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s'étendre du côté de la Poméranie j l'état du pays
& fes finances ne le lui permettent pas , 8c elle
eft occupée de la garde de fes pofleflions contre
la Ruflie. Elle a même un très-grand befoin des
fecours du roi de Prujfe pour cela j & ce prince,
par une politique fort naturelle , fe voit obligé de
la protéger de tout fon pouvoir j en un mot , la
puiflance de la Ruflie , qui a éclaté tout d'un
coup fous Pierre, réunit les intérêts de la Prujfe
' & de la Suède.^ Ces liens fondés fur des intérêts
d'Etat, ont été reflerrés par les liens du fang.
Tant que la Ruflie reliera aufli formidable qu'elle
l ’eft , 8c qu'elle gardera fes conquêtes fur la mer
Baltique , la Prujfe doit entretenir fes liaifons avec
la cour de Stockholm, pour réfifter à cette puif-
fance , dont Taggrandillement pourroit devenir
funelle à tout le Nord. Le commerce entre la
Suède 8c les fujets Pruflîens, eft prefque paflif
pour ces derniers > ils ne fauroient cependant y
renoncer, car' ils tirent de la Suède' du cuivre ,
du fe r , & des chofes qui ne fe trouvent point
chez eux.
La Ruflie eft devenu dangereufe pour le roi
de Prujfe. Elle eft formidable par fes propres
forces , par la facilité avec laquelle elle peut fe
rétablir de fes pertes j mais plus encore par fa
fttuation du côté de la Courlande , qui la met
en état d’ arrêter ce monarque toutes les fois qu'il
veut marcher en avant d’un autre côté. Le cabi
net de Berlin a fenti en plufîeurs occafions combien
cette fituation étoit gênante , en particulier ,
lorfque la Ruflie époufa avec tant de chaleur les
intérêts de la maifon d'Autriche Sc de celle de
Saxe. La taérique 8c la valeur Pruflienne ont cédé
quelquefois à la force 8c à l'intrépidité des armées
Rufles. D ’ailleurs le.roi de Prujfe ne peut
rien gagner du côté de la Ruflie , & il peut y
faire des pertes, au moins la Prujfe courroit-elle
le plus grand danger d'être ravagée par les Mofco-
vites. Un auteur Pruflien fouhaitoit pour l'avantage
de fon ro i, » ainlï que pour la plupart des
*> puiflances de l'Europe, que la nation Rufle
39 rentrât dans cette barbarie & ce néant dont
« Pierre I. l’a fait fortir } qu’elle perdit les con-
» quêtes qu'elle a faites fur les Suédois, 8c qu’elle
39 n’eut ni port ni un pouce de terre fur la Balti-
» que j en un mot, qu’elle fpt reléguée dans l’À-
» fie , & n'eut plus rien à démêler avec les affaires
» de notre Europe.» Un fouhait bien plus humain
eut été de defirer que cette nation s'éclairât de
plus en plus, & fe gouvernât par des principes
qui la filfent aimer 8c refpeéter. La cour de Berlin
femble avoir pris le parti le plus fage avec
la Ruflie. Elle paroît vouloir entretenir une bonne
harmonie avec la cour de Pétersbourg, lui montrer
les égards convenables , & conclure des
alliances avec elle. Au refte il fe fait un commerce
fort important entre les fujets du roi de
Prujfe 8c ceux de la Ruflie. Ges derniers rirent de
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Berlin des étoffes, des dorures , des carrofles &
d’autres articles. Les Pruflîens tirent de la Ruflie
des pelleteries , du cuir de rouflfi, de la rhubarbe,
8c toutes les denrées dont ce pays abonde , qu'ils
vendent enfuite aux antres nations de l'Europe.
C e commerce eft fort avantageux aux fujets du
roi de Prujfe. La cour de Berlin ne pouvant empêcher
que cette formidable puiflance fît des
progrès du côté de l'Europe , & en particulier
qu’elle n'acquît une grande influence dans les
affaires de la Pologne, elle a fouvent fait caufe
commune avec la Ruflie, & l’on fait combien
cette politique lui a été avantageufe.
La Porte Ottomane eft une puiflance avec laquelle
le roi de Prujfe n’avoit rien à démêler.
