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FoueA: & du fud-oueft de l’Europe y qu’il s'eft
aboli par degrés»
Quelle amélioration de culture attendre des
grands propriétaires , qui n’ont d’autres cultivateurs
que leurs efclaves ? L’expérience^ de tous
tes fiècles & de toutes les nations , démontré ,
je penfe, que« quoique 1 ouvrage des efclaves ne
femble coûter que leur entretien , il eft neanmoins
dans l’Ancien-monde plus cher que tous les
autres., Si cette remarque n’ eft pas encore applicable
à quelques cultures du Nouveau-monde ,
elle fe vérifiera peut-être bientôt 'en Amérique
comme en Europe, c’eft: à-dire à l’époque où les
terres épuifées rendront beaucoup moins. Une per-
qui ne'peut acquérir de propriété , ne peut avoir
d'autre intérêt que de manger le plus , & de travailler
le moins qu'il lui eft pôffible. Tout ce
qu’il fait au-delà de céq ui fuffit pour acheter fa
fubfiftance , peut lui être arraché de force , mais
ne viendra jamais de la confideration d aucun intérêt
qui lui foit perfonnel. Pline & Columelle
ont remarqué combien la culture du bled dégénéra
dans l’ancienne Italie1/ ^ combien elle porta
de préjudice aux maîtres , quand elle tomba entre
les mains des'efclaves. Elle ne fut pas plus heu-
reufe dans l’ancienne Grèce du. tems d’Ariftote.
En parlant de ce qu’on appelle la république
idéale , tracée dans les loix de Platon , il dit que 3
pour nourrir cinq mille hommes oifîfs ( nombre
de guerriers fuppofé néceffaire à fa défenfe ) ,
avec leurs femmes & leurs ferviteurs , il faudroit
un territoire fans bornes , & d’une fertilité feiq-
blable à celle des plaines de Babylone.
L ’orgueil de l’homme le porte à dominer , &
rien ne le mortifie tant que d’être obligé de.s’a-
bailfer à perfuader fés inférieurs. Par cette raifon,
toutes les fois que la loi le lui permettra , & que
la nature de l’ouvrage le comportera, il aimera
mieux le fervice des efclaves que des gens libres.
Les plantations de fucre & de tabac fourniffent
encore à la dépenfede la culture par des efclaves.
Le bled , ce femble , ne peut y fournir à préfent.
Dans les colonies de l’Amérique feptentrionale,
dont le principal produit eft en bled , la plus
grande partie de l’ouvrage fe fait par des hommes
libres. La dernière réfolution des^ quakers de la
Penfylvanie , de mettre en liberté tous leurs ef-
cîaves nègres,, prouve qu’ils n’en avoient pas un
grand nombre. C e projet n’eût pas été généralement
adopté, files nègfes avoient fait une partie
confidérable de leurs propriétés. C e font , au
contraire , les efclaves qui font tout l ’ouvrage
dans nos colonies à fucre., & qui le font prefque
tout dans nos colonies à tabac. Nous avons dans
les Indes occidentales quelques^ colonies où les
profits des plantations de cannes à fucre font beaucoup
plus grands que ceux d’aueu,ne autre culture
connue, foit en Europe, foit en Amérique}
U 9 comme je i%i obfeivé-ailleurs, ceux que rap- i
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porte le tabac, quoiqu’ inférieurs à ceux du fucre*
l’emportent fur ceux du bled. Le fucre & le tabac
peuvent donc fournir à la dépenfe de la culture par
des efclaves , & le fucre le peut encore mieux que
le tabac. Voilà pourquoi le nombre des nègres eft,
beaucoup plus grand , en proportion du nombre
des blancs, dans nos colonies à fucre, que dans
celles à tabac.
Aux efclaves qui cultivoient anciennement,
fuccéda , par degrés, une efpèce de fermiers ,
connue aujourd’hui en France wms le nom de
métayers. On les appelle en latin Coloni paniarii.
11 y a fi long-tems qu’ils ne font plus d’ ufage en
Angleterre, qu’on ne leur connoît point de nom
dans la langue angloife. Le propriétaire leurfour-
niffoit les femences, le bétail, les inftrumens
d’agriculture , en un m o t, tout ce qui eft nécef-
faire pour une ferme. Le produit fe partageoit
également entre le propriétaire & le fermier,
après en avoir prélevé ce qu’on jugeoit néceffairq
pour l’entretien du fonds , qui revenoit au propriétaire
lorfque le fermièr le quittoit.
