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paflfer ou raffiner le fucre pour le vendre à aucune
nation étrangère , & à préfent elles équivalent
à une défenfe de le palier ou raffiner pour
le vendre à une nation qui enleve peut-être les
neuf dixièmes de tout le produit. Auffi quoique
les raffineries ayent été floriffantes dans toutes
les colonies françoifes à fucre, cette manufaéture
n'a guère été cultivée dans les colonies angloifes
que pour leur propre ufage. Dans le tems que
Tille de la Grenade étoit aux françois, il y avoit
dans prefque toutes les plantations une raffinerie
j depuis qu'elle eft aux Anglois, on les a
toutes abandonnées. Cependant aujourd'hui y par
une indulgence de la douane , fl le fucre paffé
ou raffiné n'eft pas en pain 3 mais en poudre 3 il
entre ordinairement comme mofcouade.
Tandis que la Grande-Bretagne encourage en
Amérique les manufaélures de fer en gueufes &
en barres par l'exemption des droits auxquels ces
marchandifes font fujettes 3 quand elles lui viennent
d'ailleurs , elle y défend abfolument les forges
d'acier & les moulins appellés laminoirs. Elle
ne fonffre pas même que fes colonies ayent de
ces fortes de manufactures plus raffinées pour leur
ufage i elle veut qu'elles tirçnt.de chez elle tout,
ce qu'il leur faut en ce genre.
Elle défend d'y exporter d’une province à l'autre
par eau & par terre , même dans fth charriot
ou fur le dos d'un cheval 3 des chapeaux ou étoffes
de laine du produit de l'Amérique} réglement
quis’oppofe efficacement à l’établiffement de toute
manufa<àure de cette efpèce pour la vente au
loin, & qui refferre l'induftrie des colons dans
quelques ouvrages groffiers 3 comme on en fait
dans une famille pour fon ufage ou pour celui de
Tes voifins dans la même province ; ce beau régime
a été une des principales caufes de la révolution
des Etats unis.
En effet , Ôter à un grand peuple la liberté
de faire tout ce qu'il peut de quelque partie que
ce foit de fon produit, & l'empêcher d'employer
fes capitaux de la manière qu’il juge être la plus
avantageufe , c'eft une violation manifefte des
droits les plus facrés du genre humain. Au refte
ces prohibitions ,. toutes injuftes qu'elles étoient 1
pour les colonies qui forment aujourd’hui des répu- j
bliques indépendantes, n'ont pas été fort préjudiciables
aux colonies. Les terres y étoient encore à
fi grand marché , & le travail fi cher, qu'elles
pouvoient tirer de la métropole les productions
de prefque toutes les manufactures plus raffinées,
à meilleur compte qu'elles ne les auroient eu fi
elles en avoient été elles-mêmes les manufacturières.
Quand on ne leur eût rien défendu à cet
égard, il eft probable que dans les circonftances
où elles fe font trouvées jufqu'ici, elles n'au-
roient point établi dépareilles manufactures, parce
que leur intérêt ne le permettoit pas* Pans leur
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état progreffiF, ces prohibitions , fans gêner leur
induitrie , & fans les détourner d'aucun des chemins
qu’elles auroient pris d’elles-mêmes, n’ont
peut-être fervi qu'à marquer hors de propos &
fans raifon la fervitude que leur impofoit la ja-
loufie mal fondée des marchands & des manu-
faéluriers de la mère-patriè.»
Si d’un côté la Bretagne fe réferve quelques-
unes des plus importantes productions ’de fes
colonies , de l ’autre elle donne chez elle un avantage
à quelques-unes de ces productions { tantôt
en mettant de gros droits fur pareilles marchandifes
qui lui viendroient d’ailleurs, tantôt en
accordant des ' gratifications à leur importation
des colonies. Elle fe fert de la première de ces
méthodes par rapport au fucre & au fers elle
s’en fervoit par ^apport au t.abac avant la révolution
, & de l’autre, pat rapport à la foie écrue ,
le lin , le chanvre l ’indigo , les munitions navales
& le bois de charpente qu’elle reçoit d’elles.
