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Un feul roi de la première race a Voulu établir
un impôt d’ une cruche de vin par arpent de terre,
Les rôles de cette taxe ont été brûlés * un juge
qui avoit perçu l’ impôt a été oblige de fe réfugier
dans une eglife ; & Eredegonde , qu on n acculera
pas fans doute d’avoir pouffé a 1 exces la pieté
ni l’humanité, attribue la mort de fes enfans i
cette vexation du roi fon époux CO*
C ’eft fous la troilième race que les François font
fournis à l’impôt. La dixme faladine eft le premier
véritable impôt que je connoiffe ; ce fut Philippe-
Augufte qui l’établit. La guerre, de la Terre-Sainte
en fut le prétexte. Saint Louis leva aufli des impôts
fur fes fujets , tantôt pour la défepfe du
royaume , tantôt pour la guerre des Albigeois,
tantôt pour la Terre-Sainte j & l’exemple ne fut
pas perdu pour fes fucceffeurs.
Ont - ils cru avoir le droit d’établir les impôts
fans le confentement de la nation ?
Lorfque Philippe-Augufte veut établir la dixme
faladine , il convoque une affemblée.
Saint Louis ne reçoit de fes fujets que des dons ,
des contributions volontaires. La décimé qu il
impofa fur le clergé, ne fut peut-être pas volontaire
î mais le pape l’y avoit autorife , & cela
fuffifoit dans les principes de fon fiècle, pour avoir
le droit de prendre une portion des revenus de
l’églife.
Philippe-le-bel, dont l’avidité & les exactions
ont rendu la mémoire à jamais odieufe ^ Philippe-
le-bel croyoit lî peu avoir le droit d’établir des
impôts fans le confentement des peuples , que
le bëfoin d’argent fut le principal motif qui le
détermina à convoquer 1 affemblee des états - ge-
néraux.-
Quelquefois il fe contenta d’ affembler les états
provinciaux, & d’y envoyer des commiffaires pour
obtenir de nouveaux fublîdes.
Mais dans l’établiffement de tous ces impôts,
il reconnut que les fujets les lui açcordoient de
pure grâce, fans qu’ils y fuffent tenus que de
grâce.
Deux fois Cependant il en établit fans le confentement
de la nation , en 1302 & en 1314.
Dans l’ordonnance qu’ il fit à ce fujet en 1302,
il eft dit qu’elle eft faite de l’avis & confentement
des prélats, des barons & de fes autres confeillers 3
mais il ne croit pas que leur confentement fufHfe
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pour rendre l’impôt légitime. Il donne une inftruc-
tion fecrette à fes commiffaires , *> leur recommande
»» d’affembler les plus fuffifans des villes , de leur
» faire entendre comment cette ordonnance eft
33. courtoife à ceux qui payeront. . . . -de parler
33 au peuple par douces paroles , afin de les at-
33 traire à fon intention . . . . de lui écrire hative-
» ment les noms de ceux qu’ils trouveront con-
33 traites E ft-ce pour punir les mutins au il
demande à les connoitre ? » Non , c’eft pour qu il
33 mette confeil de les ramener par bonnes & d©u-
33 ces paroles , & fi courtoifement que efclandre
33 n’enpuiffe arriver.
En 1 3 1 4 , les états - généraux lui offrent dçs
fecours. 11 abufe de cette offre générale j & , fans
décret ni délibération des états , il établit 1 impo-
fition odieufe & arbitraire de fix deniers par livre
de toutes les marchandifes qui feront vendues dans
le royaume.
C et impôt excite un foulèvement général. Des
ligues, des confédérations faites dans différentes
provinces entre les trois ordres de l ’Etat, aver-
tiffent Philippe qu’un roi ffabufe pas impunément
de fon pouvoir. Il révoque l’impôt , demande
pardon à Dieu,& abfolution au pape d’avoir tant
vexé fes fü'jets , ordonnes fon fils de les fou-
1 lager , & meurt tourmenté de remords (2).
Les hiftoriens (3) parlent d’ une loi de Louis-Ie-
hutin , par laquelle il déclare que ni lui ni fes
fucceffeurs ne pourraient lever aucun fubfîdei à
l’avenir fans le confentement des prélats , des nobles
& des communes, qui en feroient eux mêmes
la levée.
Tous les fucceffeurs de Philippe-le-bel ref-
peéïent ce droit de la nation, au moins jufqu’à
Charles VII.
Quelques hiftoriens ont accufé ce dernier monarque
d’avoir auffi établi des impôts fans le confentement
de la nation. D ’autres le lavent de ce
reproche.
Louis X I ne refpeéla rien. Il traita fes fujets
en efclaves , & difpofa de leurs biens comme fi
c’ eût été fon patrimoine. Mais on a vu ce qu’il
penfoit lui-même des droits de la nation, dans
l’exhortation qu’il fit à fon fils de réduire la
levée des impôts à l’ancien ordre, du royaume,
qui étoit de n’en point faire fans l’o&roi des
peuples.
Charles VIII aima mieux fuivre les confeils que
( 1 ) Grégoire «le T o u r s , liv . y , chap. 19.
( i ) Pour.' tour ce qui concerne Philippe- l e -B e l, v o ye z les
Kang is ; M é ze ra i, abrégé chronologique j SC Boulainyilliers ,
( } ) Nicole Gille , M é z e r a i , Boulainyiliiers.
ordonnances du louvre , le continuateur de Guillaume a®
hiftoire de l’ancien gouvernement de la France.
l’exempt
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l'exemple defoft père. Il n'y èut.d’impôts établis
;lous fon règne g que ceux que lu. accordèrent les
états-généraux affembles a lours.
