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difficile , à caufe des frais qu’il en coûteroit
pour le tranfporter hors du pays par terre &
par eau. L’abondance amène donc alors le
bon marché des denrées , & appelle dans le.
voinnage , un grand nombre d’ouvriers dont
i induftrie peut trouver là mieux qu’ailleurs les
néceffités & les commodités de la vie. Ces
ouvriers manufacturent les matières que la terre
produit j & quand leur ouvrage eft fa it , ils
1 échangent , o u , ce qui revient au même 3 ils
en échangent le prix contre une plus grande quantité
de matières 8c de denrées. Ils donnent ubp
nouvelle valeur au furplus du produit brut 3 en
épargnant la dépenfe de le voiturer au bord de
1 eau ou à quelque marché éloigné 3 8c en échange
ils fourniffent aux cultivateurs quelque chofe
d utile ou d’agréable, à meilleur compte. Les
cultivateurs vendent le furplus de leur produit
un meilleur prix , & achètent à meilleur marché
les commodités dont ils ont befoin. C e t avantage
leur donne l’envie 8c la faculté d’augmenter
ce furplus de produit, en améliorant & en
cultivant mieux la terre j 8e comme la fécondité
de la terre a fait naître les manufactures ,
les progrès de celles-ci réagiffent fur la terre ,
& font caufe qu’elle devient encore plus fertile.
Car quoique le produit de la terre & celui des
manufactures groffières ne puifTent que très-difficilement
fupporter la dépenfe d’un long tranf-
P0l't ^ les ouvrages d’une manufacture perfectionnée
ne font pas dans le même cas. Us offrent
fouvent dans un petit volume, le prix d’une
grande quantité de produit brut. Un morceau
de^ fin drap, par exemple, qui ne pèfè - que
huit livres, contient en foi le prix de huit livres
de laine, 8c quelquefois de plufieurs quintaux
de bled , qui font la fubfiftance des ouvriers &
de ceux qui les ont employés immédiatement.
L e bled qu’on auroit eu peine à tranfporter
en nature hors du pays, eft ainfi exporté fous
la forme d’ouvrage manufacturé , forme fous laquelle
il peut aifément fe tranfporter dans les
endroits du monde les plus reculés. C ’eft ainfi
qu’en Angleterre fe font élevées, pour-ainfî-
dire , d’elles-mêmes, les manufactures de Leeds,
Halifax, Sheffield ,‘ Birmingham & Wolver-
hampton. De telles manufactures font les enfans
de l’agriculture. L’hiftoire moderne dépofe
qu’elles ne fe font étendues & perfectionnées
qu’après celles qui doivent leur naifïance au
commerce. L’Angleterre étoit renommée, pour
la fineffe de fes draps faits avec de la laine
d’Efpagne, plus d’un fiècle ayant que les manufactures
que je viens de c iter, & qui fleu-
riffent actuellement , fuffent bonnes pour la
vente au loin , ou pour paffer chez l’étranger.
Celles-ci ne pouvoient s’étendre & fe perfectionner
que d’après les progrès de l’agriculture,
qui font à leur tour le dernier & le plus grand
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effet du commerce étranger 8c des manufactures
qu’il introduit, comme je vais l ’expliquer.
Comment le commerce des villes d contribué «
l amélioration des campagnes.
L’accroiffement 8c les richeffes des villes commerçantes
& manufacturières , contribuèrent de
trois maniérés à l’amélioiation & à la culture
des pays où ellés fe trouvoient.
i ° . Par la commodité d’un marché confidé-
rable & a portée, qu’elles fourniffoient à la cam-
pagne, pour la vente de fon produit brut. C e t
avantage ne fe bornoit même pas aux campagnes
où ces villes étoient fituées j il s’étendoit
H toutes celles qui commerçoient avec elles.
Comme elles ouvroient à toutes un marché pour
quelque partie de leur produit brut ou manufacturé
, elles donnoient à toutes un encouragement
favorable- à leur induftrie. Mais les campagnes
voifines tiroier.t, à raifon de leur voifinage,
le plus grand profit de ce marché 5 leur produit
brut n’ étant pas chargé des mêmes frais de
tranfport, les marchands pouvoient en donner
un Ineilleur prix aux producteurs , & le vendre
aux confommateurs auffi bon marché que celui
des campagnes plus éloignées.