-Cette fécondé manière d’encourager le produit
des colonies par des gratifications fur l’importation
, paroît -particulière à la Grande-Bretagne ;
la première ne l’eft pas. Le Portugal ne fe contente
pas de charger de gros droits le tabac qui
■ ne lui viendroit pas de fes colonies, il en-défend
l’importation,fous les peines les plus fëvères.
Quant à l’exportation des marchandifes d’Eu-*
ropeen Amérique, l’Angleterre a' encore mfeux
traite fes colonies que les autres nations n’ont
traité les leurs.
Elle permet qu'une partie, prefque toujours
la moitié, & quelquefois le total d'un droit qui
fe paye fur l'importation des marchandifes étrangères,
foit rendu lors de leur exportation à d'autres
pays. I l étoit facile de prévoir qu'aucune
nation indépendante n'en voudroit, avec la charge
des lourdes taxes auxquelles prefque toutes font
amijetties à leur entrée dans la Grande Bretagne.
I Si on n’avoit^ donc pas rendu une partie de ces
| droits j c'en étoit fait du commerce de tranfport,
commerce fi favorifé par le fyftême mercantille!
* £ La Grande-Bretagne s'étant attribué le privilège
de fournir à fes colonies les marchandifes
d’Europe, elle pouvoir les forcer (comme
l'ont fait d'autre nations), à recevoir ces marchandifes
chargées des droits que paie la mère - patrie.
Cependant elle a reftitué, jufqu'en 1763 S
fur l ’exportation de la plupart des marchandifes
à fes colonies , ce qu'on rabattoit, fur celle qui
fe faifoit aux nations étrangères indépendantes. II
eft vrai qu'à cette époque, elle parut fe lafier
de cette indulgence, qu'elle leur ôta en grande
partie par l'aéte de la quatrième année de George
I I I , en ftatuant « que déformais on ne rendroit
» rien de ce qu'on appelle l'ancien fubfide pour
» les marchandifes du crû, de la production a
4 ou des manufactures de l’Europe ou des Indes*
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fc ©riefitales qui feroient exportées de ce royaume
» aux colonies ou plantations angloife*5 de l'A-
» mérique , pour les vins-, les toiles blanches de
35 coton &: les mouflfelines 53. Avant cette lo i , on
pouvoit acheter dans les plantations angloifes la
plupart des marchandifes d'Europe, & on peut
même encore y en acheter quelques-unes à meilleur
compte qu'on ne les a en Angleterre.
I l faut obferver que la plupart des réglemens
concernant le commerce des, colonies ont été
confeillés par lësnégocians qui le font. Il ne faut
donc pas s'étonner que dans prefque tous on ait
eu plus d'égard à leur intérêt qu'à celui des colonies
& à celui de la métropole. En leur accordant
le privilège exclufif de fournir aux colonies
toutes les marchandifes d’Europe dont
elles avoient befoin,*& d'acheter du furabon-
dant de leur produit de la partie qui ne pouvoit
croifer aucun des autres commerces qu’ils font
en Angleterre, on a facrifié l'intérêt des colonies
au leur. On leur a facrifié celui de la mère-patrie
, à prendre même le mot intérêt félon les
idées mercantilles , en accordant fur la réexportation
de la plupart des marchandifes d'Europe
& des Indes orientales aux colonies angloifes,
les mêmes reftitutions de droit que fur la réexportation
à tout pays indépendant. Les négocians
anglois étoient intéreffés à payer le moins
poflible pour ce qu'ils envoyoient aux colonies angloifes
, & conféquemment à fe faire rembour-
fe r , autant qu'ils pouvoient, les droits qu'ils
avoient avancés fur l'importation dans la Grande-
Bretagne. Ils aequéroient par-là le moyen de vendre
dans les colonies là même quantité de marchandifes
avec le plus de bénéfices, & ils étoient
fûrs de gagner ainfi quelque chofe de l’une &
de l’autre manière. Les colonies , de leur côté,
étoient intéreffées à acheter ces marchandifes au
meilleur marché & dans la plus grande abondance
poflibles. Mais ce n'étoit pas toujours là
le compte de la mère-patrie. Elle pouvoit en
fouffrir fouvent, & dans fon revenu , puifqu'elle
abandonnoit une grande partie des droits payés
à l'importation j & dans fes manufactures 3 parce
qu'elle ne peut vendre leurs productions aux
colonies auffi bon marché qu'on leur vend les
marchandifes étrangères , en conféquenee des reftitutions
de droits. On dit communément que
le progrès des manufactures de toile en Angleterre
11'a pas laiflfé d'être retardé par les reftitutions
de droits fur les toiles d'Allemagne réexportées
en Amérique.
