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publics manquoient généralement de goût 8c de
fymmétrie , les maifons'particulières n’avoient,
à la vérité , aucune apparence : mais on voyait
dans toutes celles des hommes riches , des jardins
remplis des plus belles fleurs , des fouterreins pratiqués
contre les chaleurs étouffantes d'une partie
de l'année , des Talions , où jailliffoient, dans
des baflîns de marbre , des fontaines dont la fraîcheur
& le murmure invitoient à un doux fom-
meil. .
Surate commença à décheoir en 1664. Le fameux
Sevagi la faecagea , & en emporta 'vingt-
cinq'a trente millions. Le pillage eût été infiniment
plus confidérable , fi les anglois & les hol-
landois n'avoient échappé au malheur public ,
par l’attention qu'ils avoient eue de fortifier leurs
cotnptoirs , & fl le château ou l'on avoir retiré
tout ce qu'on avoit de plus précieux , n’eût été
hors d’in fuite. Cette perte infpira des précautions. ,
On entoura la ville de murs, pour prévenir un !
pareil défaftre. Il étoit réparé , lorfque les anglois
arrêtèrent en 1686, par une coupable & hon-
teufe avidité , tous les bâtimens que Surate ex-
pédioit pour différentes mers. C e brigandage qui
dura trois ans , détourna de ce fameux entrepôt
Ja plupart des branches de commerce qui ne lui
appartenoient pas en propre. Il fus prefqûe réduit
à Tes richeffes naturelles.
D ’autres pirates ont depuis infefté Tes parages, '
i z troublé à diverfes reprifes Tes expéditions. Ses
caravanes même , qui tranfportoient les marchan-
difes à Agra, à De lhy, dans tout l’empire , n'ont
pas été toujours refpe&ées par les fujets des rajas
indépendans, qu’on trouve fur différentes routes.
On avoit imaginé autrefois un moyen fingulier
pour la sûreté de ces caravanes : c'étoit de les
mettre fous la proteâion d'une femme ou d’un
enfant, d’une race facréê chez les peuples qu’on
avoit à craindre. Lorfque ces brigands àppro-
choient pour piller, le gardien menaçoit de fe
donner la mort , s'ils perfiftoient dans leurs réfo-
lutions; & fi l’on ne cédoit pas à Tes remontrances,
il fe la donnoit effectivement. Les hommes irréligieux
, que le ref^ed pour un fang révéré de
leur nation n’avoit pas arrêtés , Soient excommuniés
, dégradés »exclus de leur cafte. La crainte
de ces peines rigoureufes enchaînoient quelquefois
l’avarice; mais depuis que tout eft en com-
buftion dans l’Indoftan , aucune confidératîon
n’y peut éteindre la foif de l’or.
Malgré ces malheurs, Surate eft encore une
ville de grand commetce. Tout le Guzurate verfe
dans Tes magafins le produit de-Tes innombrables
manufactures. Une grande partie eft tranfportée
dans l’intérieur des terres ; le refte paffe , par le
moyen d’une navigation fuivie , dans toutes les
parties du globe. Les marchandifes les plus connuefc,
font les douttis ; groffe toile écrue qui fe
confomme en Perfe, en Arabie , en Abyflînie, fur
la cote orientale de l’Afrique ; & les toiles bleues
q.m ont la même deftination, & que les anglois
& Jes hollandois placent utilement dans leur commerce
de Guinée.
Les toiles de Cambaîe, à carreaux bleus 8c
blancs , qui fervent de niante en Arabie & en Turquie.
Il y en a de groflières , il y en a de fines ,
il y en a même où l’on mêle de l’or pour l’ ufage
des gens riches.
Les toiles blanches de Barokia , fi connues fous,
le nom de Sbaftas. Comme elle font d’une fineffe
extrême , elles fervent pour le caftan d’été des
turcs 8c des perfans. L’efpèce de mouffeline terminée
par une raie d’or , dont ils font leur turbans
, fe fabrique dans le même lieu.
