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Après la conquête des Gaules , on fit auffi des
concédions des terres conquifes j concédions qui
étoient aufii annales , ou amovibles à volonté. An-
tiquijfimo tempote , dit le premier livre des fiefs,
fie erat in dominorum poteftate connexum 3 ut quando
vellent pofferit auferre rem in feudum a fe datam.
Poftea vero eo ventum eft , ut per annüm tantum
firmitatem haberent. Grégoire de Tours , les formules
de Marculfe 3 & les codes des peuples barbares
attellent le même ufage.
Par qui les concédions font-elles faites ? Par
le roi fans doute. Mais étoit-ce comme propriétaire
qu’il difpofoit, ou comme magillrat devda
nation ? Nous venons de voir que chez les Germains
la propriété des terres appartenoit à la
nation , que c'étoit.la nation qui en faifoit chaque
année la diftribution j & nous trouvons ce
droit de la nation en vigueur fous la fécondé
race 3 même après que les fiefs furent devenus
héréditaires.
Louis-Ie-Bègue , diftribue quelques fiefs fans le
confentement des grands du royaume > les grands
confpirent contre lui : Louis reconnoît.fa faute.
Peu de tems après, il a à diftribuer les fiefs de
Bernard 3 marquis de Gothie. Il aflemble les grands,
& les confulte pour cette diftribution ( i) .
Les auteurs du livre des fiefs ont reconnu ce
droit des nations. C ’eft à la nation 3 au royaume 3
qu’ils ont rapporté la propriété de tous les fiefs
médiats ou immédiats. Tous ceux qui tiennent ces
fiefs y font regardés indiftinélement comme fèu-
dataires du royaume ou du roi , dux 3 marckio &
cornes.»., proprie regni vel regis capitanei diçuntur....
A lii qui ab iftis feuda accipiunt 3 proprie regis vel
regni valvafores diçuntur. Feudataires du royaume ,
parce que c ’eft au royaume, â la nation, qu’appartient
la propriété , le fief dominant, la fuze-
raineté : feudataires du roi , parce que c’ eft le roi,
qui a la puiflance exécutrice, qui exerce les droits
de la nation.
En Angleterre & en France , on a toujours dit
les barons du royaume , les pairs d’Angleterre,
les pairs de France > & non les barons du roi, les -
pairs du roi.
Au façre de nos rois 3 les pairs de France re-
préfentent tout à la fois la monarchie & la nation.
Ils y paroiflent avec l’habit royal & la couronne
du roi ; & ce font eux qui reçoivent le
ferment qu’il fait d’être le protecteur de l’églife j
& de fes droits , & de tout fon peuple.
T e l a donc été l’efprit de toutes les inftitu-
tions féodales de l’Europe, que la fuzeraineté,
la véritable propriété de toutes les terres réfidât
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dans le corps de chaque nation 5 que tous les
poflefleurs des fiefs médiats ou immédiats fuflènt
les feudataires de la nation j que par conféquent
; la pleine propriété retournât à la nation dans
tous les cas de réunion 5 que dans tout cela le
roi n’eût & ne pût avoir aucuns droits diftin&s
& féparés de ceux de la nation dont il eft le
chef.
En Allemagne, où le gouvernement eft pref-
que abfolumënt féodal, où l’on a dû par conféquent
mieux conferver l’efprit de la loi des fiefs
& fes véritables rapports avec le droit de la nation
, tous les fiefs, toutes les principautés rel'è-
vent de l’empire & non de l ’empereur. S’ils
viennent à vaquer , c’eft à l’empire qu’ils font
dévolus. L’empereur en inveftit un nouveau feu-
dataire j mais c’ eft comme chef de la république
germanique , & non comme propriétaire qu’ il
en difpofe. Il ne peut s’approprier aucune des
fucceffions & héritages qui font dévolus à l’empire
, ni les faire pafler à fes héritiers & fuccef-
ieurs fans le confentement du corps germanique.
Et c’eft à la chancellerie de l’empire que s’ expédient
les lettres d’invêftiture (2).
Comment pourroit - on même concevoir un
fyftéme de droit public qui donneroit à un feui
homme la propriété univerfelle de toutes les terj
res dont une nation s’elt emparée?
Par le droit naturel &: par lé droit des gens ,
il ne peut y avoir de véritable propriété territoriale
, qu’autant que l’on a la pofleffion aéluelle
ou habituelle du territoire , & qu’on peut fe
maintenir dans cette pofléflion.
Par le droit civil de chaque nation , un feui
homme peut avoir des propriétés plus étendues >
il peut être propriétaire de la terre qu’il ne Cultive
pas, & dont il rte pourroit pas défendre la
pofleffion par fes feules forces-j parce que fa
pofTeflion eft protégée par toutes les forces réunies
de la nation dont il eft membre.
II faudroit donc , pour qu’un feui homme pût
être propriétaire d’un territoire de vingt-cinq
.mille lieues quarrées, par le droit naturel ou par
le droit des gens , que s’ il s’en fût emparé feui,
qu’il pût l ’occuper, le cultiver fe u i, qu’il pût
en défendre la pofleffion contre une vingtaine
de millions d’hommes qui font répandus fur ce
territoire, & contre toutes les peuplades qui
voudroient s’en emparer.
Pour qu’un feui homme pût avoir cette immenfe
propriété territoriale , par le droit civil d’une nation,
il faudroit fuppofer qu’une vingtaine de millions
d’hommes libres ont confenti à conquérir ,
( 1 ) Aimoin , liv . y j ch ap . 3 6 8c 37.
Ci) V o y e z la bulle d’or §c les'çapiculations impériales.