Louis XII ri’ affembla point les états. , parce
l qu'il n'eut pas befoim d’impôts.^ Il diminua de
[ plus de moitié ceux qui etoient établis , te n en
| créa point. >
I Sous les règnes de François premier te de fes
malheureux defcendans, on ne trouvera qu une
[ alternative perpétuelle d’aveux te de violations
j du droit de la nation.
C'eft fous le miniftère tyrannique de Richelieu
qu’on a ceffé d’ affembler & de confulter la nation
[ pour l’établiffement des impôts. Et depuis cette
époque I 011 a paru croire que 1 enregiftrement
[ dans les cours fouverames remplaçott fumlamment
le confentement des états-généraux. Le fait a amli
dénaturé le droit. ,
I Voilà les droits des peuples & les devoirs des
fouverains , tels que j’ ai cru les voir dans la na-
I ture ; droits imprefcriptibles g droits inaliénables;
[ devoirs qu’on ne viola jamais , fans^ manquer a
[ la juftice éternelle qui venge tôt. ou tard les nations
L opprimées.
Louis X I était teUement convaincu qu’ il avoir
[ mérité la haine de fes-fujets, qu il fe croyoit
obligé de-prendre les plus étranges mefures pour
I fa propre confervation.
» Il n’entroit guère de gens dedans Je Pleflis
1' v du-Parc (qui étoit le lieu où il fe ten o it) , ex-
■ w-cepté gens domeftiques te les archiers , dont
I » il avoit quatre cents , q u i, en bon nombre ,
I » faifoient tous les jours le guet & gardoient la
K as porte.
» Il fit faire un treillis de gros barreaux de fer |
I , , & planter dans la muraille des broches de fer
I „ avec plufieurs pointes.....Aufli fit faire quatre
I » moineaux de fer bien ép ais, & lieu pat ou
I » l’on pouvoit bien tirer a fon a i r e . . . ü t a la
I « fin mit quarante arbalétriers , q u i, jour te
I I » nuit étoient en ces foffés -, te avoient com-
I » million de tirer à tout homme qui en appro-
I » cheroit de n u it , jufqu’à ce que la porte rut
| 33 daverte le matin «. (i)
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» A l'heure que fondit-gendre te le comte de
» Dunoîs revindrent de ramener l’ambaffade qu*
»9 étoit venue aux noces du roi fon fils.... ledit
.. feigneur..,. fit appeller un de fes capitaines des
» gardes , te lui commanda aller tâter aux gens
.. des feigneurs deffufdits , voir s’ils n’avoient
» point brigandines fous leurs robes , & qu il le
» fît comme én fe dévifaat a e u x , fan, trop en
»• faire femblant.
» Ôr regardés.... de quels gens il pouvoit avoir
» fûreté , puifque de fon f ils , fille & gendre il
v avoit fufpicion...* & quelle douleur etoit a cc
■ > roi d'avoir cette paour & ces pallions.
» Voudroit-on dire que ce roi ne fouffrit pas
„ auffi-bien que les autres, qui ainfi s’enfermoit,
» qui fe faifoit garder , qui étoit ainfi en, paour
„ de fes enfans & de tous fes prochains parens,
» & qui changeoit & muoit de jour en jour fes
» ferviteurs qu’ il avoit nourris , & qui ne ce-
» noient bien ne honneur que de lui ; tellement
* qu’en nul d’eux ne fe ofoit fie r , 8c s’enchaî-
» noit ainfi de fi étranges chaînes & clôture ( 0 ?
Voilà le bonheur de Louis X I ; voilà la vie de*
rois oppreffeurs.
Et fi l’on veut favoir comment les François lavent
aimer un bon roi, qu on life I hiftoire de
Dominique de Vie.
C ’étoit un brave militaire , frère de Méri de
Vie , qui fut garde des fceaux fous Louis X l l i .
Dominique fut gouverneur d’Amiens, de Ca-
lais, & vice-amiral. Il aimoit les talens, les vertus »
fa patrie & fon roi.
I l s'informoit, dans tous les lieux ou il coiri-
mandoit, des marchands, te des artifans qui
iouiffoient d’une bonne réputation ; il les vilitoit
comme un ami, il alloit lui - meme les prier a
dîner.
Un coup de fauconneau emporte le gras de la
jambe droite de ce brave homme ; il ne peut
plus monter à cheval fans reffentir des douleurs
infupportables ; il fe retire dans fes terres en
Guienne.
» Quelques cinq ou fix mois devant fa mort,
» avoit fufpicion de tous les hommes.... 11 avoir
» crainte aufli de fon fils, & le faifoit étroitement
», garder. N e nul homme ne le v o y o ït, ne parloir
« à lui j finon par fon confentement. 1' *v01t do,u'?
' » à la fin de fa fille.& de fon gendre, & vouloir
» favoir quels gens entroient au Pleflis quant te
.93 euxc«.
Il y vivoit depuis trois an s , lorfqu’ il apprit
la mort de Henri I I I , les embarras où étoit Henri
IV , & le befoin qu’il avoit de tous fes bons ferviteurs.
Il fe fit couper la jambe , pour être encore en
-état de combattre pour fon pnnee, vendit une
partie de fon bien, alla joindre Henri I V , lut fervit
( i) Mémoires de Commines , liv . 6 , chàp. 7 & t i .
(Boon, polit. & diplomatique. Tom. I K .
M