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pour y être échangé contte quelqu’autre chofe
dont elle a befoin. Mais il importe peu que le
capital qui exporte ce fuperflu , foit un capital
étranger ou domeflique. Si la fociété n’a point
acquis affez de capitaux pour cultiver à la fois
toutes fes terres , & pour manufaéturer tout
fon produit brut de la manière h plus com-
plette, c’ell un grand avantage pour elle que
fon fupetflu foit exporté par un capital étranger,
puifque la fociété peut faire un meilleur ufage de
fes capitaux. La richefife de l’ancienne Egypte ,
celje de la Chine & de l’ Inde, montrent allez
cl.°Jun® nation peut arriver à un haut degré de
nchefle , quoique la plus grande partie de fon
commerce d exportation fe fafle par des étran-
gers. Le progrès des colonies de l’Amérique fep-
tentrionale & des Indes occidentales , eut été I
bien moins rapide , fi l’exportation de leur fu-ra-
bondant ne s’étoit faite par d’autres capitaux que
les leurs.
Ainfi , félon le cours naturel des chofes, la
plus grande partie du capital, d’une fociété qui fe
forme, va d’abord à l’a g r icu ltu ^ enfuite aux
manuft&ures , & en dernier liefWui commerce
étranger. C e t ordre eft fi naturel , qu’on doit
l’avoir fnivi , plus ou moins dans toute fociété
cjui poffédoic un territoire. Avant qu’il
s’établît des villes 3 il a fallu cultiver des terresj
& avant de fon’ger au commerce étranger , il a
fallu qu’on établît dans ces villes au moins quelques
efpèces de manufactures groffières.
Mais , quoique cet ordre naturel des chofes
ait dû être fuivi jufqu'à un certain point dans toute
fociété , il a été totalement interverti à plufieurs
égards dans les Etats modernes de l’Europe. Le
commerce étranger de quelques - unes de leurs
villes, a introduit les plus belles de leurs manufactures
, ou celles qui font propres à être vendues
au loin , & les manufactures jointes au
commerce ont fait naître les principales améliorations
de l’agriculture. Ils ont été pouffes dans
cet ordre rétrograde & contre nature, par les
moeurs & les coutumes , que leur gouvernement
primitif a introduites, & qui font reliées après
les grands changemens qui lui font arrivés.
Après la chute de l ’empire romain, les propriétaires
des terres vécurent généralement dans des
châteaux fortifiés, fur leur territoire particulier
& au milieu de leurs tenanciers & de leurs vaf-
faux. Les villes furent fur - tout habitées par les
marchands & les artifans , qui alors femblent
avoir été d’une condition fervile , ou d’une condition
approchante de la fervitude. Les privilèges
accordés par d’anciennes chartes aux habitans
de quelques-unes des principales villes de l’Europe
, font affez connoitre ce qu’ils étoient avant
ces concevions. Puifqu’on leur accordoit comme
un privilège, de pouvoir marier leurs filles fans.
y i l
le contentement de leurs feigneu« & après leur
moit de tranfmettre leurs biens à leurs enfans &
non a leur feigneurs ; de pouvoir dirpofet de leurs
effets par teitament, il faut en conclure qu'ils
eroient a - peu - près dans la claffe des vilains de
la campagne.
II parut, en effet, qu'ils formoient une pauvre
& chettve efp.èce de gens, qui alloient avec
leurs marchandées de place en place & de foire
en foire, comme font aujourd'hui les petits mer-
cicrs ou les porte balles. On ievoit alors dans
toute 1 Europe , comme on lève à prêtent dans
piuùeurs gouvernemens tartares de l'Afie , des
taxes fur les perfonnes & les marchandifes des
| voyageurs-, quand ils traverfent certains manoirs
> ^ certains ponts , quand ils tranfportoient leurs
marchandifes d'un endroit à l'aütre dans une foire,
f & i,s y nfontoient une loge ou une échoppe’
pour les vendre. Ces taxes étoient connues fous
le nom de droits de péage, de pont, de pefon ,
il étalagé, t e ro t, ou grand feignent qui , dans
certains ca s , en avoit le pouvoir , accordoit à
des marchands particuliers, fpéchlement à ceux
qui vivoient dans leur domaine', l'exemption de
ces droits. On les appelloit francs - marchands,
quoiqu a d’autres égards ils fuffent d'une condition
fervile ou approchant. En retour, ils payoient
a leur proteéfeur une forte de capitation annuelle.
