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pre que ce difcours , à prouver la diverlîié des I
opinions fur l'importante matière des régences,
& par conféquent la nëceflité qu'il y avoit, au
moins à cette époque , de les fixer par une loi
générale.
« Si je ne favois ce que penfe fur la liberté
& l'autorité des états la partie la plus éclairée de
cette affemblée, je n'aurôis garde de m'oppofer
ici aux vaines clameurs de la multitude ; mais,
après les preuves que vous avez déjà données.
de votre difcernement & de vos lumières , je
ne dois plus craindre de propofer ce que la réflexion
& la le&ure m'ont appris fur ce point
fondamental de notre droit public. Si je parviens
à me faire entendre , j’ofe me flatter que ceu^c
«qui blâment les foins que nous nous donnons
pour former le confeil, changeront d'avis & de
langage.
. « Avant que d’expofer les raifons fur lefquelles je prétends fonder l'autorité des Etats, qu'il me
foit permis d'interroger un moment nos adver-
faires. »
«c Penfez vous , leur demanderai-je, qu'après
la mort d'un roi qui laiffe un fils en bas âge,
la tutelle de l’enfant & l'adminiflration générale
du royaume appartiennent de droit au. premier
prince du fang ? »
« N o n , fans doute, me répondront-ils ; car
ce feroit expofêr la vie du pupille à un danger
manifefte : aufli la loi y a-t-elle pourvu ; elle
défère l’adminiftration au premier prince du fang ,
& la tutelle à celui qui le fuit immédiatement
dans l'ordre de la naiffance.
«c Prenez garde , leur répondrai-je , que par
cet arrangement vous n'aifuriez guère mieux la
vie de votre roi} car les deux princes entre lef-
quels vous femblez partager l’autorité , peuvent
s'entendre & avoir le même intérêt.
«* Mais de quelle loi parlez-vous ? où exifte-t-
elle ? qui l ’a faite ? où J'avez-vous lue ? Je vous
défie de fatisfaire à aucune de ces queftions. Si
la loi dont vous parlez exiftoit, penfez-vous que
le duc d’Orléans ( i ) eût confenti à mettre en
arbitrage une queftion déjà décidée, & à compromettre
fi facilement fes droits ?
» En vain m'alléguez-vous l'exemple de Charles
V ; cet exemple prouve contre vousi ce prince
ne parvint à la régence que deux ans après la vacance
du trône, & lorfqu'elle lui eut été déférée
par les états.
» Je m’adreffe maintenant à ceux qui préten-
dent-que dans un temps de minorité la tutelle &
l ’adminiftration font dévolues à tous les princes |
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du fang indiftin&ement ; & je leur demande s’ils
comprennent dans ce nombre ceux qui defcen-
dent de quelqu'un de nos rois du côté maternel;
& en ce cas ils auront une lifte nombreufe de
tuteurs & d’adminiftrateurs , parmi lefquels il
fera difficile que la concorde & l'union puiffent
s'établir.
» Mais je veux qu'ils ne parlent que de ceux
qui defcendent du trône en ligne mafculine. Si ces
princes fe difputent l'adminiftration, qui les mettra
d'accord ? Qui ne voit qu'auffi-tôt ils courront
aux armes , & que la patrie fera déchirée par des
guerres civiles } Qui ne voit encore que dans ce
cas l'autorité fuprême deviendra fouvent la ré-
compenfe d'un furieux & d'un perturbateur du
repos public , q u i, dans un gouvernement fage ,
mérireroit les punitions les plus févères ?
» Quoi donc, me dira-t-on , l’Etat, pendant
une minorité , reliera t-il dans l’anarchie ?
».Non , certes , car alors l'aurorité feroit dévolue
aux états-généraux , qui ne fe chargeront
pas eux-mêrnes de l'adminiftration publique, mais
qui la remettront entre les mains des perJonnes
qu'ils jugeront les plus capables de s'en bien
acquitter.
*> Ecoutez maintenant ce que la leélure & le
commerce des fages m'ont appris fur cette matière
importante.
Lorfque les hommes commencèrent à former
des fociétés , ils élurent pour maîtres ceux de
leurs égaux qu’ils regardèrent comme les plus
éclairés & les plus intègres; en un mot,-ceux
q u i, par leurs qualités perfonnelles, pouvoient
procurer de plus grands avantages à la fociété
naiffante. Ceux q u i, après leur élection, ne fon-
gèrent qu’à s'enrichir aux dépens de leurs fujets ,
ne furent point regardés comme de véritables
pafteurs , mais comme des loups raviffans ; &
! ceux q u i, fans attendre l’éle&ion, s'emparèrent
de l'autorité fuprême, ne furent point réputés
des rois, mais des tyrans*
» Il importe extrêmement au peuple quel eft
celui qui le gouverne , puifque du cara&ère de ce
feul homme dépend le bonheur ou le malheur de
toute la fociété.
p Appliquons maintenant ces principes généraux.
S'il s'élève quelque conteftation par rapport
à la fucceffion au trônç ou à la régence, à ^qui
appartient-il de la décider, fi ce n'ell à ce même
peuple qui a d’abord élu fes rois , qui leurra
conféré toute l'autorité dont ils fe trouvent revêtus
, & en qui réfide foncièrement la fouveraine
puiffance ?
