
toujours traduit le mot çar par celui d’empereur
, quoiqu’ en langue rufle un empereur romain
ait toujours été appellé kefar , & qu’au-
jourd’hui on le nomme impérator. Pierre I-
adopta le titre d’empereur qui lui étoit donné par
les fujets y & ce titre eft aujourd’hui reconnu de
toute l’Europe. Les monarques de Rujjie fe qualifient
d’empereurs & fouverains maîtres de Rujjie.
Le mot fouverain maître eft exprimé en rufle
par celui de famoderfcke^, qui équivaut au mot
grec autocr-ator. Voici les titres : N . N . empereur
& fouverain maître ou autocrate de toute
la Rujjie y fouverain de Mofcou , K iow , Wolo-
dimer, Nowogorod , czar de Cafan , Aftracan
& Sibérie, feigneur.de P leskow , grand prince
de Smolensko, duc d’Efthonie, de Livonie &
de Carélie , de T w e r , de Jugofie , de Permie,
de Wiatk ie, de Bulgarie & autres lieux j grand
prince de Nifchnei-Nowogorod , C ze rn ich ow ,
Refan , Roftow , Jaroflaw , Bielofero , Udorie,
Oledorie , Condinie , empereur de toute la contrée
feptentrionale _, feigneur de la province d’I-
wérie , des czars de Cathalinie & de Gruzinie
( Géorgie ) , des princes de Kabardinie , de C if-
.catfie , de G orski, & autres princes habitans des
montagnes feigneur & maître de plufieurs provinces.
Pierre I , déclara le f Février 1722 , qu’ à l’avenir
le fuccefifeur au trône impérial dépendroit
de la libre volonté de l’empereur régnant : c’ell-
là l’unique loi fondamentale écrite qui exifte en
Rujjie : elle fut imprimée en la même année fous
ce titre : le droit des monarques par rapport au
pouvoir de décider de la fuccejjion au trône.
Si les princes ctoient tous éclairés & pleins
de zèle pour le bonheur de leurs fujets , cette loi
feroit plus raifonnable que celle de la fucceffion
âu trône par droit de naiflànce 5 mais en Rujjie,
& d’après tous, les vices de la conftitution.
ancienne, fi elle n’ a pas attiré fur la Rujjie les
malheurs qu’on auroit pu en attendre, il faut
l’attribuer à ce que, malgré ce pouvoir abfolu
que le fouverain s’eft attribué de nommer fon
fuccefieur , les idées d’un droit héréditaire , &
des privilèges de la primogéniture ont fubfifté
toujours dans les têtes , & ont eu une influence
confidérable fur la façon de penfer de la nation.
Cependant l’exclufion d’Alexis , le décret qui
fuivit fa mort ( 1 ) , les idées incertaines & flottantes
fur le droit de fucceffion , que ce fatal
décret introduifît en Rujjie, ont caufé depuis de
fréquentes révolutions dans le gouvernement de
cet empire , & le régiment des gardes qui fe
trouvoit dans la capitale , a prefque toujours
dès-lor$ difpofé du feeptre.
L ’impératrice aéluelle a aboli cette funefte loi;
& nous ne craindrons pas de dire que le rétablil-
fement du droit héréditaire doit être mis à la
tête des excellens règlemens qui diftinguent le
règne de Catherine IL
Toute nation veut favoîr à quel titre on lui
commande > & le titre qui la frappe le plus eft
celui de la naiflance. Otez aux regards de la multitude
ce figne vifîble , & vous remplirez les
Etats de révoltes & de diffenfions.
Mais il ne fuffit pas d’offrir aux peuples uu
fouverain qu’ ils ne puiffent pas méconnoître. Il
faut que ce fouverain les rende heureux -, ce qui
eft impoffible en Rujjie, à moins qu’on n’y change
la forme du gouvernement.
L’efclavàge , quelque fens qu’on veuille donner
à cette expreffion , eft l’état dans lequel eft tombée
toute la nation. Parmi les fujets qu’on regarde
comme libres dans cet empire , il n’en eft
aucun qui ait la fûreté morale de fa perfonne ,
la propriété confiante de fes biens , une liberté
qu’il ne puiffe perdre que dans des cas prévus &
déterminés par la loi.