A proprement parler, la terre occupée par de
pareils tenanciers , eft cultivée aux dépens du propriétaire
, ni plus ni moins que celle qui eft occupée
par des efclaves : il y a cependant une différence
effentielle entre les uns & les autres. Ces
tenanciers étant des hommes libres, peuvent acquérir
en propriété, & comme ils ont une certaine
portion dans le produit de la terre , ils ont
un intérêt fenfible à augmenter ce produit, pour
que leur part foit meilleure. Mais un efelave qui
ne peut rien acquérir que fa fubfiftance , trouve fon
bien-être à ne faire produire à fa terre que le moins;
pôftible , au-delà de cettç fubfiftance. Il eft pjo^
bable que l’abolition graduelle du fervage , dans
la pins grande partie de l’Europe , vient en partie
de ce qu’on fentit cet avantage, & en partie des
ufurpations que les vilains firent fur l’autorité de
leurs feigneurs , d’après l’encouragement qu’ils
recevoient du fouverain , toujours jaloux des-
grands propriétaires. Le tems & la manière dont
fe.fit cette importante révolution font un des
points les plus obfcurs de l’hiftoire moderne,
L’égîife de Rome fe vante d’y avoir beaucoup
contribué, & il eft sûr que, dès le douzième
fiècle, Alexandre 111 publia une bulle pour l’émancipation
générale des efclaves. Cette bulle paroît
pourtant avoir été plutôt, une pieufe exhortation,
qu’une loi obligatoire pour les fideles. L’efcla-
vage fubfifta encore prefque généralement plusieurs
fiècles.après, jufqu’à ce qu’il fût détruit
peu-à-peu par l’aélion réunie des deux intérêts
dont je viens de parler , celui du propriétaire
d’un c ô té , & celui du fouverain de l’autre,. Un
vilain qui venoit d’être affranchi n’âvoit pas de
fonds à lui. Pour continuer de cultiver’ la terre-;,
il avoit befoin que le propriétaire lui avançât des
fonds , & il ;devenoit par-là ce que les françoifc
appellent un métayer»
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L ’intérêt de cette dernière efpècë de cultiva-,
.teurs ne potivoit jamais être d’employer aucune
partie du petit fonds qu’ils pouvoient amaffer fur.
le partage du produit., à une plus grande-,amélioration.
de la terre, parce que le feigneur, qui
n’y mettoit rien , auroit eu la moitié du furcroît
qu’elle auroit donné. La dîme , qui. n’eft que la
dixième partie du produit, eft un grand obftacle
à l’amélioration des terres. C ’en étoit donc,un
invincible, qu’une taxe qui équivaloir à la moitié)
du produit. L'intérêt du métayer pouvoir bien,
être de tirer de la terre tout ce qu’il pouvoit, j
avec les fonds que lui folirniffoit le propriétaire}
mais il n’étoit pas également intéreffé à lui ajouter
îa moindre partie de fes propres fonds. En France’,
où l’on dit que cette efpèce de cultivateurs forme
encore les cinq fixièmes de tout le royaume , lès /
propriétaires fe plaignent que leurs; métayers né j
manquent jamais l’occafion de faire fervif le bétail
du maître à des charrois plutôt qu’à la culture
, parce que dans le premier cas , tout le
profit eft pour le fermier, ail lieu que dans le
fécond , il le partage avec fon maître. Cette forte
de tenanciers fubfifte en quelques endroits d’E-
coffe. Il faut probablement ranger dans leur claffe 1
lés anciens tenanciers anglois , que le chef-
baroffiGilbert & le doéfeur Blackftorie prennent
plutôt pour des baillifs de feigneurs que pour
leurs fermiers.
A cette efpèce de tenanciers fuccédèrent par
degrés, mais très-lentement, les fermiers proprement
dits , qui cultivèrent les terres avec leur
propre fonds , en payant une rente fixe au propriétaire.