Ils n obtinrent guère cette ptotedfion fans quelque
confideratton grave , & la capitation qu'ils
payoient etoit , peut - être, une compenfation
de ce que leurs patrons pouvoient perdre en les
aftranchtflant des autres taxes. Il paroît que ces
capitations & exemptions furent d'abord personnelles,
& qu'elles ne regardoient que des individus
particuliers. Dans les états très - imparfaits
qui ont été publiés fur les cadaftres de differentes
r r m d Angleterre , il e!t fouvent fait
mention d une taxe que les bourgeois particuliers
payoient au r o i , ou à d'autres grands feigneurs
pour cette efpecé de proceûion. 3
Mais quelque fervile que puifle avoir été originairement
la condition des habitans des ville,
îia SjUr qu 1 s Parvmrent à la liberté & à l'in -1
dépendance, beaucoup plus que ceux qui tenoient
les terres dans la campagne. La portion de revenu
que le rot d'Angleterre droit de ces capitations
dans une ville , étoit communément don- '
nee a bail durant un certain nombre d'années
pour une rente fixe, quelquefois au shérif du
pays & quelquefois a d autres. Les bourgeois de
la ville meme avoient fouvent -affez de crédit
pour qu'on la leur affermât, à condition qu'ils
ferotent tous fo.lidaires.
Dans les commencetnens la ferme de la ville
tut probablement donnée aux bourgeois fur le
meme pied quelle l'avoitét,éà d'autres fermiers
c elt - à1-dire, pour un certain nombre d'années’
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Mais il paroît que dans la fuite la pratique générale
fut de la donner en fief, c'eft-à-dire , à per-
pétuité, . moyennant une rente qui ne pouvoit
pjus augmenter. Comme cette rente devenoit
ainfi perpétuelle, les exemptions pour lefquelles
on la pay oie, devenoient- également perpétuelles.
Elles cefsèrent donc d’être perfonnelles , & on
ne pouvoit plus les confidérer comme attachées
à tel ou tel individu , mais comme appartenant
aux bourgeois d’un lieu particulier , qui , par
cette rai fon , étoit appel lé un bourg franc , comme
on avoit appelle les bourgeois du lieu francs-
bourgeois ou francs-marchands.
Dans les villes qui obtinrent cette grâce, le s ;
bourgeois acquirent en général le privilège de
pouvoir marier leurs filles, de laifler leurs biens
à leurs enfans & de tefter. Délivrés des principales
taches de la condition de vilain & de
fe r f , ils devinrent au moins libres.
C e n’eft pas tout : on"les établit en communauté,
ou corporations, avec le privilège d’avoir
des magiftrats & un confeil de ville , de faire des
ftatuts pour leur gouvernement, de bâtir des murailles
pour leur défenfe , de mettre tous les habitans
fous une forte de difeipline militaire , en
les obligeant de veiller & de faire le g u e t, c’eft-
à - dire , félon ce qu’on entendoit anciennement
par-là, de garder & de défendre ces murailles
contre toutes les attaques & les furprifes de jour
& de nuit. En Angleterre , ils ne pouvoient être
traduits devant les cours du canton ou du comté,
& tous les procès qui s’élevoient entr’eu x , exceptés
ceux de la couronne , étoient laiffés à la
décifion de leurs propres magiftrats. Ils obtinrent
fouvent en d’autres pays des jurifdi&ions plus
étendues.
Il fut probablement néceffaire d’accorder à ces
villes y qui prenoient à ferme le revenu que le roi
tiroit d’ elles , une efpèce de jurifdiétion coaétive,
pour obliger leurs propres citoyens à payer la
taxe- Dans ces téms de défordre , il eût été très-:
embarrafifant pour eux de fe pourvoir devant
tout autre tribunal pour avoir juftice fur cet article.