Les toiles neintes d’Amadabad, dont les couleurs
font aufli vives , auflî belles , auflî durables
que celles de Coromandel ; on s’en habille en
Perfe, en Turquie, en Europe. Les gens riches
de Java, de Sumatra , des Moluques, en font des
pagnes & des couvertures.
Les gazes de Bairapoun; les bleues fervent en
Perfe 8c en Turquie à l’habillement d’été des
hommes du commun , & les rouges à celui des
gens plus diftingués. Les juifs , à qui la Porte a
interdit la couleur blanche, s’en fervent pour
leurs turbans.
Les étoffes mêlées de foie 8c de coton, unies
rayées, farinées , mêlées d’or & d’argent. Si leur
prix n’étoit pas fi confidérable , elles pourroient
plaire à l’Europe même , malgré la médiocrité
de leurs deflins, par la vivacité des couleurs ,
par la belle exécution des fleurs. Elles durent
peu ; mais c’eft à quoi l’on ne regarde guère dans
les férails de Turquie 8c de Perfe, où s’en fait la
confommation.
Quelques étoffes purement de fo ie , appellees
tapis. C e font des pagnes de plufieurs couleurs,
fort recherchées dans l eft de l’Inde. Il s’en fa-
bfiqueroit davantage , fi l’obligation d’y employer
des matières étrangères n’en augmentoit
trop lé prix.
Les chaales , draps tpès-Iégers , très- chauds
& très fins, fabriqués avec des laines de Cachemire.
On les teint en différentes couleurs , &
l’on y mêle des fleurs 8c des rayures. Ils fervent
à l’habillement d’hiver en Turquie , en Perfe ,
& dans les contrées de l’ Inde où le froid fe fait
fentir. On fait avec cette laine précieufe des turbans
d’une aune de large, 8c d’un peu plus de
trois aunes de long, qui fç vendent jufqu’à mille
écus. Quoiqu’elle l'oit mile quelquefois en oeuvre
i Surati, les plus beaux ouvrages fortent de
Cachemire même.
Indépendamment de la quantité prodigieufe de
coton que Surate emploie dans les manufactures,
elle en envoie annuellement fépta huit mille balies
•jau moins dans le Bengale- La Chine , la Perfe &
l’Arabie réunies en reçoivent beaucoup davantage
-, lorfque, la récolte eft très -.abondante. Si
elle eft médiocre , tout leftipeiflu va fur le Gange,
•©.ù Je prix eft toujours plus avantageux.
Quoique Surate reçoive en échange de fes ex- !
portations des porcelaines de la C h in e , des foies|
de Bengale & de P erfe, des mâtures & du poivre
de Malabar, des gommes, des dattes, des fruits
ifees, du cuivre , des perles de Perfe , des parfums
& des efclaves d’A rab ie, beaucoup d’épiceriesj.
dès hollandois, du fe r , du plomb , dés draps,.
de la cochenille, quelques clincailleries des anglois, !
la balance lui eft fi favorable, qu’il lui revient j
tous les ans en argent vingt - cinq ou vingt - fix
millions. Le profit augmenteroit de beaucoup f i ,
la fource des richeffes de lacour de Delhy n’étoit
pas détournée.
Cette balance cependant ne pourront jamais!
redevenir -aufli confidérable qu’elle l’é to it, lorf-1
qu’en 1668 les françois s’établirent à Surate. Leur
ch e f fe nommoit Caron. C ’étoit. lin négociant
d’origine françoife , qui avoit vieilli au fervice
de la compagnie de Hollande. Hamilton.raconte ;
que cet habile homme , qui s’étoit rendu agréable ;
à l’empereur du Japon , en avoit obtenu la per-
miflion de bâtir, dans l’ifle où étoit le comptoir .
qu’il dirigeoit, une maifon pour le compte.de
fes maîtres. C e bâtiment devint un château * flans |
aucune défiance des naturels du pays > qui n’entendent
rien aux fortifications. Ils furprirent des -
canons qu’on envoyoit de Batavia , 3c inftrui-
firent la cour de ce qui fe paffoit. Caron reçut
ordre d’aller à Jedo rendre compte de fa conduite.
