
lière conftate qu'il n’ eft point de pays où la juf-
tice foit plus corrompue qu'en Egypte , en Syrie
& fans doute dans le refte de la Turquie. La vénalité
n’eft nulle part plus hardie, plus impudente :
on peut marchander Ton procès avec le quâdi ,
comme Ton marchanderoit une denrée. Dans la
fou le , il fe trouve des exemples d'équité, de fugacité
> mais ils font rares , par cela même qu’ils
font cités. La corruption eft habituelle , générale 3
8c comment ne le feroit-elle pas , quand l’intégrité'peut
devenir onéreufe & l’improbité lucrative
j quand le qtiâdi, arbitre en dernier .reffort,
ne craint ni révifîon , ni châtiment ? quand enfin
ce défaut de loix claires 8c précifes offre aux paf-
fions mille moyens d’éviter la honte d*une injuf-
tice évidente, en ouvrant le fentier tortueux des
interprétations 8c des commentaires ? Tel eft l’état
de la jurifprudence chez les titres , qu’il n’exifte
aucun code public 8c notoire, où les particuliers
puilfent apprendre quels font leurs droits refpec-
tifs. La plupart des jugemens font fondés fur des
coutumes non écrites, ou fur des dédiions de
dotleurs fouvent contradictoires. Les recueils de
ces déniions font les fouis livres où les juges ptuf-
lent acquérir quelques notioais.de leur emploi j
8c ils n’y trouvent que des cas particuliers plus
propres à confondre leurs idées qu’ à les éclaircir.
Le droit romain fur beaucoup d’articles a fervi de'
bafe aux prononcés des do&eurs mufulmans ; mais
la grande 8c inépuifable fource à laquelle ils recourent
, eft le livre très-pur, le dépôt de toute
connoiflançe, le code de toute légiflation, le qôran
du prophète.
De t influence de la religion de Vempire Ottoman.
Il s’en faut beaucoup que l’efprit de l’iflamifme
foit propre à remédier aux abus du gouvernement:
l ’on peut dire au contraire qu’il en eft la fource
originelle. Pour s’ en convaincre , il fuffit d’examiner
le livre qui en eft le dépôt. En vain les mufulmans
avancent-ils que le qôran contient les germes
8c même le développement de toutes les connoif-
fances de la légiflation , de la politique, de la jurifprudence
: le préjugé de l’éducation, ou la partialité
de quelque intérêt fecret, peuvent feuls
diéter ou admettre un pareil jugement. Quiconque
lira le- qôran, fera forcé d’avouer , qu’il ne préfente
aucune notion, ni des devoirs des hommes
en fociété, ni de la formation du corps politique,
ni des principes de l’art de gouverner, rien en un
mot de ce qui conftituè lin code Iégiflatif. Les
feules loix qu’on y trouve fe réduifent à quatre ou
cinq ordonnances relatives à la polygàmiç, au divorce
, à l’efclavage, à la fucceflion des proches
parens, 8cc. 8c ces ordonnances, qui ne font
point un corps de jurifprudence, y font tellement
contradictoires, que les docteurs difputent encore
pour les concilier. Le refte n’eft qu’ un tiffu vague
de phrafes vuides de fens 3 une déclamation cmphatique
d’attributs de Dieu qui n’apprennent rfen
à perfonne 3 une allégation de contes puériles, de
fables ridicules 3 au total, une compofition fi platte
8c fi faftidieufe, qu’il n’y a perfonne capable d’en
foutenir la leCture jufqu’au bout, malgré l’élégance
de la traduction de M. Savari.
De tous les hommes qui ont ofé donner des
loix aux peuples , nul n’a été plus ignorant que
Mahomet 5. de toutes les compofitions abfurdes
de I’efprit humain, nul n’eft plus miférable que fon
livre. C e qui fe pafle en Àfie depuis douze cens
ans, peut en faire la preuve : car fi l’on vouloit
paffer d’un fujet particulier à des confidérations
générales , il ferait aifé de démontrer que les
troublès'des états, 8c l’ignorance des peuples dans
cette partie du monde , font des effets plus ou
moins immédiats du qôran 8c de fa morale.
De la propriété & des. conditions en Syrie.
