la mer Noire & de la Méditerranée,
nous obferverons que l’impératrice afin de
l ’encourager, a diminué les droits d’entrée & de
fortje , & contribué à former une compagnie pour
le commerce de la mer Noire.
D ’abord après la paix de 1774 , quatre vaif-
feaux marchands firent voile de Pétersbourg
avec une cargaifon confinant en fer 3 en lin 3 en
chanvre, en toiles à voiles, en peaux, & c . C et
armement fe fit aux frais de l’impératrice qui en
abandonna tous les profits à la nouvelle compagnie.
Mais la jaloufie des Turcs fit échouer cette
entreprife j ils empêchèrent fous divers prétextes
ces vaifTeaux de paffer des Dardanelles $ les car-
gaifons furent vendues dans le Levant & dans la
Méditerranée, & les vaifTeaux s’en revinrent
fans.avoir rempli leur principal objet. De nouveaux
troubles qui s’élevèrent au fujet de la Grim
ée, empêchèrent jufqu’en 1779 qu’on ne-formât
de nouvelles entreprifes de ce genre} mais depuis
la paix conclue cette année-là entre les Ruffes
& les Turcs 3 plufieurs vaifTeaux grecs portant
pavillon rufie & venant d’A z o f & de la mer Noire
ont pafifé librement les Dardanelles : & ce commerce
a encore augmenté depuis que la Rujfie
pofféde la Crimée.
Un navire rufle dont l’équipage étoit au fer-
vice du gouvernement , chargé de boeuf falé ,
partit en 1780 de Kherfon pour le port de Toulon 3
& o n le laiffa paffer aux Dardanelles. Bientôt apres,
cinq autres vaifTeaux chargés de fer , ont fait des
voyages heureux jufques à des ports de l'Archipel.
Enfin, au mois de novembre 1781 , un pareil
nombre de vaifTeaux devoit partir de Kherfon
pour la France avec des chargemens de chanvre
& de tabac. T e l etoit en 1781 ce commerce
naifTant, que quelques auteurs ont repréfenté
comme capable de eau fer une prompte révolution
dans le commerce général de l’Europe (1) $
& il reliera encore dans cet état d’enfance auffi
long-tems que les Turcs conferveront la domination
fur leurs mers. C e peuple jaloux s’oppofera
ouvertement ou fecrètement aux progrès des
Ruffes , 8c ne leur accordera jamais volontiers le
libre paffage des Dardanelles , quoiqu’ils y aient
confenti par le traité humiliant de 1774. C e fera
probablement une fource de diffentions perpétuelles
qui ne pourront finir que par des guerres
fanglantes & opiniâtres, & pendant tout ce tems-
là un commerce fournis à fi grand nombre d’accî-
dens , ne fauroit être jamais bien étendu.
C e font ces évènemens qui pourront feuls nous
apprendre fi l’efpèce de traité conclu entre la
Rujfie & la Porte en 1784, fera plus durable que
les traités précéderas , ou fi les mêmes caufes ne
continueront pas à' produire les mêmes effets. Les
principaux articles de ce traité font les fuivans r
Liberté de commerce dans tous. les Etats du
grand feigneur, tant par mer que par terre , fans
aucune reftriétion. Les capitulations ou accords
avec les nations françoife &: anglorfe, feront les
mêmes pour la nation ruffe. Abolition de tout
monopole qui pouvoit gêner la vente ou l’achat
de toute efpèce de marchandife. Secours pour
tous les vaiffeaux en danger. Droits fur toutes
les marchandifes d’importation ou d’exportation
fixées à trois p. |. Tarif'général & uniforme dans
tous les Etats du grand-feigneur. Toute autre
efpèce d’impofitions abolie. Paffage libre de toutes
les productions ruffes & même des autres pays ,
chargées fur des navires portant le pavillon de
cette puiffance, fans aucun frais de tranfit. Exportation
libre des marchandifes jufqu’alors prohibées
, comme ris , café, huile, foie , & c . . . . »
( 1 ) » Catherine II. , d it un auteur , v a donc ouvrir une ancienne route du commerce le plus vafte & le plus riche q ui fe
fo ie fait fu r la terre. Ses ports dans la mer d A z o f 8c fur la mer Noire peuvent devenir le centre de tous les échanges du
nord 8c du n û d i , 8c les^ provinces méridionales de fon empire jouiront d ’ un débouché avantageux 8c facile , dont elles ont
manqué ju fq u 'ici pour l ’écoulement de leurs productions. 33
» Concluons que de quelque manière que la Rujfie exploite fon commerce de la met Noire , fo it par elle-même 3 fo it pat
le fecôurs des é trangers, fon avantage le plus réel dort confifter dans un écoulement facile 8c rapide de fes productions
méridionales. Ces productions font les fuifs , les c i r e s , les ch anv re s, le lin , les cordages , le s tab a c s , le fer & le cuivre.