Sous un tel gouvernement, il ne fauroît exifter
de lien entre les membres & leur chef. S’il eft
toujours redoutable pour eux , toujours ils font
redoutables pour lui. La force publique , dont
il abufe pour les écrafer , n'eft que le produit des
forces particulières de ceux qu’il opprime. Le dé-
fefpoirpeutà chaqueinftant les tourner contre lui.
Le refpeél qu’on doit à la mémoire de Pierre
premier ne doit pas empêcher de dire qu’il ne lui
fut pas donné de voir l’enfemble d’un Etat bien
conftitué. Il étoit né avec du génie. On lui infpira
l’amour de la gloire. Cette paflion le rendit a&if,
patient, appliqué, infatigable , capable de vaincre
les difficultés que la nature g l’ignorance , l’habitude
oppofoient à fes entreprifes. Avec ces vertus
& les étrangers qu’il appella à lu i , il réuffit à créer
une armée, pne flotte , un port. Il fit plufieurs
règlemens néceffaires pour le fuccès de fes hardis
projets : mais quoique la renommée lui ait prodigué
de toutes parts le fubEme titre de légifla-
teur , à peine publia-t-il deux uu trois Ioix, qui
même portaient l’empreinte d’ un caraélère féroce.
On ne le vit pas s’élever jufqu’à combiner h félicité
de fes peuples avec fa grandeur perfonnelle.
T i } Ce decret eft du mois de Février 17 x 1 . Il obligeoic tou t fu je t & tout étranger établi en Rujjie â promettre par fc»~
ment de xezoaaouie comme fucceffeur à l ’empire la perfonne que S. M. nom m e ro it , 8c à reconnoître également dans S. M.
8c dan* les_empereurs qui Ipi fucc éde ro ienc, outre ce dro it de nommer fon fu c c ç fle u r . celui de changer l’ordre de Ja fuccel-
noB aaffi fo g y en t qu’il le jogeroit à propos , Ce*.
Après fes magnifiques établiffemens, la nation
continua à languir dans la pauvreté , dans la fer-
vitude & dans l’oppreffion. Il ne voulut rien relâcher
de fon defpotifme ; il l’aggrava peut-être: , &
laiffa à fes fuccefleurs cette idée atroce & deltruc-
tive, que les fujets ne font rien & que le fouverain
eft tout.
Depuis fa m ort, ce mauvais efprit s’eft perpétué.
On n’a pas voulu voir que la liberté'eft le
premier droit de tous les hommes ; q u e le foin de
la diriger vers le bien commun, doit être le but
de toute fociété raifonnablement ordonnée) &
que le crime de la fonce eft d’avoir privé la plus
grande partie du globe de cet avantage naturel.
Ain fi l’a penfé Catherine II. A peine cette célébré
princeffe avoit pris les rênes du gouvernement
, qu’il fe répandit de tous côtés qu’elle vou-
loit régner fur des hommes libres. Au moment
où fes intentions commençoientà tranfpirer, plus
de cent mille ferfs fe difposèrent à la révolte contre
leurs maîtres. Plufieurs des feigneurs qui habitoient
leurs terres , furent maffacrés. Cette agitation ,
dont les fuites pouvoient bouleverfer l’ E ta t , fit
comprendre qu'il falloit apprivoifer les ours avant
de brifer leurs chaînes , & que de bonnes loix &
des lumières dévoient précéder la liberté.
Aulfi-tôt eft conçu un projet de légiflation ; &
l’on vent que ce code foit approuvé par les peuples
eux-mêmes , pour qu’ils le refpe6lent.& le ché-
' riffent comme leur ouvrage.
Catherine penfa enfuite à former des hommes ;
& ce fut un mot d’ une vérité frappante , adreffé
à Pierre premier , qui dirigea fon plan. C e prince
fe promettoi: le plus grand fuccès du retour des
jeunes gens qu’ il avoit envoyés puifer des lumières
dans les contrées les plus éclairées de l’Europe.
