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rain, il ne fera jamais puiffant. L'empîre d'Orient
étoit formidable fous tous les rapports 3 mais la
lu perdition 8c l’imbécillité des derniers empereurs
de Conftantinople le firent tomber dans la
décadence & dans l’anéantiflement.
A l'égard de la puijfance relative , on doit ob-
ferver qu’elle vient de la foiblefle des Etats cir
convoifins. Lorfque tout ce qui nous environne
elt petit, no(us pouvons jo u e r , avec des forces
médiocres , un grand rôle dans le monde y parce
que les idées de grandeur, de puijfance ,. 8cc.
font toujours relatives. C'eft ainfi que les républiques
de Lacédémone 8c d'Athènes étoient for- 1
midables, parce que toute la Grèce fe trouvoit
divif^e en diverfes républiques 8c Etats moins
puiflans, 8c que le refie du monde connu n'é-
toit encore que barbare. Aujourd'hui toute la
Grèce enfemble ne forme qu'une petite province
de l'empire Ottoman. On pourroit dire la même
chofe des Etats qui partagent l'Italie , 8c qui ,
fans avoir une grande puijfance réelle , ne laifient
pas que d'être refpe&ables les uns aux autres ,
en raifon de la puijfance relative que chacun d'eux
poffède.
Une troifième forte de puijfance eft celle que
donne lâJfîtuation locale de l'Etat. On ne petit
citer ici un exemple plus frappant, que celui du
rbi de Sardaigne. La puijfance réelle de ce prince
n'eft prefque rien j 8c à bien confidérer lès cho-
fes , le marquis de Piémont nourrit le duc de Savoie
8c Je roi de Sardaignej mais fes Etats font fi
favorablement fitués , qu'on peut dire qu'il tient
la porte de l'Italie', 8c qu’il eft non - feulement;
formidable à tous les autres Etats de cette contrée
} mais que les plus grandes puijfances de l'Europe
ne doivent point, efpérer , lorfqu’elles portent
leurs armes par - delà les Alpes , d'y avoir
des fuccès brillans , s'il fe déclare contre eux &
s'oppofe à leurs progrès. L a . guerre de 1734 3
où le roi de Sardaigne étoit du côté de !a Fran
ce., 8c celle de 1 7 4 1 , où il avoit embrafle le parti
de la maifon d’Autriche , ont confirmé cette vérité.
Voyei l'article P iém o n t .
L a S u ifle , que l’on peut appeller une puijfance
défertfive , jouit aufli par la fituation locale de
fes cantons , de cette efpèce de force.
Il eft une quatrième forte de puijfance , que
l ’on peut .appeller.d'opinion , parce qu'elle n'eft
point fondée fur des forces réelles , mais fe fou
tient par le refpeét ou la confidération que lui
portent toutes les nations de l’Europe. Si l'on
envifage Je pape comme un princé féculier, il
eft fur que ton pouvoir n'eft guères redoutable.
De petites provinces énervées, fans induftrie,
fans commerce, fans reftources, de mauvaifes troupes
& en petit nombre,.des fujets fans vigueur
& amollis par l'indolence £ annoncent afifez. la
foibleflç. V y e i l'article Eglise. (Etat del*) Maïs
U l’on ajoute à cette puijfance temporelle, quelque
petite qu'elle fo it , l’autorité fpirituelle du faint-
fiege , qui eft fondée fur les principes religieux
des peuples catholiques romains 3 fi l'on envifage
fous cet afpeft le pontife de Rome comme
chef de la chrétienté } fi l'on réfléchit fur l'influence
extraordinaire qu’il a . en cette qualité
dans tous les cabinets , fur celle qu'il conferve,
malgré les pertes qu'il a faites dans les derniers
tems} & fi 1 on fonge à fon pouvoir fur toutes les
confidences , on ne fera plus étonné qu'une puif-
Jance fi foible fe loit maintenue tant de ftècles ,
aitfouyent donné la loi aux autres fouverains, &
difpofé quelquefois de leurs Etats. L'ordre de
Malthe ne feroit jamais devenu une puijfan.e ,
il auroit fuccombe fous le poids immenfe de la
Porte Ottomane, fi les intérêts des grandes nations
Européennes ne foutenoient cet Etat politique
, dont l'eflence 8c le pouvoir eft fondé far
l ’opinion.
