
héréditaires. Les financiers les plus' habiles de la
Prujfe foutiennent que le fouverain y perdroit
une trop grande fomme de fes revenus, lefquels font
néceflaires pour l'entretien de l'armée , &: que les
petits ferftiiers , quoique héréditaires , ne pour-
roient pas donner des fermes le même prix que
les grands bailüfs , parce qu'ils ont de plus grands
befoins à raifon du nombre fupérieur de leurs familles
, & qu’ils n'ont pas tant de moyens de bien
exploiter leurs pofleflions que les grands fermiers.
C'eft le principe que le cultivateur Anglois Young
foutient, dans fon Arithmétique politique , fur l’ utilité
des grandes fermes 5 & ce feroit ici l’endroit
de difeuter cette queftion intéréflante : on peut
articuler feulement que M. Young paroît avoir
tort à l'égard d'un, gouvernement républicain , tel
que celui de la Grande-Bretagne, qui a plus be-
foin qu'un autre d’une grande population 5 que
relativement .-aux États Prufliens , l'obje&ion des
financiers peut être fondée pour quelques tems j
mais il paroît fur que fi le fouverain pouvoit
ou vouloit fupporter. feulement pour quelques
années la perte qui feroit dans la diminution de
fes revenus, il la regagneroit enfuite avec ufure
par l’accroiflement de la population , & par celui
de la confommation qui en réfulte , & dont il
tire toujours des fommes proportionnées par les
accifes. Du.moins on pourroit commencer par
abolir les grands bailliages , compofés d'un grand
nombre de villages , & donner pour un long
bail- chaque village à un fermier particulier ,
qui le cultiveroit alors comme font les gentilshommes.
40. Frédéric a beaucoup favorifé l'agriculture 3
en autorifant & encourageant , même par des
p rix , l'abolition des communes & la féparation
des fonds de terres & des pâturages , dont un
feul propriétaire peut tirer infiniment plus de
parti que quand il les pofifède en commun avec
d'autres.
- f ° . Il eft parvenu au même b u t, en faifant
diftribuer des femences de luzerne, de trefle &
de lupin à tout cultivateur qui en demandôit,
en faifant acheter un grand nombre de vaches à
plufieurs, & en diftribuant tous les ans des fommes
confidérables 3 en prix & en gratifications , pour
encourager les cultivateurs j par exemple * à ceux
qui avoient planté le plus grand nombre de mûriers
& autres arbres, qui filoientle plus, & qui récol-
toient le plus de fo ie , & c .
6°. Frédéric ,- pour empêcher la famine en cas
de mauvaife récolte, & par conféquent la dépopulation
, avoit établi des çnagafins immenfes
de bled dans toutes fes provinces, pour la fubfiftance
de fon armée en cas de guerre, & pour
celle de fes autres fujets en cas de mauvaife récolte.
En achetant ce bled, il foutenoit les grains
â un prix avantageux pour le cultivateur > & en
ouvrant fes magafins il pouvoit fputenir le prix
des grains aux marchés. Aufli les États Prufliens,
qui font peu fertiles , n'ont-ils rien perdu par la
cruelle famine qui a détruit tant de monde dans
les autres contrées les plus fertiles de l'Allemagne
en 177z , & o n t- ils même pu- fubvenir
aux befoins de leurs voifins. Je connois les principes
généraux qu’on-; peut établir contre les magafins
; mais il faut voir ici la pofîtion de la Prujfe^
& cette grande armée , toujours prête à entrer en
campagne , & qui marchoit avec la rapidité de
l ’éclair.