Son bouffon, qui l ’écoutoit , plia , le plus fortement
qu’il p u t, une feuille de papier , la lui pré-
néceffaires, ont été formés en faveur du peuple.
C ’eft-là que de jeunes garçons & de jeunes filles
reçoivent Séparément, pendant quinze ans ^ tous
les genres d'inftruéfcions convenables aux emplois
& aux métiers qu’ils doivent exercer. Lorfque les
vertus fociaJes auront jette de profondes racines
dans leur coeur; loriqu’on y aura gravé que 1 honneur
fenta , & le défia d’effacer ce pli. Mais s’il n’étoit
pas poflible d’amender le Rufle barbare , comment
efpérer d’amender le Rufle corrompu ? S’il n’ étoit
pas poflible de donner des moeurs à un peuple
qui n’en avoit^oint, comment efpérer d’en donner
à un peuple qui n’en a que de mauvaifes ? Ces
confédérations déterminèrent Catherine ,à aban-
donnèr elle-même la génération aétuelle, pour ne
s’occuper que des races futures.
Par fes foins fe font élevées des écoles, où la
jeune nobleffe des deux fexes eft inftruite dans les
fciences utiles, dans les arts agréables. Les fages
qui ont vu de près ces ânftitutions, y ont blâmé
trop de frivolité & trop de fafte : mais la réflexion
& l’expérience corrigeront un peu plus t ô t , un
peu plus tard , ce qu’ elles peuvent avoir de défectueux.
D’autres établiffemens, peut-être encore plus
eft la plus noble récompenfe dune amehonnête,
que la honte en eft le plus redoutable châtiment,,
ces élèves , nés dans l’efclavage, n’auront
plus de maîtres & feront citoyens dans toute
l’étendue du terme. Les bons principes dont on
les aura nourris , fe répandront, avec le tems ,
du centre de l’empire aux provinces les plus re-
: culées » & avec les moeurs , qui en découlent
néceffairement, s’ étendra une liberté bien ordonnée
, d’où doit réfulter le bonheur de la nation ,
fous le joug facile des loix.
Pour accélérer les progrès , toujours trop l e n t s ,
d'une fage légiflation , d’une bonne éducation , i l
faudroit peut être choifir la province la plus féconde
de l’empire, y bâtir des maifons, les pourvoir
de toutes les chofes néceffaires à l 'a g r i c u l t u r e ,
attacher à chacune une portion de terre. II faudroit
appeller des hommes libres des contrées
policées , leur céder en toute propriété l’afyle
qu’on leur auroit préparé , leur affurer une f u b f -
tance pour trois ans, les faire gouverner par un
chef qui n’eût aucun domaine dans la contrée. Il
faudroit accorder la tolérance à toutes les religions
, & par c o n f é q u e n t - permettre des cultes
particuliers & domeftiques.
C ’eft de-là que le levain de la liberté s’étendroit
dans tout l’empire ; les pays voifîns verroient le
bonheur de ces colons , & ils voudroienc être
heureux comme eux.
Quarante mille Allemands, féduits par les avantages
immenfes qu’on leur oftroitj prirent en 1764
& en 1765 là route de la Rujjie , où ils ne trouvèrent
que l’efclavage , la misère, la mort, & où
■ le peu qui a échappé à ces calamités languit dans
l’attente d’ une fin prochaine. Le bien qu’on fe proposait
a été beaucoup retardé par cette faolfe
combinaîlon.
Dans ce nouvel ordre de perfonnes & de chofes,
où les intérêts du monarque ne feront plus que
ceux de fes fujets , il faudra, pour donner des
forces à la Rujjie , tempérer l’éclat de fa gloire ;
facrifier l’influence qu’elle a prife dans les affaires
générales de l’Europe ; réduire Pétersbourg , devenu
mal-à-propos une capitale, à nette qu’un
entrepôt de commerce ; tranfpoiter le gouvernement
dans l'intérieur de l’empire. C ’eft de ce centre
de la domination , qu’ un fouverain fage , jugeant
avec connoiffance des befoins & des reüources,
• pourra travailler efficacement à lier entre elles les
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