MaisJI doit paroître extraordinaire que les
fouverains des -diffèrens pays de l’Europe aient
échangé de cette manière , pour une rente fixe &
déformais non fufceptible d’augmentation , celle
de toutes les branches de leur revenu, qui pouvoit
s’accroître davantage , avec le tems , par le
cours naturel des chofes , fans qu’il leur en coûtât
ni frais , ni foins ; & qu’ils aient de plus
formé une forte de république indépendante dans
îe coeur de leur^propres domaines.
Pour entendre cela, il faut fe fouvenir que
de tous les fouverains de l’Europe, il n’y en
avoit peut-être, pas un alors qui fût en état de
protéger , dans toute: l’étendue de fes domaines,
la partie foible de fes fujets „ contre PoppreVion
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des grands feigneurs. Ceux que la loi rie pouvoit
protéger , & qui n’étoient point alfez forts
pour fe défendre , étoient obligés ou d'avoir recours
à la protection de quelque grand , & de
l’acheter, en devenant fes efclaves ou fes vafïaux ,
ou de former entr’eux une ligue défenfive. Les
habitans des villes & des bourgs , confidérés
comme de Amples individus, ne pouvoient fe
défendre ; mais en fe liguant avec leurs voifins
ils pouvoient oppofer une affez bonne réfiftance.
Les grands méprifoient les bourgeois , qu’ils regardoient
comme un ramas d’efclaves émancipés,
& prefque d’une autre efpèce qu’eux. La richefle
des bourgeois ne manquoir jamais d’exciter leur
envie & leur indignation , & dans toute occasion
, ils les pilloient fans miféricorde & fans-
remords. Les bourgeois de leur côté haïffoient &
craignoient les feigneurs 3 le roi avoit pour eux
les mêmes fentimens 3 mais quoiqu’il pût mépri-
fer auffi la bourgeoifie , il n’avoit aucun fujet de
la haïr ni de la craindre. Un intérêt mutuel por-
toit donc les bourgeois à foutenir le r o i , & Je roi
à lesfoutènir contre les feigneurs. Ils étoient les
ennemis de fes ennemis , & il étoit iritéreffé à
leur procurer la sûrèté & l’indépendance à l’égard
de ces ennemis. C ’eft ce qu’ il faifoit autant
qu’il dépendoit de lui , en leur accordant des
magiftrats particuliers , le privilège de fe gouverner
par leurs ftatuts , celui d’élever des mu-
railles pour leur défenfe, & le droit de fournie
titre les habitans à une forte de difeipline
militaire. Sans J’établiffement d’un gouvernement
régulier de cette efpèce , fans quelqu’autorité ,
pour faire agir les habitans félon un fyftême fixe ,
i’âffociation volontaire, pour leur défenfe n’eût
jamais pu être folide ni durable. Ils n’y auroient
pas trouvé la sûreté qu’ils cherchoient , & le roi
n’ auroit jamais tiré d’eux un grand fecours. En
leur donnant en fief la ferme de-la taxe qu’ il le-
voit fur eux , il ‘ôtoit à ceux qu’il vouioit avoir
pour amis, o u , fi on peut parler ainfi,. pour
alliés, tout fujet de méfiance & de foupçori qu’il
dur. un jour les opprimer, foit en augmentant le
prix de la ferme, foit en la donnant à d’autres
fermiers.
Les fouverains furent tellement animés par ces
motifs, que les princes qui vivoient le plus mal
avec |e,urs barons , ont fait le plus de ces' fortes
de concevions. Le roi Jean d’Angleterre , par
exemple, femble avoir été celui qui a pouffé le
plus loin la libéralité à l’égard de fes' villes. Philippe
I , roi de France, perdit toute autorité fur
fes barons , vers la fin de fon règne. Selon le
P. Daniel , fon fils Louis , connu depuis fous
le nom de Louis • le - Gros , confulta les évêoues
des domaines royaux , fur les moyens les plus
propres à contenir la.violence des. grands feigneurs-
Ils proposèrent deux chofes 5. l’une , de créer un
nouvel ordre de jurifdiétion , en établiffant des
magiftrats & un confeil dans chaque ville ceaft