Les habitans des villes employoîent fouvent
les richeffes^ qu ils avoient. acquifes à acheter des
terres qui étoient à vendre, 8e qui communé-
mentn étoient pas cultivées. Les marchands
ont 1 ambition de pofféder un bien de campagne y
& quand ils ont une térre, ils font plus propres'
a la faire valoir. Il font accoutumés à mettre,
la plus grande partie de leur argent à des projets
utiles, au lieu qu’un fîmple gentilhomme campagnard
eft accoutumé à dépenfer le fien. L’ un
voit fouvent fon argent fortir de fon coffre &
Y. revenir avec bénéfice j l’autre , quand il le
tire de fa p oche, s’attend rarement à l’y voir
re^ 'Cr’ ^ es ^ ver^es habitudes affeCfent leur caractère
8c leurs difpofitions. Le premier eft communément
hardi , & Je fécond timide. Celui-là
ne craint pas d’employer à la foi un gros capital
pour améliorer fa terre, quand il a la perfpeCfive
d en augmenter la valeur en proportion de la
depenfe qu il y fait. Si celui-ci a des capitaux
ce qui n’arrive pas toujours, il rifque rarement d’eiî
faire^ cet emploi. S’ il améliore un peu fa terre,
ce n eft pas ordinairement avec un capital , mate
avec ce qu’ il peut épargner fur fon revenu.annuel.
Quiconque a vécu dans une ville marchande fi-
tuee dans un pays médiocrement cultivé , doit
avoir remarqué combien les opérations Vaites
dans ce genre par les commerçans, font plus animées
que celles des propriétaires qui .font nés à la
campagne & qui y vivent de leur bien. D ’ailleurs
les habitudes d ordre , d.économie 3c d’attention,
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eue donne le commerce, rendent un homme
plus propre à fuivre ces entreprifes avec profit
& avec fucçès.
Et en dernier lieu , le commerce 8c les
manufactures introduifirent par degrés l’ordre &
le bon gouvernement, & avec eux la liberté 3c
la sûreté des individus parmi les habitans de
la campagne, qui auparavant vivoient dans un
état de guerre prefque continuel avec leurs
voifins , 8c dans une dépendance fervile à l’égard
,de leurs fupérieurs. Quoique cet effet du com
merce 8c de l’ induftrie ait été obferv.é Je dernier,
il eft beaucoup plus important que tous les autres.
M. Hume eft le premier que je Cache qui ;
en ait fait mention.
Dans un pays où il n’y a ni commerce étranger
ni belles manufactures, un grand propriétaire
pe trouvant pas à échanger ce qui lui refte de
fes productions , l’entretien des cultivateurs prélevé
, exerce néceffuirement chez lui une hofpi-
talité ruftique. Si cet excédent de productions
fuffit à la fubfiftance de cent ou de mille hommes,
il ne peut en faire un autre ufage que celui d’en-
trenir cent ou mille hommes. Il eft par confé-
qLient toujours environne d’une multitude de gens
qui dépendent de lu i, parce que n’ayant rien à lui
donneren retour de la fubfiftance 8c de l’habit qu’ ils
lui doivent, il faut qu’ ils lui obéiffent, par la
même raifon qu’il fuit que les foldats obéiffent
au prince qui les. pave. Avant J’extenfion du
commerce 8c des manufactures en Europe, l’hof-
pitalité des riches 8c des grands , depuis le fou-
verain jufqu’au plus petit baron , étoit telle qu’il
n’eft pas facile aujourd’hui de s’en former une
idée. La.falle de Weftminfter étoit la falle à
manger de Guillaume le Roux , & peut-être que
fouvent elle n’étoit pas trop grande pour fes
convives. On regarda comme un trait de magnificence
dans Thomas Becquet, d’avoir fait
joncher le plancher de fa falle à manger, de
paille fraîche ou de joncs , pour que les chevaliers
& les écuyers qui ne pouvoient avoir de
fièges ne gâtaffent point leurs habits lorfqu’ ils
s’affeyoient pour dîner. On dit que le comte
de Warwick nourriffoit tous les jours dans fes
différens manoirs trente mille perfonnes , 8c
quoique ce nombre puiffe être exagéré, l’exagération
même donne lieu de croire qu’il étoit
très-confidérable. On exerçoit encore il y a
quelques années une hofpitalité de ce genre j
en divers endroits des montagnes d’Ecoffe. Elle '
paroît commune à toutes les nations qui ne |
connoiffent guère le commerce ni les manufactures.