(i) 3’ai déjà disque ce princemadame de Beaujeu, & le duc dé Bourbon, fc difputètent la régence#
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»s Car un Etat, ou un gouvernement quelconq
u e , eft la chofe publique, & la chofe publique
eft la chofe du peuple; quand je dis le peuple,
j’entends parler de la collection ou de la totalité
des citoyens, & dans cette totalité font compris
les princes du fang eux-mêmes, comme chefs de
l ’ordre de la nobleffe.
33 Vous donc qui êtes les repréfentans du peuple
, & obligés par ferment de défendre fes droits,
pourriez-vous encore douter que ce ne foit a vous
de régler l’adminiftration & la^ forme du confeil ?
Qui peut maintenant vous arrêter ? Le chancelier
ne vous a-t-il pas déclaré que le roi & les princes
attendent de vous ce règlement ?
3» On m'objeéle qu'immédiatement après la mort
du dernier ro i, & fans attendre notre confente-
ment, on a pourvu à l’adminillration & dreffé un
confeil, & qu'ainlï nos foins feroierit déformais
tardifs & fuperflus.^
>3 Je réponds que l’Etat ne pouvant fe paffer
d'adminillrateurs , il a été néceüaire d'en nommer
fur le champ , pour vaquer aux affaires les plus
urgentes ; mais que ce choix & tous les autres
règlemens qui ont été faits depuis la mort du
r o i , ne font que des règlemens provifoires , &
qu'ils n'auront d'autorité qu'autant que. vous les
aurez confirmés.
w Ces affemblées d’états , & le pouvoir que je
leur attribue, ne font point une nouveauté * &
ne peuvent être ignorés par ceux qui ont lu
l ’hiftoire. ||
33 Lorfqu’après la mort de Charles le bel il
s’éleva une difpute entre Philippe de Valois &
Edouard roi d'Angleterre, par rapport à la fuc-
ceflion à la couronne, les deux contendans fe
fournirent, comme ils le dévoient , à la decifion
des états-généraux , qui prononcèrent en faveur
de Philippe. O r , fi dans cette occafion les états
ont pu légitimement difpofer de la couronne ,
comment leur contefteroit-t;on le droit de pourvoir
à l'adminiftration & à la régence ?
33 Sous le règne du roi Jean,& lorfque ce prince
valeureux , mais imprudent, fut emmené pri-
fonnieren Angleterre , les états affemblés ne confièrent
pas l’adminiftration à fon fils , quoiqu'il
eût alors vingt ans accomplis; ce n e 'fu t que
deux ans plus tard que ces mêmes états , affemblés
pour la fécondé fois , lui déférèrent le titre
& l’au torité de régent.
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33 Enfin , lorfque le roi Charles V I parvint à
la couronne, âgé feulement de douze ans, ce
furent auffi les états-généraux q u i, pendant le
temps de fa minorité, pourvurent à la régence &
au gouvernement. C ’eft un fait dont il refte aujourd'hui
des témoins.
33 Après dès autorités fi pofitives, douterez-
vous encore de vos droits ? Et puifque par la
forme de votre ferment, vous êtes ici affemblés
pour faire 6* confeiller ce que , félon Dieu & vos
confciences 3 vous jugereç de plus utile d l'Etat ,
pouvez vous négliger le point fondamental dç
tous vos règlemens ? Car fi l’on n'obferve rien
de tout ce qu’on va vous promettre , à qui adrefV
ferez-vous vos plaintes ?
» L'article du confeil une fois omis, je ne vois
pas à quoi bon vous vous donnez tant de peiné
fur tout le refte.
»3 II faudra donc, me direz-vous, que nous
commencions par dépofer des hommes élus 8ç
protégés par les princes du fang : & en ce cas ,
comment pourrions-nous éviter d'encourir leur
difgrace.
»3 Rien de fi facile, & on vous en a déjà indiqué
les moyens. Il ne s’agit que de mettre les
princes dans la néceflîté de fupprimer une partie
de ce confeil provifoire ; & de la manière dont
on nous a parlé, il paroît qu’on ne fera pas fâché
de trouver un prétexte pour faire cette réforme
qui vous paroît fi effrayante.
» En un m o t, la raifon vous prouve que vous
avez le droit de régler l'adminiftration & la forme
du confeil ; un grand nombre d'exemples vous
le démontrent, le roi vous l'ordonne , les princes
y confentent, la patrie vous y exhorte par la
bouche de fon premier magillrat. Si des raifons
fi fortes ne peuvent vous ébranler, n'imputez
déformais qu’à votre lâcheté tous les maux qui
affligeront l'Etat.
»3 Et vous,qui confervez encore des coeurs François
, ne fouffrez pas que la nation vous accufé
d'avoir trahi fa confiance, & qu’ un jour lapoftérité
vous reproche de ne lui avoir pas tranfmisle dépôt
de la liberté publique, tel que vous l'aviez reçu,
de vos pères. Sauvez vos noms de cet opprobre. »»
Cet article eft tiré du Répertoire univerfelde Jurif x
prudence, & on le doit a M.. de Polverel , avocat
au parlement de Paris,
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