Les fujets Prufliens n'ont aucun commerce direét
en Turquie, les Etats ne fe touchent point, &
il n'y a rien de commun entr'eux. Cependant,
lorfqu’en 1744 & 45 la P ruJfe~ fe trouva en guerre
avec la maifon d'Autriche , 8c qu’elle étoit menacée
par d’autres voifins, il eut été fort avau*
tageux pour elle que le grand-feigneur eut voulu
faire agir quelques milliers de Tartares , ou d'autres
troupes, qui auroient tenu à la fois en échec
la reine de Hongrie , la Pologne & la Ruflie.
Cette confîdération a amené un autre fyftême ,
& les liaifons de la- Prujfe avec la Porte font devenus
beaucoup plus étroites depuis cette épow
que.
Les loix fondamentales de la Prujfe exigent
d’autres foins de la part du roi ; mais nous n’en
parlerons pas ici : nous dirons leulement que la
fucceflion de la maifon de Brandebourg ne tombe
que fur les enfans mâles > les princeffes en font
entièrement exclues.
Voyeç les articles particuliers (les diverfes Etats
de la domination Pruflienne.
Le di&ionnaire des finances parle fort en détail
des impôts, établis dans les différens Etats
du roi de Prujfe.
PU IS SAN CE DE L ’E T A T . On défigne par
ce mot tous les moyens , dont la réunion produit
les forces 8c les reflources néceflaires à iùi
Etat pour fe faire refpefter des autres , fe défendre
contre leurs attaques , 8c faire valoir.,
dans le befoin , les droits 8c les prétentions qu’ il
peut avoir à leur charge. C ’eft à l'acquifition de
ces moyens que tendent naturellement les efforts
de tous les gouvernemens j c'eft le but de la
politique : 8c nous allons développer les expé-
diens légitimes qu'elle imagine pour y parvenir.
On fe tromperoit fo r t, d’imaginer que la p uif
fance d'un Etat dérive de la vafte étendue de
terrein qu'il occupe. Si on jette les yeux fur
une carte géographique , & il on mefurê les limites
de l ’empire Ottoman , on Ce convaincra
qu'il jeft fur le globe des peuples auxquels des
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domaines étendus ne donnent pas de la force j
& fi on a tiré quelques avantages de toutes les
parties du vafte empire de Ruflie, on peut dire,
que bien adminiftré , il feroit encore plus puif-
fant avec moins d'étendue. D'ailleurs, plus un
pays .eft étendu , plus fes forces fe divifent,
plus il a de voifins , plus il peut être attaqué
en divers endroits. Chaque province, même la
plus éloignée, a befoin de proteélion , 8c cette
protection peut devenir dangereufe à l'Etat qui
la donne. On ne parle pas ici de ces empires
de moyenne grandeur, tels qu’ilis font en Europe
} mais de ces monarchies immenfes, telles
qu’en offre l'hiftoire ancienne , ou l'Afie moderne.
Dans celle-ci les gouverneurs civils ou
militaires des provinces éloignées , le peqchanr
naturel des peuples à l’ indépendance, l'efprit de
rébellion , le levin de mécontentement qui fermente
t ro p fo u v e n t , 8c mille autres inconvé- ;
niens , affoibliflent les reflorts qui doivent tenir
line machine dans un mouvement éga l, 8c relâchent
le lien de l’aflociation. Si un pareil empire
comprend des mers , des pays incultes , inhabités
o‘u mal peuplés, l ’étendue du terrein, loin
d’ajouter à fa puiflance, l'affoiblit au contraire,
parce que ces efpaces inutiles rendent la communication
entre les provinces très-difficile, 8c
demandent à être gardés avec autant de foins 8c
de dépenfes, que s’ils en valoient la peine.
On ne doit pas croire non plus que la multitude
d’habitans rende feule un Etat formidable.
C'eft la qualité, 8c non la quantité des fujets, qui
lui donne des forces. f l faut mille reflources pour
faire mouvoir les armées, 8c encore plus d'arran-
gemens antérieurs pour qu’elles agiflent avec fuc-
cès. On në doit pas fe laifler éblouir par les
conquêtes rapides que des peuples innombrables,
mais farouches , fortis du Nord , firent autrefois
fur les nations d’alors les plus policées de l ’Europe.
