
fuccédoient pas ; mais il étoît permis à chacun
de donner la liberté à fa propre efclave, de l ’épou-
fer enfuite, même par mariage fecret & folemnel ;
l’efclave étoit alors & libre & époufelégitime, &
les enfans qui étoient nés d'elle devenoient héritiers
légitimes.
S i qui s ancillnm fuam propriam matrimoniart vo-
luerit ad uxorem, fit ci licentia, dit la loi des Lombards
j tamen debcat eam libérant tkingare, fie libérant
, quod eft Wuidibora, & légitimant facere per
Gairthinx ; tune intèlligatur libéra & légitima uxor ;
& filii qui ex eâ natifuerint, legitimi ft&redcs patri
efficiantur,
Or , d*un côté , il devoit être très-facile à un
roi d’acquérir la propriété de l ’efclave d’autrui,
pour l ’affranchir & l’époufer enfuite. De l'autre,
Yexiftence d’une première femme ne l’empêchoit
pas de pouvoir en époufer une fécondé, puif-
qu'il avoit la prérogative de pouvoir être à la
fois l’ époux de plufieurs femmes. Il devoit donc
rencontrer rarement des obftacles, lorfqu’il vou-
loit époufer une efclave , lui donner le titre de
reine, & rendre les enfans qu’il auroit d’elle habiles
à fuccéder au trône.
C ec i m’explique deux traits d’hiftoire qu’on a ,
ce me femble , mal entendus jufqu’ à préfent.
Théodebert, fils de Childeljert roi d’Auftrafie,
avoit époufé Bilichilde, efclave de naiffance; il
la fait mourir, & époufe Théodechilde. Infâme ;
conjugium , difent les hiftoriens du temps en parlant
du fécond mariage: il étoit infâme fans doute,
puifqu’ il avoit été préparé par l’affaflînat dhwe première
époufe ; mais cette première époufe étoit
efclave de naiffance. Comment avoit-elle pu devenir
époufe légitime? Comment les hiftoriens ne
fe récrient-ils pas aufli fur l’infamie de ce premier
mariage ? c ’eft que Brunehaud avoit acheté Bili- :
childe, & l’avoit donnée à Théodebert fon petit-
fils ; c’ eft que Théodebert avoit probablement
affranchi cette efclave , & qu’ il avoit par-confé-
quent pu en faire une époufe légitime. - i
Frédegonde étoit déjà l’époufe de Chiîpéric
lorfque ce monarque époufa Garfonte. Fredegundis
conjux quondam vocata Chilperici régis. , offenfa
nova nupts aÇpeHibus. Galfonte eft affaflïnée.; mais
Frédegonde avoit encore une rivale , qui étoit
époufe & reine ; c’étoit Audovère. Le mariage
d’Audovère eft dilTous par les artifices de Frédegonde
: cette princelfe prend le voile dans un
monaftère ; Ghilperic lui afligne des domaines
considérables , & alors il époufe Frédegonde.
Reginam adopertam velamine monafierio retrufit ,
pr&dia ac facultates ei tribuens ; Fredegundtm ver6
fibi copulavit.
Voilà donc Frédegonde époufée deux fois par
Chiîpéric : il me paroît évident que le premier
mariage n’étoit & ne pouvoit être qu’ un rnariage
fecret ou privé, parce que Frédegonde étoit ef-
cla ve, & qu’elle n'appartenoit pas à Chiîpéric ;
elle étoit efclave de la reine Audovère. Fredegundis
, Audovers ancilla... ad cunSa deferviebat
vite necejfaria. Chiîpéric ne pouvoit donc pas
l'affranchir, ni par conféquent contracter avec
elle un mariage public & folemnel, fans le con-
fentement de la reine Audovère. Sans doute on
ne put obtenir d’elle l’abandon de cette efclave,
que lorfqu’ il ne lui fut plus poffible de conserver
pour elle-même les titres d’ époufe 8c de reine;
& c ’eft probablement pour être le maître de
donner la liberté à Frédegonde , que Chiîpéric
s’empara de tout ce qui appartenoit à la reine
Audovère, en la reléguant dans un monaftère,
& qu’il lui afligna de nouveaux domaines.