La plus grande partie ne fera plus le tour de l ’Europe pour parvenir en Efpagne , en Italie 8c dans les ports de la M é diterranée
J 8c le petit nombre des autres formera de nouveaux objets de débit pour ces pays , qui n ’ont pas eu jufqu’ici
l ’ ufage de s’ en fournir , comme le fer 8c le cuivre. 33
Ces vaftes projets font anéantis par la réflexion fuivante.
» A u refte , les befoins 8c les facultés d’ une nation étant naturellement bornés , le gouvernement r a f le devra mettre des
limites a fes communications par la mer Noire , afin qu’elles ne préjudicient point à celles- de la Baltique. Ces deux
commerces doivent fe balancer fans fe nuire , enforte que la prééminence telle toujours attachée au' plus ancien. »-
Plufieurs perfonnes penfent que ce n’ eft pas un grand mal pour la Rujfie qu’ il y ait des obftacles au progrès de fo®
commerce dans la mer Noire. Ses denrees font de néceffité, 8c non des objets de luxe. On- les co n fo rm e r a toujours lors-
même qu’ on n’augmentera pas la facilité de les exporter , 8c l’accroiflement du commerce de la mer Noire fera la diminution
de celui de la Baltique. Les tranfports font a fi bon marché en Rujfie ,- 8c la navigation intérieure y a été tellement
fa c ilité e , qu’ on peut conduite les productions d e ’ fes provinces les plus éloignées dans les ports de la mer Baltique , fans
en haufler beaucoup le prix. Il n’ y a donc pas de mal qu’ elles paflent auffi par beaucoup de mains , puifque la Rußte
le« vend encore à meilleur marche qu’on ne pourrait f e les procurer par-tout ailleurs. Rendre cetce exportation plus facile
8c moins coûteufe enco re , ce fero it évidemment faire gagner le marchand étranger à fes propres dépens.
Garantie contre les corfaires Barbarefqües. Le j J,0it de bâtir des maifons , magafins 8c portes
nour l'avantage du commerce. Plufieurs autres
articles, au nombre de quatre-vingt-un, tous
très-favorables au commerce rufle.
En un mot le commerce des Ruffes, dans ces
contrées, ne peut avoir^de bafe folide que quand
l'impératrice aura une flotte fur la mer Noire fu-
I „érïeure à celle de fes rivaux. L'accompliflement
d'un projet fi grand 8c fi utile à la nation fera
peur-ecre le fruit de l'acquifition. qu elle vient
de faire de la Crimée & du Cuban , qui lui a
valu celle d'une grande étendue de cotes 8c du
port avantageux de Caffa.
Au refte , on ne peut avoir qu’ une connoif-
fance bien imparfaite de l'état aéluel du commerce
des ports de la Rujfie fur la mer Noire par les
Dardanelles : des journaülles ont dit que la valeur
totale des marchandifes qui ont paffe les Dardanelles
en 1785 , pour divers ports de la Rujfie fur
la mer Noire , a été de huit cents fix mille trois
cents trente piaftres de quarante paras , fort deux
I millions quatre cents dix-huit mille, neuf cents
quatre-vingt-dix livres tournois ; que la plusgrande
partie de ces marchandifes etoient des fruits oc
des huiles d'Italie, du coton filé & de la lame, des
étoffes de foie 8c de coton , mais principalement
des vins de l'Archipel ; que ce dernier article for-
moit feul la moitié de la valeur de ces expéditions.