Enfin , il y a des Etats de l’Europe qui jouif-
fent d'une puijfance qu'on peut nommer accefloi-
re , lorfqu’ils pojfèdent des provinces & contrées
très - éloignées de la métropole. Ces poffeflions
lointaines n ajoutent à la force réelle d'un Etat ,
que lorfqu’elles forment des Colonies, dont le
commerce exclufif appartient à la métropole.
Aufli les rivales de la maifon d’Autriche ont-
elles^ toujours eu foin de lui laifler, par leurs
traites de paix , des domaines en Italie 8c en
Flandres , dont la défenfe pût diftraire fes forces.
Dès que là guerre éclate entre cette Maifon
& celle de Bourbon , le théâtre en eft porté ,
ou dans les Pays-Bas , ou en Italie 3 8c pour dernière
reflource, la France peut opérer une di-
verfion en Hongrie, par fes liaifons avec la Porte
Ottomane. La cour de Vienne fe trouve obligée
d entretenir au moips trois armées dans des pays
fi dillans 1 un de l'autre , qu'elles ne fauroie,nt
fe prêter aucun fecours 3 8c pouvant être entantes
par tant d'endroits divers , le partage de
fes^forces affoiblit fa.puiirance, Aufli eft - ce un
axiome politique * que plus un Etat peut arrondir
fon terrein, plus il fe rend formidable. Si
l'on pèfe bien les avantages 8c les défavanrages
que la république de. Gênes retira de la pofief-
fiôn de 1 ifle de Corle , il elLà croire que. le, fri—
vole honneur d'être maître d'un petit royaume
affoibliflbît fa puijfance réelle, plus qu'il ne l'aug-
mentoit, de forte qu'il lui eft utile d'avoir perdu
cette ifle. Il n'en eft pas de même du mar-*
quifatA<*e Final, qui eft fitué de manière qu’il
a pu être incorporé , pour-ainfi dire , au corps
de'là république, 8c qu'il en augmente lçs.for-
ces. Les provinces contiguës de Vénife fervent,
fans .contredit , à la rendre/formidable 3 mais les
ifles : & les terres éloignées--qui font fous fa domination
, n'ajoutent pas beaucoup à fa puijfan&e
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réelle , 8c leur confervation lui a toujours été fort
onéreufe.
Il eft à propos cependant de diftinguer ici les
intérêts de commerce} car, lorfqu'un Etat poffède
des terres ou provinces , dans des climats
éloignés , qui confument les denrées 8c les mar-
chandifes de la métropole, 8c qui lui fourniflent
des métaux ou des productions quelconques eh
échange, ces poftefiions augmentent fa force
réelle 8c intrinfèque 3 8c les domaines des nations
commerçantes de l'Europe dans les trois autres
parties du monde le prouvent tous les jours.
Mais il eft à craindre que ces fujets éloignés ne
deviennent allez puiflans pour fecouer le joug
de la métropole,: comme l’Angleterre l'eprouve
aujourd’hui.
'Si on-applique les principes 8c les diftinCtions
de la puijfance des Etats ( tels que nous venons
de les établir, 8c ils nous paroiflent fondés
fur la nature ) au tableau aétuel de l’Europe ,
on peut en conclure qu’il y a de nos jours trois ,
ou fi Lon veut , , quatre fortes de puijfançes
dans cette partie du monde. On place au premier
rang celles qui entretiennent des armées
nombreufes , des flottes confidérables , qui
ont de l'argent p rê t, des relfources intariftablés ,
8c qui peuvent foutenir la guerre par elles - mê-
- mes , fans fecours 8c fans alliances , tant qu'elles
agiffent feule à feule , 8c qu'un parti ne fe fortifie
l point par une ligue étrangère. On ne trouve
f guères d’Etat en Europe qui : réunifie tous ces
avantages ,. fi ce n'eft la France 8c l'Angleterre.