On comprendra maintenant comment les rois
purent avoir à la fois plufieurs époufes 5 comment
ils purent avoir plufieurs époufes qui portaient
à la fois le titre de reines ; comment ils
purent avoir des époufes qui n’étoient pas reines ;
comment ils purent avoir des concubines , ofâtre
les époufes reines & les époufes qui n’étoient
pas reines ; comment les époufes qui n’étoient
pas reines purent devenir reines ; comment les
concubines purent devenir époufçs & reines;
comment des enfans nés d’une concubine purent
hériter du trône, tandis que des enfans nés d’un
légitime mariage étoient exclus de la fuccefiion.
Dans les moeurs des Germains, la polygamie
étoit une prérogative propre aux rois & aux chefs
de la nation : il n’ eft donc pas étonnant que les
rois Francs aient eu plufieurs époufes à la fois ;
& fans la diftinétion que l’on fit entre le mariage
public & le mariage privé,, toutes les époufes
des rois auroient eu le titre de reines.
Mais la loi falique défendoit aux Francs d’épou-
fer publiquement l’efclave d’autrui : voilà ce qui
fit adopter par quelques rois diflolus l’ ufage des
mariages privés , qui ne donnoient à l ’époufe ni
le douaire, ni le titre , ni les prérogatives de reines
: par ce moyen , ils fatisfirent leur paffion ,
fans aller contre la loi.
Ceux qui eurent quelque refpeét pour l ’opinioft
publique , ne çontra&èrent que des mariages privés
, même avec leurs propres efclaves, même
avec celles q u i, fans être efclaves, étoient d ’une
naiffance abje&e.
Le concubinage dut être un effet néceffaire de
la polygamie ; dans Ce genre, l’abus naît de l’abus;
les defîrs fe multiplient à mefure que les befoins
diminuent. Pour fatisfaire ces defirs vagabonds >
le« rots durent préférer l'efpèce d’union qui les
eênoitle moins i & il eft probable que la nation
elle-même étoit. moins offenfée de ce tableau mouvant
de concubines qui fe fuccédoient: l’une a
l ’autre, que d’une foule de reines & d’époufes qui
auroient pefé tout à la fois fu r ,l’Etat.
Telle efclave qu’il n’avoit pas été d’abord au
pouvoir du roi d'affranchir, parce qu’elle ne lui
appartenoit pas, dont il n’avoit pu » par cette rai-
fon, faire que fa concubine, ou qu’il n’avoit pu >
tout au plus j époufer que par mariage priv é,
pouvoir être par la fuite vendue ou donnée au
roi : il étoit alors au pouvoir du roi de l’ affranchir
, & par conféquent de l’époufer publiquement
, d’en faire une reine. C ’eft ainfi que nous
avons vu Frédegonde d'abord époufe par mariage
fecret ou privé , puis époufe par matiage public3
& reine.
Telle autre femme que le roi auroit pu époufer
folemnellement fans aller contre la loi , parce
qu’elle étoit de condition libre, ou parce que le
roi pouvoit l’affranchir , avoit .pourtant coin
mencé par n’être que la concubinedu r o i , ou
f«n époufe par mariage'privé , foit parce qu’elle
étoit d’une naiffance vile , foit par d’autres motifs.
Elle pouvoit enfuite prendre de l’ afeendant
fur l’efprit du r o i , vaincre fa répugnance poux
Un mariage folemnel, & devenir reine. C ’eft ainfi
que Richilde, foeur de Bofon, commença par
être concubine deCharles-le-Chauve, quoiqu’elle
fût d’une naiffance prefque égale à la fienne, l'é-
poufa enfuite publiquement, & devint reine.
On a vu que , par les loix & les moeurs des
Francs , les bâtards fuccédoient au trône, fi d’ ailleurs
leurs mères n’étoient pas d’une naiffance
trop abjefte ; & l’exemple de Richilde vient de
"nous prouver que les femmes de la plus haute
qualité né dédàignoient pas d’être‘lés concubines,
des rois. Il a donc pii y avoir, & il y a eu en
effet plufieurs fils de nos rois, nés de concubines,
qui ont fuccédé ail trôné de leurs pères.