7 ° . Si Frédéric a beaucoup augmenté la
population par l'amélioration de l’agriculture ,
il y a contribué, autant, & peut- etre encore
p lu s p a r ce grand nombre de fabriques & de
métiers de toutes fortes, qu’il a fait établir à Berlin
, à Poftdam , & prefque dans chacune des
villes de fes États, ou qu'il a foutenus par des
avances. Les Prufliens ont aujourd’hui prefque
toutes les fabriques poflibles, & non-feulement
ils manufa&urent pour leur confommation , mais
ils approvifionnent aufli des pays fort éloignés,
comme l'Efpagne & l'Italie, en toiles & lainage ,
& jufqu’à la Chine , où les petits draps de Siléfie
paffeot par la Ruflie. Ils exportent tous les ans
pour fix millions d'écus en toiles , & pour quatre,
millions de draps & de lainage , ce q ui, joint aux
ouvrages de fer & de quincaillerie du comté de
la Marck , qui montent à un million d'écus , aux
bois du Brandebourg & de la Poméranie, aux
bleds , lins & bois de la Prujfe, & au commerce
important de la Pologne , par Königsberg , M»*
mel , Elbing , Dantzig & Stetin , leur afiTure
une balance très - favorable de commerce. Il eft
naturel que ce grand nombre de fabriques donne
la fubfiftance à un grand nombre d’ouvriers, attire
beaucoup d’étrangers, & augmente par-là cette
clafife de citoyens, & par conféquent la population.
On compte dans tous les États du Roi juf-
qu'à cent vingt-trois mille fix ouvriers qui travaillent
en foie , en laine , en toiles , en coton , en
cuir & autres matières , des marchandifes pour
la valeur de feize millions d'écus , dont il y en a
huit pour le débit étranger. En évaluant feulement
à quatre perfonnes chaque famille d’ouvriers,'
les fabriques donnent la fubfiftance à un demi-million
d'ouvriers , & par conféquent à la douzième
partie de la population. On peut juger par-là s'il
eft vrai que l’Etat Pruflîen foit purement militaire.
Frédéric protégeoit & favorifoit les fabri-
cans de toutes les manières poflibles, fur-tout en
leur faifant de grandes avances , en les encoura-
ceant par des prix , en établiflant des magafins
de laine dans toutes k s petites villes , pour les
petits ouvriers en laine. Les villes de Berlin &
de Poftdam font par cette raifon exemptes de-
l'enrôlement des gens de guerre 5 & il accordoic
à-peu-près la même faveur au cercle des montagnes
de la Siléfie , où des tiflferands pauvres, mais
induftrieux & fobres , établis dans un terrein fté-
rile , entretiennent ces fabriques florilfantes de
toile , qui valent une exportation de tant de
millions, & à la petite ville de Hirfchberg feule
un commerce de deux millions d'écus par an.
Frédéric avoit dans ces cercles le canton pour
fes gardes à pied , mais il en tiroit rarement des
recrues pour ne pas en troubler la population.
S°. Les Prufliens avoient déjà fous le roi Guillaume
de bonnes St nombreufes fabriques de coton
, de foie, de porcelaine, de fucre, de cuir
& de minéraux ', outre an grand nombre de moindres
fabriques. Les fabriques de coton , qui à la
vérité font to r t , félon M. de Hertzberg , à la
fabrique nationale de laine , occupent jufqu’à cinq
mille ouvriers. La manufacture de porcelaine,
q u i , par la bonté de fa,pâte & de fes peintures
, le-difpute déjà aux premières de l’Europe,
& dont le débit chez l’étranger eft très-confidé-
rable, occupe plus de cinq cents hommes, qui par
l’exercice fe perfectionnent de plus en plus, &
deviennent d'excellens artiftes.
90. Avant le règne de Frédéric II. la Truffe n'a
eu que peu de fabriques de foie de peu d'importance.
Frédéric II. en a établi un fi grand nombre ,
qu’elles occupent plus de cinq mille ouvriers,
qui travaillent pour la valeur de deux millions
d'écus , & qui ont fabriqué dans le cours de 1784,
à Berlin, un million deux cents mille deux cents
cinquante aunes d’étoffes & quarante mille de
gaze j un demi-million de ces marchandifes de
foie pafle chez l'étranger. Ils y emploient plus de
foixante-dix mille livres de foie écrue , dont un
fixième eft déjà du crû du pays. Le produit de la
foie pendant l'année 1784 , dans tous lés États
Prufliens , y compris la Siléfie , a été de treize
mille quatre cents trente - deux livres , dont une
grande partie eft de très-bonne qualité & égale
à celle de France & aux foies ordinaires d’Italie.
io ° . Le baron de He in iz , miniftre d'état du
toi de Prujfe, a publié un mémoire fur les bénéfices
des mines dans la monarchie Pruflienne.