J’ai vu , dit le doéteur P o c o k , un chef
arabe dîner dans les rues d’une ville où il venoit
de vendre fon bétail, & inviter tous les paffans,
même les mendians, à s’affeoir à fa table & à
partager fon repas.
Les grands propriétaires n’ét-oient pas moins
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les maîtres, à tous égards, de ceux qui tenoîent
leurs rerres, que de ceux qu’ ils avoient à leur
fuite. Si cen’étoient pas des vilains , c’étoient des
tenanciers qui payoient une rente légère 8c point
équivalente, à la fubfiftance qu’ ils tiroient de la
terre. Un écu ou demi-écu d’Angleterre, une
brebis, un agneau, étoient, il y a peu d’années ,
dans les montagnes d’Ecoffe la rente ordinaire
pour des terres qui nourriffoient toute une famille.
Cela fe voit encore en quelques endroits, 8c
l’argent n’y acheté pas une plus grande quantité
de marchandifes qu’en d’autres lieux. Si le
furplus du produit d’ un vafte patrimoine doit
être confommé fur les lieux mêmes , il eft fou-
vent plus commode pour le propriétaire qu’ il
en foit confommé une partie loin de fa mai-
fon , pourvu que les confommateurs ne dépendent
pas moins de lui que fes penfionnaires 8C
fes domeftiques. Il n’a pas l’embarras d’une trop
grande compagnie, ou d’une maifon trop nom»
breufe. Un tenancier qui exploite affez de terrein
pour nourrir fa famille, moyennant une rente
qui n’eft guère plus forte qu’un cens, dépend du
propriétaire comme les penfionnaires ou domeftiques
, & il ne peut pas mettre plus de réferve
à l’obéiffance qu’ il lui doit.
Le pouvoir des anciens barons étoit fondé
fur l’autorité que les grands propriétaires
avoient néceffairement dans cet état de cho-
fes, fur leurs tenanciers & les gens de leur
fuite. Ils devinrent de toute néceftîcé les juges 8c
les chefs de ceux qui vivoient fur leurs terres ,
les juges dans la p aix , 8c les chefs dans la
guerre. Us pouvaient maintenir l’ordre & l’exécution
des loix, parce que chacun d’eux pouvoit
tourner toute la force des habitans contre j’ in-
juftice d’un particulier. Eux feuls avoient affez
d’autorité pour le faire ; le roi même ne le
pouvoit pas. Dans ces anciens tems, il n’étoit
guère que le plus grand des propriétaires de fes
Etats , & les autres grands propriétaires ne lui
rendoient certains hommages que par rapport à
la néceffité d'une défenfe commune contre des
ennemis communs. Si le roi eût voulu contraindre
quelqu’un, dans les domaines d’un grand
propriétaire, au paiement d’une petite dette,
s’il eût prétendu le faire de fa propre autoriré,
comme tous les habitans de ces domaines
étoient armés & fe foutenoient les uns les autres
, une pareille entreprife lui auroit à-peu près
coûté autant d’effort que s’ il eût été queltion
d’éteindre une guerre civile. Il falloit donc qu'il
abandonnât l’adminiftratîon de la juftice , dan-sla
plus grande partie du p ay s , à ceux qui
étoient capables de l’adminiftrer, & que, par
la même raifon, il laiffât le commandement de
la milice de la campagne à ceux auxquels cette,
milice obéiffoit.
On fe trompe, quand on imagine que cs&
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