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» fons de fa conduite-, ou même d'en avoir. Quand
33 cela feroit , y a-t-il une' imprudence pareille à
« celle de fe faire haïr de ceux auxquels on eft
*> obligé de confier à chaque inftant fa vie J Et
?3 n’eft-ce pas tomber dans ce malheur, que de
*> fe faire accorder de force une chofe j en témoi-
M gnant qu'on en abufera? «;
C e que Sully enfeignoit, Henri l’exécutoit : le
prince & le miniftre étoient-dignes l'un de l'autre.
C eft au fujet deraffemblée des notables à Rouen,
que Sully trace le tableau des droits .& des engage-
mens réciproques des peuples & des fouverains.
Henri fait l'ouverture, de cette affemblée.
Il y déclare que , pour éviter tout air de violence
& de contrainte , il n'a pas voulu que l'a ffemblée
fe fit par députés nommés parle fouverain,
& toujours aveuglément affervis à toutes fes volontés
j mais qu'on y admît librement toute forte
de perfonnes, de quelque état & condition qu'elles
puuent être, afin que les gens de favoir & de
mérité euffent le moyen d'y propofer fans crainte
.ce qu'ils croiroient néceflaire pour le bien public.
Qu il ne prétend encore en ce moment leur
prefcrire aucunes bornes 5 qu'il leur enjoint feulement
de ne pas abufer de cette permififon pour
l'abaiffement de l'autorité royale , qui eft le principal
nerf de l'état 5 de rétablir l'union entre fes
membres 5 de foulager les peuples 5 de décharger
le trefor royal de quantité de dettes auxquelles il
fe voit fujet fans les avoir contractées} de modérer
avec la même jultice les penfions exçeflives g fans
faire tort aux néceflaires s enfin d'établir "pour
I avenir un fonds fuffifant 8c clair pour l'entretien
des gens de guerre.
Il ajoute qu'il n'aura aucune peine à fe fou-
mettre a des moyens qu’il n'auroit pas imaginés
lui-même , d’abord qu'il fentira qu'ils ont été
diCtés par un efprit d'équité & de défintéreffe-’
ment ; qu’on ne Je verra point chercher dansYon
âge , dans fon expérience 8c dans fes qualités per-
fonnelles, un prétexte bien moins frivole que celui
dont les princes ont coutume de fe fervir pour
éluder les règlemens^ qu’il montrera au contraire
•par fon exemple, qu’ils ne regardent pas moins les
rois pour les faire obferver, que les fujets pour
.s y foumettre.
Mais on perd à ne pas l’entendre lui-mêmè.
II femble que ce bon _roi Toit un être à part :
nul autre ne penfe , ne fen t, nê parle & n'agit
comme lui.
» Si je faifois gloire, dit-il, de paffer pour un
33 excellent orateur, j'aurois. apporté ici plus de
» belles paroles que de bonne volonté j mais mon
» ambition tend à quelque chofe de plus haut
R O I .
M que de bien parler} j’afpire au glorieux titre de
libérateur & de reftaurateur de la France.. . .
1,3 Je ne vous ai point ici appellés, comme faifoieht
M mes prédécefleurs , pour vous obliger d'approu-
» ver aveuglément mes volontés. Je vous ai fait
» affembler pour recevoir vos confeils , pour les
» croire , pour les fuivre, en un m o t, pour me
” mettre en tutelle entre vos mains..C'eft une
» envie qui ne prend guère aux rois , aux barbes
» grifes, aux victorieux comme moi j.mais l’amour
» que je porte à mes fujets , & l'extrême defir
» que j'ai de conferver mon Etat , me font trouver
» tout facile & tout honorable
C e difcours achevé , Henri fe lève en difànt
qu'il ne veut pas même alfifter , foit par lu i , (bit
par fon confeil, à des délibérations que rien ne
doit gêner j v& il fort en effet avec fes confeillers,
11e laiffant que Sully dans l'affemblée , pour y
communiquer les états, les mémoires 8c tous les
papiers de l'Etat dont on pouvoit avoir befoin (i).