Leur exploitation , félon lu i , forme un objet de
cinq millions de rixdalers j elle occupe & entretient
quatre-vingts huit mille vingt-quatre familles
, qui payent aux diverfes caiffes publiques une
fomme annuelle de foixante & dix-fept mille rixdalers.
Frédéric II. dit M. de Heiniz, n’avoit porté
particulièrement fes vues fur cette branche de
l ’économie^ politique , qü'après la guerre de fept
ans ; jufqu’en 1778 , fe majefté y avoit employé
quatre cents foixante & dix mille rixdalers ; mais
en 1783 , elle afligna- pour cet objet un nouveau
fonds de deux cents foixante mille rixdalers. Les
États du roi payent encore aéhiellement aux étrangers
pour l'importation des productions brutes
du règne minéral , la fomme de huit cents
vingt-cinq mille rixdalers par an ; mais l'exportation
des marchandifes tirées du règne minéral
forme un objet annuel d’un million quarante-huit
mille huit cents trois rixdalers. Dans la monarchie
Pruflienne , un feizième de la population travaille
à l’exploitation des mines. Dans les États Autrichiens
, en Saxe & en Suède , cette branche
d’induftrie occupe trois huitièmes, & en Angleterre,
un tiers de la population. Les mines
dans les États Prufliens font moins abondantes &
moins, lucratives que celles- des pays que l'on
vient de nommer. Un feul exemple prouvera cette
afîertion ; quarante-huit mille quintaux de minerai
de fer des mines de Viez dans la nouvelle Marc
h e , ne produifent que neuf mille quintaux de
gueufe , ou cinq mille fix cents vingt-fix quintaux
de fer etr barres , ce qui fait vingt livres pefant
.& cinq fixièmes de bon fer fur un quintal de minerai.
.
Cette partie augmentera & deviendra de la plus
grande importance par les vâftes carrières de charbon
que l'on exploite dans le comté de la Marck
& que l’on envoyé en Hollande , & dans le
düché de Siléfie , où on les emploie avéc avantage
dans les grandes fabriques de toiles de ce
pays & à leur blanChiîTagé : on a lieu d'efpé-
rer aufli, qu’en les trahfportant à Berlin -3 on
pourra s'en fervir pour fuppléer à la difette de
bois , qui fe manifefte d'ans prefque toute l'Ey^
rope.
ii°^ La navigation des États Prufliens a augmenté
aufli, confidérablement, par la faveur & la
protection que Frédéric II. donnoit' à fon pavillon
, qui étoit refpe&é par-tout & même par les
Maroquins. On employé dans les provinces maritimes,
la Prujfe, la Poméranie & l'Ooft-Frife douze
cents vaiffeaux > en comptant dix hommes d'équipage
par vaifleau , cette marine marchande donne
de l'occupation & de la fubfiftance à douze mil e
matelots. Les vaiffeaux nationaux font prefque
toute l ’importation & l ’exportation des États
Prufliens , & ils commencent à faire un cabotage
confidérable, fur- tout les vaiffeaux d’Embden.
Dans cette v ille , il y a cinq cents matelots ouvriers
, qui vivent prefque uniquement de la pêche
du hareng , & cette pêche produit déjà un
intérêt annuel de fix pour cent à la compagnie
du hareng, fans compter le profit national du
travail.
On regarde la monarchie Pruflienne comme
un État purement militaire , contraire à la population.
M. de Hertzberg croit avoir prouvé qu'elle
a peut-être plus de bons établiffemens civils que
la plupart des autres monarchies , grandes & petites
, qui en abandonnent le foin au hafard & à
l'induftrie des particuliers. Il dit que l’armée Pruf-
fienne eft une véritable milice .nationale, telle que