Comme il ne put alléguer rien de raifannable
pour fà juftification, il fut traité avec beaucoup
de févérité & de mépris. On lui arracha poil à
poil la barbe; on lui mit un bonnet & un-habit
de fou ; on l’ expofa en cet état à la rifée publique
, & il fut chafle de l’empire. L ’accueil
qu’il reçut à Java acheva de le dégoûter des intérêts
qu’ il avoit embraffés ; & un motif de vengeance
l’attacha à la compagnie françoife,; dont
ih devint l’agent.
Surate , où on l’avoit fixé , ne rempliffoit pas
l’idée qu’ il s’étoit formée d ’un établiffement principal.
Il en trouvoit la pofition mauvaife. 11 gé-
miffoit d’être obligé d’acheter fa sûreté par des
fourmilions. Il voyoit du défavantage à négocier
en concurrence avec des nations plus riches , plus
inftruites , plus accréditées. Il vouloir un port
indépendant au centre de l’Inde , dans quelqu’un
des lieux où cro'ffcnt les épiceries , fans quoi il
croyoit impoflible qu’ une Compagnie put fe fou-
tenir. La baie de Trihquemale dans l ’ifle deCeylan
lui parut réunir tous ces avantages , & il y con-
duifit une forte efcadre qu’on lui avoit envoyée
d’Europe fous les ordres de la H a y e , & dont il
devoit diriger* les opérations-. On crut-, ou l’ on
feignit de croire , qu’ on’pôûvoir s’y fixer fans bleffer
les droits des hollandois, dont la propriété n’avoit
jamais-été reconnue par le fouverain de Tille,
avec qui l’on avoir tin trâkév1 ’
Tout cela pouvoir être vrai , mais l’évènement
n’ en fut pas .plus.heureux. On publia un projet
qu’il falloir taire. On exécuta lentement une en-
treprife qu’ il falloit bnifquer.On fé laiffa intimider
par une flotte qui étoit hors d’état de combattre
,' & qui ne ,pouvoit pas avoir ordre .de hasarder
une action. La difette & lès maladies firent
périr la majeure'partie des équipages & des troupes
de débarquement. On laifta quelques hommes
-dans un petit fort qu’on avoit b â ti, & où ils
furent bientôt réduits à fe rêndre1. Avec le réfte
on alla cherchéf dés' vivres à la cote de Coro-
mandeft On n’en trouva ni Chez les danois de Trin-
qtrébar , ni ailleurs , & ie ' défefpoir fit attaquer
St.-Thomé,. où l’on fut averti qù’ïl régnpit une
-grande abondance.;
SU R IN AM , coîome.hollandoife dans l’Amérique
appel fée aufli établiffement de Demerary ,
Effequibo. & Berbiche : nous en avons parlé
fort en détail à l’article D em e r a r y . Nous nous
contenterons, d’ajouter Ici quelques remarques
générales.
L ’état des trois colonies que les hollandois ont
fucceffxvement formées-dans la Guyane eft déplorable,
& le fera long-tems , peut-être toujours
à moins que le gouvernement ne trouve dans fa
fageffe , dans fa généroiité ou dans fon courage ,
un expédient pour décharger les cultivateurs du
poids.accablant des dettes qu’ils ont contractées.
C ’eft dans les tems moderhès que lés, gou-
vernemens ont donné l’exemple des emprunts.
La facilité 'd’en obtenir à-un intérêt plus ou moins
onéreux , les a prefque tous engagés ou fouteniis
dans des guerres que leurs facultés naturelles ne
çomportoient pas. Cette manie a gagné les villes ,
les provinces,. Jes différens Corps. Les grandes
compagnies de commerce ont encore beaucoup
étendu cet ufage, & il eft devenu .eufuite très-familier
aux hommes audacieux que leur caractère
pouffoit aux entreprifes extraordinaires.
Les hollandois q u i, dans la proportion de leur
terriroire on de leur population, avoient plus accumulé
de métaux qu’aucun autre peuple , 8c qui
n’en trouvOient pas l’emploi dans leur induftrie 0
toute étendue qu’ elle étoit, ont cherché â les pla-
1 cet utilement dans les fonds publics de toutes les