Mais fi c'eft le même efprit mercantille qui
a préfidé à la politique de l'Angleterre & à celle
des autres nations, par rapport au commerce
des colonies -j il faut avouer qu'il a été moins
avide & moins oppreffif de la part de l'Angleterre
que de celles de tous les autres peuples de
l’Europe« Cette obferYarion eft intéreffante 5
COL 773
car toutes les nations de l'Europe fe font récrié
fur l’avidité & le defpotifme des anglois envers
leurs colonies , fans fonger qu'elles-mêmes font
encore plus avides & plus defpotiques. Les colonies
angloifes ont eu pleine liberté de faire
leurs affaires comme elles l’entendoient, fi on
en excepte leur commerce étranger. Elles en jouif-
fent, à tous égards, comme leurs concitoyens
de l'Europe, & elle leur eft affinée de la même
manière par une affemblée des repréfentans du
peuple, qui ne réclame le droit de mettre des
impôts que pour le maintien du gouvernement
de la colonie. Cette affemblée en impofe au pouvoir
exécutif, & le dernier des colons , & celui
qui eft le plus en butte au gouverneur & aux
officiers civils & militaires , n'a rien à craindre
de leur reffentiment, tant qu'il obéit aux Joix.
Quoique les affemblées de la colonie ne foient
pas toujours une repréfentation bien completre
du peuple, non plus que la chambre des communes
en Angleterre , cependant comme le pouvoir
exécutif n'a pas le moyen de les corrompre,
& qu'il n’a pas befoin de le faire, puisque
c’eft la métropole qui l'entretient, peut-être
fe conforment-elles mieux aux inclinations de
leurs conftituans. Les confeils , qui dans la légif-
lation des colonies, répondent à la chambre des
pairs , ne font pas compofés d'une nobleffe héréditaire.
Dans trois provinces de [la Nouvelle-
Angleterre , ils n'étoient point nommés par le
roi, mais choifis par les repréfentans du peuple.
On n’y voyoit nul part de nobleffe héréditaire.
A la vérité, les defeendans d’une ancienne famille
de la colonie, à mérite & à fortune* égal,
y étoient plus refpeétés qu'un nouveau venu , ce
qui eft général par tout pays 5 mais ce refpeâ:
ou cette confidération n’alloit pas jufqu’à leur
donner le privilège de molefter leurs voifins.
Avant le commencement des troubles , les affemblées
des colonies avoient encore ncn-feule-
ment la puiffance légiflative, mais encore une
partie de la puiffance exécutrice. A ConneÜi-
cut & à Rhode-Ifland, elles choififfoient leur gouverneur.
Dans d'autres endroits , elles affignoient
le revenu aux officiers chargés de lever les taxes
qu'elles impofoient & qui leur étoient immédiatement
comptables. I l y avoit donc, plus d’égalité
parmi les colons anglois, que parmi les ha-
bitans de la mère - patrie 5 leurs moeurs étoient
plus républicaines, & leurs gouvernemens , fpé-
cialement ceux de trois provinces de la Nouvelle
- Angleterre, étoient auffi plus républi-,
cains.
Les gouvernemens abfolus d'Efpagne , de Portugal
& de France, ont été tranfportés dans leurs
colonies , & la grande diftance où elles font de
là fource de l'autorité, fait que le pouvoir que
ces trois cours donnent à leurs officiers inférieurs
y eft exerce,3Yec une violence plus qu’or