Les fultans s’étant arrogé, à titre de conquête,
la propriété de toutes les terres en Syrie y il n’exifte
pour les habitans aucun droit de propriété foncière
, ni même mobiliaire j. ils ne pofsèdentqu’en
ufufruit. Si un père meurt, fa fucceflion appartient
au fultan ou à fon fermier, 8c les enfans ne recueillent
l’héritage qu’en payant tin rachat toujours
confidérable. De-là, pour les pofleflîons en tonds
de terre , une infouciance funefte à l’agriculture.
Dans les villes, la poffeffion des maifons a quelque
chofe de moins onéreux5 mais par-tout l’on
préfère les biens en argent, comme étant plus faciles
à- dérober aux rapines du defpote. Dans les
pays abonnés, comme ceux des Druzes, des Maronites
, des Hafbeya, 8cc. il exifte une propriété
réelle fondée fur des coutumes que les petits princes
n’ofent violer : aufli les habitans font-ils tellement
attachés à leurs fonds, que l’on n’y voit
prefque jamais d’aliénation de terre. Il eft néanmoins
fous la régie des turcs , -un moyen de s’af-
furer une perpétuité d’ufufruit : c’eft de faire ce
que l’on appelle an ouaqf, c’eft-à-dire, une attribution
ou fondation d’un bien à une mofquée. Dès-
lors le propriétaire devient le concierge inamovible
de fon fonds , fous la condition d’une redevance
, 8c fous la protection des gens (Jedoi 5 mais
cet aCte a l’inconvénient que fouvent au lieu de
protéger , les gens de loi dévorent : alors , auprès
de qui réclamer, puifqu’ils font en même
teras gens de juttice ? Par cette rai fon, ces gens
de loi font prefque les'feuls à pofleder des biens
fonciers, & l’on ne voit point dans les pays
turcs cette foule de petits propriétaires, qui faiç
la force £c la richefie des pays abonnés.
Etat des pay fans & de l'agriculture en Syrie.
Lorfque le fultan Selim çut conquis la Syrie ,
pour rendre plus aifée la perception du revenu, il
établit un feul impôt territorial, qui e|t celui que
Ton appelle miri. Il paroît, malgré fon caraCtère
farouche, que ce fultan fentit l’importance de ménager
le cultivateur 3 car le miri comparé à l’étendue
des terreins, fe trouve dans une proportion
infiniment modérée : elle i’eft d’autant plus, qu’au
tems où il fut réglé , la Syrie étoit plus peuplée
q if aujourd’h u i, 8c peut-être aufli commerçante ,
puifque le Cap de Bonne-Efpérance n’étant pas
encore bien fréquenté, elle fe trouvoit fur la route
de l’Inde la plus pratiquée. Pour maintenir l’ordre
dans la perception , Seiim fit drefîer un deftar ou
regiftre, dans lequel le contingent de chaque vil-
' lage fut exprimé. Enfin, il donna au miri un état
invariable, 8c tel que Ton ne peut l'augmenter ni
Je diminuer. Modéré comme il é toit, il ne devoit
jamais obérer le peuple j mais par les abus inhé-
rens à la conftitution , les pachas 8c leurs agens
ont trouvé le fecret de le rendre ruineux. N ’ofant
violer la loi établie par le fultan fur l’invariabilité
de l’impôt , ils ont introduit une foule de'charges
q u i, fans en avoir le nom , en ont tous les effets.
Ainfi , étant les maîtres de la majeure partie des
terres, ils ne les concèdent qu’à des conditions
onéreufes 3 ils exigent la moitié 8c les deux tiers^le
la récolte 3 ils acaparent les femences 8c les bef-
tiaux, enforte que les cultivateurs font forcés de
les acheter au-deflus de leur valeur. La récolte
faite, ils chicanent fur les prétendus vols ; 8c
comme ils ont la force en main, ils enlèvent ce
qu’ils veulent. Si l ’année manque, ils n’en exigent
pas moins leurs avances , 8c ils font, vendre pour
fe rembourfer tout ce que pofsède le payfan. Heure
ufement que fa perfonne refte libre, 8c que les
turcs ignorent l’art d’emprifonner pour dettes
l ’homme qui n’a plus rien. A ces vexations habituelles
fe joignent mille avanies accidentelles : tantôt
l’on rançonne le village entier pour un délit
vrai ou imaginaire 3 tantôt on introduit une corvée
d’ un genre nouveau. L’on exige un préfent à
l ’avènement de chaque gouverneur 3 l’on établit
une contribution d’herbe pour fes chevaux, d’orge
8c de paille pour fes cavaliers : il faut en outre
donner l’étape à tous les gens de guerre qui paf-
fent ou qui apportent des ordres , 8c les gouverneurs
ont foin de multiplier ces commiflaires qui •
deviennent pour eux une économie , 8c pour les ;
payfans une fource de ruine. Les villages tremblent
à chaque laouend qui paroît ; c ’eft un vrai brigand
fous le nom de foldat j il arrive en conquérant, il
commande en maître : chiens , canaille, du pain,
du tabac, du café, je veux de l’orge , je veux de
la viande. S’il voit de la volaille il la tue 3 8c lorf-
qu’il part, joignant l’ infulte à la tyrannie , il.demande
ce que l’on appelle kere-el-dars, c’eft-à~
d ire, le louage de fa dent molaire. En vain les
paifans crient à l’injuftice : le fabre impofefilence.