Les Goths 8c les Vandales parurent dans
un tems où aucun Etat n'étoit bien réglé , où
tout étoit dans une confufion 8c dans une foi-
blefle dont ils profitèrent. Ils auroient été re-
poufles par le premier voifin qu'ils auroient attaqué
, fi le fyftême général de l'Europe avoit été
fur le pied où il fe trouve aujourd’hui. Nous
avons vu les forces Ottomanes arrêtées par la
république de Venife, infultées continuellement
par l'ordre de Malthe, 8c fe brifer contre la maifon
d’Autriche. Les richefles faétices ne font pas
non plus la puijfance d'un Etat. L'Efpagne , le
Portugal 8c la Hollande le prouvent. Mais l’ ha
bileté à favoir tirer parti de l’étendue du pays ,
du nombre des habitans , & de la mafle des richefles
, véritables^ ou fa&ices , répandues dans
l ’E tat, contribue à fa p.'ijfance.
La politique, en traitant de la pui(fance des
Etats , diftingue leur puiffance réelle & leur puiffance
relative. Cette diftin&ion eft eifenrielle, &
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fert de baie à toutes les réflexions que l'on peut
faire fur cette matière, aux différens fyftêmes que
chaque gouvernement embraffe , 8c aux mefures
qu'il peut prendre.
Les caractères ou propriétés de la puijfance
réelle 8c intrinfèque dans l'état aétuel des chofes,
font en général : i ° . Qu’un Etat embraffe une
grandeur raifonnable de terrein. Les miniatures
ne pàroiflent grandes qu'à travers un microfcope j
& l’illufion des fouverains ou des fujets des petits
Etats, difparoît trop fouvent au premier démêlé
qu'ils ont avec les puijfances formidables.
1 9. Que le pays foit bien peuplé, car une province
déferte ajoute peu de chofe aux forces
d'un Etat. 3°. Que fa fituation locale foit*avan-
tageufe, parce qu'un pays feul, placé relativement
au commerce ou au fyftême politique, quelque
puiifant qu'il foit en lui-même , ne fauroit
avoir une grande influence dans le fyftême des
autres Etats de l’Europe. C 'eft ainfi que la C h in e ,
avec toutes fes avantages, n'eft formidable pour
perfonne. Pour qu'un Etat puifleêtre compté dans
la-première clafle, il e ft, de plus, néceflairequ'il
touche à la mer, pour avoir une navigation 8c
des forces maritimes. 40. Qu’ un Etat ait de l’in—
duftrie, du commerce , & par conféquent beaucoup
de richefles, Le défaut de cette* qualité,
dans les vaftes Etats de la maifon d’Autriche ,
fait que cette puijfance ne fauroit ag'r que foible-
ment fans les fecours pécuniaires de fes alliés.
50. Que l'Etat tienne immédiatement au fyftême
de l’Europe , c'eft-à-dire , qu’il foit en liai fon
avec toutes les autres puijfances, qu'il envoyé
par tout des miniftres, 8c que fes négociations
lui donnent une influence dans toutes les grandes
affaires. Quand le corps Helvétique auroit plus
de forces intrinfèques qu’il n'en a , on ne pourroit
le mettre au premier rang des puijfances,
tant qu'il n’entretiendra pas plus de liaifons avec
les autres cours. 6°. Que la nation qui compofe
l’Etat foit pleine de courage, animée par le point-
d'honneur, ou par l’amour de la patrie, a&ive
8c capable de foutenir les fatigues de la guerre.
Au défaut de ces qualités dominantes' 8c de cet
efprit national, il eft des puijfances dont les provinces
font difperfées , & qui compofent leurs
armées de recrues de diverfes7 nations, parmi
lefquelles il ne fauroit régner la même façon de
penfer 8c la même valeur, mais qui fuppléent à
cet inconvénient par une admirable difeipline mi-
i litaire. On l’a vu dans les légions Romaines , &
nous le voyons encore aujourd’hui dans les troupes
Prufliennes. 70. Que l’Etat foit gouverné
d’après un fyftême diéïë par la fageffe , ou que
les erreurs de l’adrniniftration ne puiflent détruire
les forces fans celle renaiflantes de l’Etat. C'eft
en vain qu’il auroit tous les avantages que nous
venons d'indiquer3 fi l’ignorance, la fuperftition,
k capriçe ; la folie préfuient au confeil du fouve