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à cultiver & à défendre un territoire de vingt_cinq
mille lieues quarrées pour un feui homme. Je ne
crois pas avoir befoin de prouver la nullité d un
tel contrat, jufqu’à ce qu’on ait prouve qu il
S’il n’ell pas vrai que les conquérans des Gaules
ont abandonné à un feui homme cette propriété
univerfelle , il faut convenir du moins que, dans
les partages dont l’hiftoire nous a tranfmis les
preuves, ils ont fait à leur chef une part bien
avantageufe. Les rois ont eu de vaftes domaines.
Il étoit nécefiaire-que cela fût ainfi, puifque les
rois n’avoient pas d’autres revenus que celui de leur
domaine, pous foutenir l’éclat du trône & fournir
à la dépenfe de leur maifon.
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cité publique dans un pays où les rois les plus
abfolus , ceux qui ont le plus abufé de leur puif-
fance , ceux, qui ont le plus attenté à la liberté
publique, ont cependant rendu hommage aux
droits de la nation .?
On peut, fans injuftice, mettre Louis X I au
nombre des tyrans les plus atroces qui aient afflige
l’humanité. Écoutons-le cependant au lit de la
mort. Il fe repent d’avoir abufé de fon pouvoir a
il exhorte fon fils à ne pas fuivre fon exemple , a
fê gouverner par le confeil des princes du fang,
des feigneurs & autres perfonnes notables ; a ne
; point changer les officiers après fa mort, a fuivre
les lo ik , à réduire la levée des impôts à 1 ancien
ordre du royaume , qui étoit de n en point faire
fans l’oélroi des peuples (i).
Je crois avoir établi fur des bafes immuables lés
droits & les devoirs des fouverains, Jes bornes
de leur puiflance. Je crois avoir prouvé de plus ,
que les peuples qui ont fondé les monarchies du
midi & du . couchant de l’ Europe , en fe_ fou-
mettant à des rois , n’ont point aliéné leur liberté
ni leur propriétés. Les rois les plus abfolus n’y
font que les adminiftrateurs de la chofe d’autrui.
Toutes ces nations avoient dans Forigine là
même conftitution, la même forme de gouvernement
$ c’étoit celle des anciens Germains. Tacite
en a fait la' defeription en deux mots : De mino-
ribus rebus principes confultant, de majoribus omnes ,‘
ita tamen ut ea quorum penes plebem arbitrium eft ,
apud principes pertrattentur. Les wittena-gemot
d’Angleterre, les plaids généraux , les aflemblées
du champ de mars & du champ de mai en France,
& les cortés d’Efpagne , avoient la même origine.
C h e z les unes & les autres , le gouvernement
féodal a tout perdu , tout dénaturé. Par-tout un
intérêt commun a réuni les peuples & les roi-y
contre la tyrannie féodale ÿ par-tout ils ont employé
les mêmes moyens pour la détruire.
Toutes font parties du même point j l’une a
marché à grands pas , à travers des flots cle fang ,
vers une liberté orageufe ; une autre s’eft laifle
dégrader par le pouvoir arbitraire & par l’abominable
defpotifme de l ’inquifition j une troifième,
plus confiante , ne calcule point fes droits , donne
gaiment ce qu’elle a , rit des maux qu’on lui fa it,
ne prévoit point ceux de l’avenir, eft vraiment
heure ufe , parce qu’elle efpère toujours de d’être ,
aime fes rois , attend tout de leur amour pour
elle', & en obtiendroit to u t, fi les rois poüvoient
l n’être jamais ni trompés ni corrompus.
Et comment pourroit-on défefpérer de la féli-
Louis X IV n étoit ni injuile ni cruel j mais il
étoit jaloux à j ’excès de fon autorité. VoicLcepen-
dant l’idée qu’on donne de la royauté dans un
écrit publié par fes ordres (2.)* « Qu on ne dife
>> point que le fouverain ne foit pas fujet aux loix
m de fon état, puifque la propofition contraire eft
» une vérité du droit des gens , que la flatterie a
» quelquefois attaquée , & que les bons princes
» ont toujours défendue comme une divinité tu-
» télairede leurs états «.
Ces aveux qu’une confcience bourrelée arrache
à un roi mourant , qu’un autre roi ne fait peut-
être que parce qu’il en a befoin pour appuyer fes
prétentions contre l’Efpagne , font des titres précieux
pour la nation, mais ils ne font rien.pour
fon bonheur. Un mot ne répare pas les défâftres
d’ un règne opprefleur. C ’eft à Henri IV , c’ eft à
Sully, qu’il appartient de dire quels font les droits
des nations & les devoirs des fouverains. Nul
prince , nul miniftre ne les a mieux connus ni plus
refpe&és qu’eux.
» La première loi du fouverain , dit Sully , eft
» de les obferver toutes. 11 a lui-même deux foù-
» verains , Dieu & la loi. La juftice doit préfider
» fur fon trône ; la douceur en doit être l’appui
» le plus folide. Dieu étant le vrai propriétaire de
« tous les royaumes, & les row n’en étant que
*> les adminiftrateurs, ils doivent tous repréfenter
» aux peuples celui dont ils tiennent la place par
» fes qualités & fes perfe&ions : fur-tout ils ne
» régneront comme lui qu’autant qu’ils régneront
Üî en pères. Dans les états monarchiques hérédi-
taires, il y a une erreur qu’on peut auffi ap-
» peller héréditaire î c’ eft que le fouverain eft le
m maître de la vie & des biens de tous fes fujets 3
» & que moyennant ces quatre mots , tel eft notre
n plaifir, il ell difpenfé de faire connoître les rai-
( 1 ) M é ze ta i, abrégé .chronolog ique, année 1481.
( 1 ) Tra ité des droits de la reine , fur divers états de la monarchie d’Efpagne , i66y , in-iz deuxième partie , page } $ i .
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