Nous mettrons dans la fécondé clafle les puif-
fances qui , bien que formidables par elles - mêmes
, ne pofîedent pas cependant les avantages
indiqués ci-deflus, qui par conféquent ne fau-
reient agir en c h e f , mais qui ‘ont befoin d'alliances
ou de fecours pécuniaires, fur-tout fi les
guerres qu’elles entreprennent font longues , 8c
que le fort des armes né leur foit pas conftam-
fnent favorable. Telle eft la fituation politique
dé la maifon d'Autriche, de la Ruflie, de la Prufie
8c de l’Ëfpagne. Lorfque, pour entrer en guerre,
un Etat eft obligé de fe joindre à une ligue déjà
pùiflante, de recevoir des fubfides , qu'il ne peut
fournir que des armées auxiliaires , qu'il ne fau-
roit entretenir eh tems de paix le nombre fuffi-
fant de troupes, 8c qu'il eft obligé dé faire de
nouvelles levées chaque fois qu’il veut prendre les
armes, quand fon territoire eft refierré , qu'il manque,
ou d'habitans , ou de revenus, 8cc. la raifon
veut qu on le rangé dans la troifième clafle des grandes
puijfances- O n peut y placer les rois de Portugal
, de Sardaignede Suède , de Danemarck ,d e
Nap le s , la_ république de Hollande, 8cc. Ces
trois clafles comprennent ce qu’on peut appeller
les grandes puijfances. La quatrième fera compos
e de tous les autres fouverains * plus ou moins
torrnidables, qui ne fauroient agir abfolument
par eux-mêmes , 8c q u i, bien que très-refpe&a-
bles par leur rang , leur naiflance , leurs titres ,
la confidération qui leur eft accordée , l’influence
indirecte qifils ont dans les affaires générales ,
ou par d’autres prérogatives, ne pofîedent cependant
ni puijjance réelle, ni relative, 8c dont le
fort, le plus defirable eft de fe maiutenir dans
une heureufe médiocrité par leur fagefie , 8c non
par leurs forces. Voye1 les articles A ccroissement,
Aggrandissement.
Puissance législative, Exécutrice 8c
Judiciaire.
Nous avons dit aux articles A ristocratie ,
Démocratie 8c Monarchie, 8c dans tout le
cours de cet Ouvrage , de quelle manière il faut
combiner la puijfance légiflative 8c la puijfance
exécutrice , félon la nature des divers gouverne-
mens 5 nous avons établis fur cette matière les
principes q u i: font invariables 8c ceux qui font
mobiles comme les circonftances 3 nous ne parlerons
ici que de la puijfance judiciaire.
Nous avons parlé à l’article Judicature , de
l’adminiftration de la juftice aux diverfes époques
de la fociété , 8c des abus qui s’y introdui-
fent 3 nous nous bornerons ici à ce qui regarde la
puijfance judiciaire.
Le fouverain peut-il juger ? Cette queftion importante
eft bien difeutée dans les inftitutions
politiques du baron de Bielfeld.
« Tant de grands hommes ont pofé pour prin-
» cipe , & tout le monde dit depuis long-tems ,
33 que Le prince ejl le premier juge , le juge fou-
33 veraîn , le juge né de fes peuples , qu’on n’ofe
33 être d’ uh avis différent 5 mais quand cela feroit
33 v ra i, félon lé droit rigide de la nature 8c des
gen s , c’eft un droit que le prince ne fauroit
33 exercer, 8c qui par conféquent devient égal
» à zéro. Tous mes lecteurs ont le droit de lé-
33 mer 8c de recueillir dans les terres auttrales
j 33 qui font dévolues au premier occupant} mais
33 perfonne ne peut exercer ce d ro it, qui eft nul
33 par-là. D ’abord un prince ne fauroit acquérir
33 la fcience d'un jurifconfulte confommé, fans
33 négliger d?autres fciences politiques , beaucoup
33 plus nécefiaires à l'emploi du fouverain. S’il
33 pofsède de vaftes Etats, comment feroit-il pofli-
33 ble que toutes les affaires litigieufes fufîent
33 rapportées à fon trône P .C'eft vouloir compter
33 les étoiles, que prétendre juger tous les diffé-
33 rends de détail d'une nation ; 8c quand la chofe
33 feroit poflible., tous les fujets feroiènt ruinés
33 par la lenteur inévitable de l'expédition. Ep
» troifième lieu, dans tous le cas où les amendes
» pécuniaires , la confifcation, la condamnation
33 aux travaux publics auroient lieu , le fouverain
33 feroit juge 8c partie , puifque ces peines tour-
33 nent à fon profit. Voilà donc un principe du
s droit naturel 8c des gens , qui eft dangereux ,
33 d'une exécution impoflible, 8c contraire à l’é-
» quité. Mais, autre chofe eft d’avoir le droit