Si jamais le gouvernement français fe trouvoit
dans quelque crife violente qui exigeât de grandes
reffources , fi jamais un génie bienfaifant vouloit
entreprendre de faire de grandes réformes, je lui
confeillerois de commencer par imiter la noble
confiance de Henri, de rendre à la nation le droit
de délibérer , de lui expofer les befoins, de lui
communiquer les plans , de bien lui perfuader
qu'on ne veut pas la tromper. C 'eft ainfi qu'il
faut traiter avec la nation françoife , c'eft ainfi
qu'on obtiendra d'elle des efforts & des facrifices
que jamais la force ne lui arrachera, 8c dont nulle
autre nation n'eft capable.
Quelles font ces loixYondamentales, cet ordre
ancien , cette conftitution que Louis X I , que
Louis X IV ^ que Sully conviennent que les rois
doivent refpeéler ? Y a-t-il eu en France , au moment
de la conquête ou dans les tems polie-
rieurs , quelque convention expreffe ou tacite
entre le roi 8c les fujets ? Avons-nous en un mot
d'autres loix fondamentales que les lqix naturelles,
qui font les mêmes pour toutes les fociétés ?
V o y e^ l’article F r a n c e .
J ’ai parlé du droitde délibérer que les Germains
avoient avant la conquête 5 c'eft le plus effentiel
de tous les droits, c'eft celui qui conferve tous
les autres.
Depuis la conquête , je vois encore quelques
affemblées générales 5 mais bientôt je ne vois que
des affemblées de leudes , de fidèles ou d'anftruf-
tions j 8c fous les derniers defcendans de C lo v is ,
il n'y a plus en France qu'anarchie, brigandages ,
des rois fans puiffance , des maires du palais def-
potes, un peuple d'efclaves.
( 1 ) Mémoires de Sully , année 1 ^ 6 5 P éré iîxe , deuxième partie de I’fiiftoire d’Henri IV .
R O I
Charlemagne rétablit les droits de la nation , 1
foumet aux affemblées générales la légiflation &
Fadminiftration de . la chofe publique. Le OT:s
grand des rois fonde fa puiffance fur la liberté de
; fes peuples ; le plus rapide des conquérans ne
craint point la lenteur des délibérations.
S Son ouvrage périt, pour - ainfi - dire , avec lu i}
la France eft bientôt livrée au gouvernement
[. féodal.
On a cherché les caufes de cette prompte révo-
f lution ; ou a dit que le fiècle de Charlemagne
[ n'étpit digne ni de lui , ni du préfent qu’il avoit
? fait à fes peuples , que fes defcendans furent foi-
bles , que l'hérédité des fiefs perdit tout.
Je conviens de la fupériorité de Charlemagne
fur fon fiècle , de la foibleflè de fes defcendans,
& du mal irréparable que l'hérédité des fiefs a fait
; dans l Europe.
Mais le fiècle d'Alfred valoit-il mieux que celui
de Charlemagne ? Alfred , digne émule de Charlemagne
, fit en Angleterre d'auffi grandes chofes
[ que Charlemagne en avoit fait en France. La
! France n'a jamais paffé fous une domination etran-
| gère, & l'Angleterre a été conquife par les Danois
f & par les Normands. La loi des fiefs a auflï in-
! feété l'Angleterre : des révolutions politiques ont
plufieurs fois changé la forme de fon gouvernement
j & cependant les fages inftitutions d’Al-
1 fred y font encore obfervées.
D ’où vient que nous avions perdu tout ce que
ï Charlemagne avoit fait pour nous ? d’où vient que
les Anglois ont confervé ce qu’Alfred avoit fait
pour eux ? Seroit^ce le caractère national qui âu-
[ roit influé fur notre fort 8c fur le leur} ou le fyftême
de Charlemagne auroit-il péri par fon propre vice,
[ par l'immenfîté des états fournis à ce monarque ,
[ par le partage que Louis - le - débonnaire fit entre
j- fes enfatis , par la confufion 8c les troubles que
[ dut éntraîner dans les états des fucceffeurs de
j Louis , la liberté qu'il avoit donnée à tout homme
[ libre de fe recommander à celui d’entre eux qu'il
voudroic choifir pour- feigneur ?