Lorfque ces fermiers ont un bail pour
plufieurs années, ils peuvent trouver leur intérêt
à employer une partie de leur capital à ‘ améliorer
la ferme , parce qu’ils peuvent quelquefois
efpérer qu’il rentrera , avec de grands profits,
avant l’expiration du bail. Mais la pofTeffion de
ces fermiers a été long - tems extrêmement précaire
, & l’eft encore dans plufieurs parties de
l ’Europe. Ils pouvoient être évincés de leur bail
par un nouvel acheteur} ils pouvoient même l’ être
en Angleterre, par l’aétion fi&ive du common
recovery ( du retrait ordinaire ) } s’ ils étoient illégalement
dépoffédés par la violence de leur maître
, la réparation qu’ils obtenoient étoit très-
foible. L’aéàion par laquelle ils pourfuivoient cette
réparation n’aboutifToit pas toujours à les remettre
en pofTeffion de la terre} on fe contentoit
de leur adjuger des dommages, qui ne conipen-
foient jamais leur perte réelle. En Angleterre
même, le pays de l ’Europe où la claffe des laboureurs
a toujours été refpeétée , ce ne fut que
vers la . quatorzième année d’Henri V I I , qu’on
imagina l’a&ion de dépoffeffion , par laquelle un
tenancier obtient, non des dommages , mais fa
réhabilitation. On a trouvé dans cette aéfcion un
remède fi efficace, que, lorfquun propriétaire
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eft dans, le cas de plaider pour la pofTeffion de la
terre , il fait rarement ufage des avions qu’il a
proprement .comme feigneur-, favoir, le décret
de droit ou le décret de prife de pofTeffion > mais
il pourfuit au nom de Ton tenancier , par la
loi concernant la dépoffeffion. Ainfi , en Angleterre
la sûreté du tenancier eft égale à celle du
propriétaire. D ’ailleurs un bail à vie , de quarante
fehelings de redevance annuelle , y eft regardé
comme un franc-fief, & donne au. prëneur le
droit de voter dans l’éleâion d’un membre du
parlement} & , comme une grande partie de la
clafTe des bons laboureurs a des franc-fiefs de
cette efpèce, tout l ’ordre tire de-là une confidé-
ration politique qui les rend refpe&ables à leurs
feigneurs. On ne voit , je penfe , nulle .part eu
Europe, excepté en Angleterre, des tenanciers
bâtir fur la.terre dont ils ont le bail , & compter
que l’honneur du propriétaire ne lui .permettra
pas de fe prévaloir d’une amélioration fi importante.
Ces loix & ces coutumes , fi favorables à
la clafTe des laboureurs , ont peut être plus contribuées
à la grandeur aétueHe de T Angleterre,
que tous fes règlemens de commerce fi vantés ,
à les prendre non féparément, mais tous en-
femble.
La loi qui garantit les plus longs baux contre
toutes les efpèces de fucceffiôns, eft , autant que
je puis le favoir, particulière' .à la Grande - Bretagne.
Cette sûreté fut introduite en Ecoffe dès
Tan 1449 } par une loi de Jacques II ; mais fon
influence falutaire a été fort traverfée par les
fubftitutions } les héritiers d’un bien fubflitué fe
trouvant en général, privés de la liberté de faire
des baux pour un long terme, & fouvent d’en
faire pour plus d’ un an. Un dernier a&e du parlement
a donné un peu plus de carrière à cet
égard, mais il laiffe encore trop de gêne. J'ajouterai
qu’en Ecoffe les fiefs qu’on., tient à bail ne donnent
point au fermier le droit d’élire un membre
du parlement, & que par cette raifon la claffe
| des bons laboureurs n’eft pas fi refpeétée des pro-
; priétaires qu’elle l’en en Angleterre.
En d’autres parties de l ’Europe , après avoir
garanti les tenan.cierrs contre les héritiers & les
nouveaux acquéreurs, on a borné cette garantie
à un terme fort court 5 en France , par exemple,
elle l’eft à neuf ans , à dater du commencement
du bail. .11 eft vrai que dernièrement on Ta prolongée
jufqu’ à vingt-fept ans, terme encore trop
court pour encourager le fermier à faire les améliorations
les plus importantes. Les propriétaires
des terres étoient jadis légiflateurs dans toute
l’Europe .} c’eft pourquoi les loix fur les terres ont
été toutes calculées d’après ce qu’on fuppofoit être
l’intérêt du propriétaire. C ’eft pour fon intérêt
qu’ils ont imaginé qu’aucun bail, accordé par fes
prédéceffeurs , ne devoir l ’empêcher de jouir de
Ja pleine valeur de fa terre. L ’avarice & Tinjuftiçc