Ils ajoutent que la même annee i 7_»f , on
exporta des ports de Rujfie fur la mer N o ire , par
le détroit des Dardanelles . divers articles montant
à la fomme de fept cents trente- cinq mille
cent dix-fept roubles , ou envifon trois millions
neuf cents mille livres tournois s 8e que ces car-
gaifons étoient compofées de fe r , de toiles grof-
fières, de beurre , de caviar, de cuirs . 8ec.
S E C T I O N V I I .
De la navigation intérieure & des canaux de la
Ruflie.
11 n’eft aucun Etat dont la navigation intérieure
foit aufii étendue que celle de la Rujfie. On y peut
conduire des marchandifes par eau, à une dirtance
de quatre mille quatre cents foixante-douxe milles,
depuis les frontières de la Chine . jufqu a l eters-
bourg, fans autre interruption que celle d un
tfpace d’ environ foixante milles. On peut aufii
tranfporter les marchandifes fans les débarquer
une feule fois depuis Aftracan jufqu’ à Pétersbourg,
dans une étendue de mille quatre cents trente-
quatre milles (i).
La communication par eau entre Aftracan 8c
Pétersbourg, ou , ce qui. ell la même chofe,
entre la mer Cafpienne 8c. la mer elt
formée par le moyen du fameux canal de Vishnei-
Voloshok.
C e grand ouvrage commence 8c fini fous le
règne de Pierre I a été tellement perfeaionné
par les ordres de l'impératrice régnante, que les
vailfeaux employent la moitié moins de tenas
que ci-devant à faire le trajet d Aftracan a Peters-
bourg.
Pour opérer cette jonâion des deux mers, il
falloit établir une communication entre laTvertfa
qui fe jette dans le Volga , 8c par conféquent
dans la mer Cafpienne, 8c la Slina > qui fous le
nbm de Mafta , de Volcof 8c de Néva , coule
dans la mer Baltique s c’eft ce qu'on a obtenu par
le moyen du canal de Vishnei-Voloshok.
Nous n'entrerons poipt dans le détail de éclu-
fe s , des réfervoirs, 8c des terrains qu’ il a fallu
couper pour confommer ce grand ouvrge. Quelques
lacs qui fe font trouvés fur la route en ont
facilité l’exécution ; comme le lac Ilmen , pat
exemple, près de Novogorod, 8tc.
On a projeté dernièrement de couper un canal
du lac Ladoga jufques à la Duna, & de joindre
ainfi la mer Blanche avec la mer Baltique, pour faciliter
le commerce intérieur entre Archange} 8e
Pétersbourg , 8c l’on a même déjà mis la main à
l’oeuvre.
Le grand projet de joindre la mer Cafpienne 8c
la mer Baltique avec la mer Noire par le moyen
du Don 8c du Vo lga, étoit un des plans de Pierre-
le grand. Ces deux fleuves s'approchent tellement
l'un de l’autre dans la province d’Aftracan, qu'ils
ne font plus qu'à quarante milles de diftance , Se
deux ruiffeaux dont l’un fe jette dans le Don 8c
l'autre dans le Vo lg a , ne font féparés que par un
intervalle de cinq milles. Si l'on pouvoit les rendre
navigables 8c les joindre par un canal, il exifte-
roit dès-lors une communication entre les trois
mers. Pierre I envoya dans cette vue Perry , ingénieur
anglois, fut les lieux , 8c on commença
à travailler fous fon infpeéfion : mais après avoir
. ,, , » ,/r,, rnnrrp deferiotion de la navigation intérieure de T o b o lsk
( i ) On trouve dans 1er Nouvelles Découvertes des Rufies une <:oin to b lP[sk les barques remontent le T o ho l , le T u ra
aux frontières de la Chine ; Sc nous nous contenterons @ j | Ë | j l’£llrope. D u \ i g i i on tranfportc les marchante
le T ig il I qui a fa fource dans les riliÈre de T chu flb v aia ; là , on
difes à travers un terrein élevé qui a environ cinquante-deux mules oe iargeu , i
rembarque les marchandifes j on d é f e n d cette rivière jufqu’ au point ou elle Ce |ette dans le K a n » , qui jou it
Volga un peu au-delïus de Cafan.