La loi des fiefs anéantit le gouvernement po-
t litique en France. Il n'y a plus ni roi ni peuple
» en France 5 il n'y a que des feigneurs de fief &
1 des ferfs. Chaque feigneur avoit dans fes terres
I la jurifdiétion c iv ile, la puiffance militaire 8c la
I puiffance légiflative. Le roi ne pouvoit lien que
I dans les terres domaniales , 8c comme feigneur
I féodal.
Il n'étoit point légiflateur dans les autres fei-
I gneuriesj c'étoient des capitulations qu’ il faifoit
I avec les feign,eurs. Il ne pouvoit plus y avoir
I d’affemblée nationale, puifqu'il n'y avoit plus de
I nation. Les feigneurs , feuls propriétaires, comr
o 1 *5
pofoient à eux feuls toute la nation j il n’y avoit
qu’eux auflï qui euffent droit de voter dans ce
qu'on appella le parlement féodal.
Nos rois comprirent enfin qu'ils ne pouvoient
recouvrer l’autorité qu'en rendant la liberté aux
peuples. De - là , l'affranchiffement des ferfs ,
l'établiffement des communes , 8>c les états généraux.
Il falloit encore anéantir le parlement féodal,
ce corps ariftocratique, dont chaque membre etoit
defpote dans fes terres , 8c fans le concours duquel
le roi ne pouvoit faire aucune loi generale.
On fait comment ce grand ouvrage , préparé par
Philippe-le b e l , fut achevé par fes fuceffeurs ;
comment le nom fut confervé & la chofe fut
changée } comment on introduit dans le parlement
, des clercs & des Iégîftes $ comment ces
clercs & ces légiftes , hériffés de formes 8c dè
difficultés * dégoûtèrent du parlement, des barons
qui ne favoient pas lire j comment les rois en
vinrent à ne mettre aucun baron fur le rôle de
ceux qui dévoient tenir le parlement, 8c à ne
donner des gages qu’à ceux qui étoient fur le
rôlb j comment ils formèrent pendant long-tems
le parlement à leur gré , en envoyant tous les ans
le rôle de ceux qui doivent faire le fervice &
avoir des gages 5 comment ces places, d'abord
fi mobiles , furent érigées en titres d'office ,
dlabord à vie , puis héréditaires $ comment enfin,
ces offices , auxquels lé roi ne nommoit d'abord
que fur l'éleétion que le parlement avoit faite de
deux ou trois fujets pour remplir la place vacante ,
devinrent enfuite vénaux.
Pour queTillufion fût complette , on ne fe contenta
pas de conferver à ce corps le nom de.parlement
j il eut , non le pouvoir, mais l'apparence
des fonctions du parlement féodal. Les
pairs de France y eurent entrée , & y repréfen-
tèrent les anciens barons. Les rois allèrent quelquefois.
faire des loix dans leur parlement} mais
prefque toujours ils les firent feuls, & les envoyèrent
au parlement pour être vérifiées 8c en-
regiftrées. ‘
Ainfi naquit .un nouvel ordre de chofes. Les
vrais repréfentans de la nation, affemblés fous le
nom d'états-généraux, n’eurent ni jurifdi&ion , ni
droit de fuffrage en matière de légiflarion. On ne
leur permit que des doléances , des prières, des
propofitions fur les- établiffemens à.faire 8c les abus
à réformer.
Le roi eut fëul la puiffance légiflative 5 ou du
moins il ne parut la partager qu'avec un corps qui
n'étoit ni l'affemblée de la nation , ni l'affemblée
des propriétaires cje fiefs, qui n'étoit compofée
que d’officiers du roi.
Obfervons cependant qu'une des loix les plus
importâmes de la monarchie > celle qui a réglé