La réclamation eft lointaine Sc difficile 3 elle pour-
roit devenir dangereufe. Qu’arrive-t-il de toutes
ces déprédations ? Les moins lires du village fe ruinent
, ne peuvent plus payer le miri, deviennent
à charge aux autres, ou fuient dans les villes ;
comme le miri eft inaltérable 8c doit toujours
s’acquitter en entier, leur portion fe reverfe fur
le refte des habitans 3 8c le fardeau, qui d’abord
étoit léger, s’appefantit. . . S’ il arrive deux années
de difette ou de féchereffe , le village entier
eft ruiné 8c fe déferte 3 mais fa quotité fe reporte
fur les voifins. La même marche a lieu pour le
karadj des chrétiens : la fortune-en ayant été fixée
d’après un premier dénombrement, il faut toujours
qu’elle fe trouve la même , quoique le nombre
des têtes foit diminué. De-là il eft arrivé que
cette capitation a été portée de trois , de cinq ,
8c de onze piaftres où elle étoit d’abord , à trente-
cinq 8c quarante j ce qui obère abfoîument les
contribuables, 8c les force de s’expatrier. C ’eft
fur-tout dans les pays d’apanage 8c dans ceux qui
font ouverts aux arabes, que ces fardeaux font
écrafans. Dans les premiers, le titulaire, avide
d’augmenter fon revenu , donne toute liberté à
fon fermier d’augmenter les charges 5 8c l’avidité
de ces fubalternes ne demeure pas en arrière : ce
font eux q u i, raffinant fur les moyens de preflurer,
ont imaginé d’établir des droits fur les denrées du
marché, fur les entrées , fur les tranfports , 8c de
taxer jufqu’ à la charge d’un âne. L'on obferve
que ces exactions ont fait des progrès rapides ,
fur-tout depuis -quarante années, 8c l’on date de
cette époque la. dégradation des campagnes , la
dépopulation des habitans 8c la diminution du
numéraire porté à Conftantinople. A l’égard des
Bédouins, s’ils font en guerre, ils dévorent à titre
d’hôtes : aufli dit-on en proverbe : évite le Bédouin
comme ami ou comme ennemi. Les moins malheureux
des payfans , font ceux des pays abonnés,
tels que le pays des Druzes , le Kefraouan , Na-
blons, & c . Cependant, là même encore, ifrègne
des abus 3 il en eft un entr’autres que l’on doit regarder
comme le plus grand fléau des campagnes
en Syrie ; c’eft l’ufure portée à l’excès le plus
criant. Quand les payfans ont befoin d’avances
pour acheter des femences , des beftiaux , ils ne
trouvent d’argent qu’en vendant en tout ou en
partie leur récolte future au prix le plus vil. Le
danger de faire paroître de l’argent, reTerre" la
main de quiconque en pofsède 3 s’il s’en deflaifit,
ce n’eft que dans l’efpoir d’un gain rapide 8c ex-
horbitant-: l’intérêt le plus modique eft de douze
pour cent 5 le plus ordinaire eft de vingt 3 & fouvent
il monte à trente.
Par toutes ces caufes , l’on conçoit combien la
condition payfans doit-être miférable. Partout
ils font réduits-au petit pain plat d’orge ou de
doura, aux oignons, aux lentilles ou à l ’eau.
Leurs organes fe connoiffent fi peu en mets, qu’ils
regardent de l’huile forte 8c de la graille once
comme un manger délicieux. Pour ne rien perdre
du grain , ils y iaiffent toutes les graines étrangères
, même l’ivraie qui donne des vertiges 8c des