Mais on a vu auffi que les loix & les moeurs
excluoient de la fuccefiion les enfans nés de Tef-
clave d’autrui, d’ une efclave qui n’avoit pas été
affranchie > .& cependant les'rois pôüvoient, fans
I aller contre là l o i , non-feulement prendre dé telles
efclaves pour concubines , mais encore les
i époufer par mariages privés. Il pouvoit donc fe
[ faire que les rois eufient des enfans nés d’ une
[, époufe légitime, qui cependant fuffent inhabiles à
[ fuccéder au trône.
Thierry fécond laiffa quatre fils , qui font exclus
du trône- Ge n’eft point parce qu’ jls font fils
[ de concubines qu’on les ex c lut, mais parce qu’ ils
• fout materno latere minus nobiles,
Voilà les moeurs, les loix & les ufages des
Francs fur les. rapports de leurs rois avec les
femmes dont ils s'eptouroient. J’efpère qu'on ne
me foupçonnera pas d'avoir voulu les juftifier ;
mais plus ces loix & ces moeurs font détefta-
blés, plus elles s’éloignent de nos moeurs & de
nos principes, plus j’ai cru devoir en rechercher
l’origine, en expliquer les motifs , en rapprocher
les réfultats.
Une feule chofe me paroît inconcevable. J'ai
parlé de quelques reines répudiées. L ’hiftoire des
premiers uècles fourmille de ces fortes de répudiations
, & prefque toujours elles font fans cau-
f e , ou pour des caufes fi frivoles, qu'on peut les
regarder comme nulles. E to it-c e un abus de la
puiffance des rois ? Etoit ce un afte autorifé par,
les loix & par les moeurs du tems ?
Je ne vois cher les Germains qu’une feule caufe
qui autorifât les maris à répudier leurs femmes ;
c'étoit l ’adultère de la femme. Nulle prérogative
à cet égard pour les ro is , pour les chefs de la
nation.
Je parcours les codes de toutes ces peuplades
qui s’établirent dans les Gaules & dans les environs
: les uns ne parlent point de divorce ; d’autres
n’en parlent que pour Je défendre ; d’autres
ne le permettent que pour une feule caufe ; d’autres
défendent aux époux qui ont fait divorce ,
de contraéter de nouveaux mariages.
Cependant la trentième formule.de Marculfe
prouve qu’il ne falloir d'autre caufe pour le divorc
e , que la volonté réciproque des deux époux ,
& que tel étoit le droit commun des François.
« Il y, a lieu au divorcé entre le mari & la fem-
» me , dit cette formule, dan» certains cas , &
» pour certaines caufes prouvées ; c’ eft pourquoi,
» & attendu qu’entre tel & telle fon époufe , il n’y
« a plus cet amour réciproque, que Dieu recom-
■ » mandé,' aux époux mais qu’ il règpe au çon-
» traire entre eux une difçorde qur ne leur per-
» met pas dé vivre enfemble , ils font conve-
» nus l’un & l’autre qu’ils dévoient fe féparer ; ce
! w qu’ils ont fait. A ces caufes , ils- fe font donné
» l’un à l’autre, & ont promis d’affirmer par-tout où
» befoin feroit, ces lettres écrites tout d’un trait,
• par léfquellès chacun d'eux démeure aurorifé à
» fe confacrer au fervice de Dieu dans un monaf-
» tère , ou à cohrra&er un autre mariage , fans
» pouvoir être inquiété ni recherché par l’autre ;
»■> & dans le cas où l’um des deux voudroit, par
» la fu ite , .changer de réfolution , ou former
» quelque répétition contre fon pair , il fera
» obligé de lui payer une livre d’o r ; & fa de-
»mande ne pourra avoir aucun effet, ni rien
« changer à l’état que chacun d’eux aura embraffé.
» Fait; Te tel jour & en telle année, du règne de
s> tel roi ».