tr-ont un peuple amolli par le luxe , les ficheffes,
les délices, les chaleurs des Indes, & que la
gloire de purger l'Afie de cette poignée de brigands
leur eft réfervée. L'armée raffurée applaudit
à l'empereur, & marche avec confiance. La bataille
s'engage. Les portugais mal fécondés par
leurs alliés, font enveloppés & taillés en pièces.
Badur s'enfuit Sz difparoît pour toujours. Toutes
les villes du Guz.urate s'empreffent d'ouvrir leurs
portes au vainqueur. C e beau royaume devient
en u | i f une province du vafte empire , qui doit
bientôt envahir tout l’Indoft^n.
Le gouvernement mogol, qui étoit alors dans
fa force, fît jouir le Guzurate de plus de tranquillité
qu'il n'én avoiteu.- Cette fécurité donna
une nouvelle irripulfîon à tous les efprits.. Toutes
les facultés fe développèrent, & l'on vit tous
les genres d'induftrie acquérir une perfection juf-
qu'alors inconnue. Il falloit un entrepôt où fe
réunifient tant de richeffes, & ce fut Surate qui
fe mit en poffeffion de cette utile prérogative.
Au commencement du treizième f î ècl ece
p’étoit encore qu’ un vil hameau ,, formé par des
cabanes de pêcheurs ., fur la rivière de Tapti, à
quelques milles de l'Océan.'L'avantage de fa po-
fîtio-n ÿ attira quelqtfès ouvriers & quelques marchands.
Us furent pillés trois ou quatre fois par
des pirates , & ce fut pour arrêter ces incür-
fîbns deftruétives, que fut conltruite en 1514
une fôitereffe. La place acquit, à cette époque,
une importance qui avoir beaucoup augmenté,
lorfque les mogols s'en rendirent maîtres. Comme
c'étoit la feule ville'maritime qui eût alors fubi
leur joug, ils contractèrent l'habitude de s'y pourvoir
de toutes leurs, confqmmations. de luxe. De
leur côté , les européens qui n'avoient aucun dès
grands établiffemens qu'ils ont formés depuis
dans le Bengale & au Coromandel, y achetoient
la plupart des, marchandises des Indes. Elles s'y
trouvoient toutes raffemblées par l'attention
qu’ayqit eu Surate de former une marine fupéricure
à celle de fes voifins.
. Ses vaiffeaux , rqui duroient des fiècles, étoient
lk plupart de mille ou de douze cents tonneaux.
Iis étoient’conllruits d'un bois très-dur qu'on appelle
teck. Loin’ de lancer les bâtimens à l'eau par
des apprêts, coûteux & des machines compliquées
on introduifoit dans le chantier comme
nous l'avon's pratiqué dépuis, la marée q.ui; les
enlevoit. Les cordages fait de boute de co.cotier
etbrent plus rudes: moins maniables que les
nôtres , mais ils avoient autant ou plus de foli-
dité. Si leurs voiles de coton n'étoient ni auffi
•fortes, ni. auffi durables que celles de lin & de
chanvre , elles fe pliaient avec plus de facilité ,
& fe dëchiroiént plus rarement. Au lieu de poix,
ifs . employoient ia gomme d'un arbre nommé
'ç à m a r qui valoir autant oujaneux.. La-capacité
de leurs officiers , quoique médiocre, étoit fufi-
fifante pour les mers , pour les faifons où ils na-
viguoient. A l’égard de leurs matelots, communément
nommés lafears , les européens les ont
trouvés bons pour les voyages d'Inde en Inde.
On s en eft même quelquefois fervi fans inconvénient
, pour ramener dans nos parages orageux,
des navires qui avoient perdu leurs'équipages.
^Nous Soupçonnions à peine que le commerce
pût avoir des principes , & ils étoient connusi
pratiqués , dans cette partie de l'Afie. On y trou-
voit de l ’argént à bas prix, & des lettres-de-:
change pour tous les marchés des Indes. Les
afîurances pour les navigations les plus éloignées
y étoient d'une reffource très - ufîtée. Il régnoit
tant de bonne f o i , que les fies étiquetés & cachetés
par les banquiers circuîoient des années
entières y^J fans être ni Comptés , ni pefés. Les
fortunes étoient proportionnées a cette facilité de
s'enrichir par l'induffrie. Celles de cinq à fîx millions
n'etoient pas rares , & il. y en avoit de plus
confidérables.
. Elles étoient la plupart entre fes mains des. banians.
Ces négocians étoient renommés pour leur
franchife. Quelques momens leur fuffifoient pour
terminer Jes affaires les plus importantes. Elles te
trajtoient généralement dans les bazards. Celui
quL vouloit vendre, annonçoit , en peu de mots
& à voix .baffe , la valeur de fa nurchandife. 0 n
lui répondoit en mettant une main dans 1a fienne.
L'acheteur marquoit par le nombre des doigts
qu’il plioit: ou qu'il étendoit, ce qu'il prétendoic
diminuer du prix demandé , & le plus fouvent le
marché fe trou,voit conclu, fans qu'on eut proféré
une parole. Pour le ratifier, les contra&ans
fe prenaient une féconde fois la main , & un accord
fait avec cette. fimplicité étoit toujours
inviolable. Si , ce qui étoit infiniment- rare, il
furvenoit des difficultés ces hommes fages con-
fervoient dans les- difeuffions les plus compliquées
, une égalité & une politeffe dont nous ne
nous formerions pas aifëment l'idée..
Leurs enfans qui âffiftoient à tous les marchés
fe formoient de bonne heure 4 ces moeurs paisibles.
A peine avoient- ils une lueur de raifort *
qu’ ils étoient initiés dans tous les mÿftères du
commerce. Il étoit ordinaire d'en voir de dix bu
douze ans en état de remplacer leur père. Quel
contraire , quelle diftance Â& cette éducation à
celle que nos. enfans reçoivent, & cependant-
quelle différence entre les- lumières des. indiens
& les progrès de nos connoiffances !:
Les barriàns qui avoient quelques efclav.es abyf-
fins, ce gui étoit rare chez des hommes fidoux,,
les traitoient avec une humanité qui doit, nous
- paroîtrre bien-Singulière.. Ils. les éle.v,oient comme:
tion ou dans les ■ plaîfîrs. Le foin d’arquer leurs
■ foUfciils /d'arranger leur,barbé, dépeindre leurs
■ fongles & l'intérieur ••de. .leurs mains , emportoit
■ une partie’ de la matinées Lé -refte du tems étoit
employé à monter- à .ch e v a l, '-à fumer , à boire
du café fe parfumer à Te coucher fur des lits de
rotes , à entendre, des/hiftoires fabuleufes, &
cultiver le pavot.., efpèce, dkxerciee qui avoit
pour eux de puiffans attraits.
s’ ils euffent été de leur famille , les formoient aux
affaires , leur avànçoient dés fonds , ne les l.aif-
foient pas feulement jouir des bénéfices , mais
leur permettoient même1 d'en -difpofer en. faveur
de leurs defeendans lorfq-u'ils en avoient.
La dépenfe des banians ne répondoit pas a leur
fortune. Réduits par principes de religion à fe
priver de viandes & de liqueurs - fpintueufes yak
ne vivoient que de fruits & de quelqu.es mets
fimples. On. ne les voyoit s'écarter de cette eco- .
nomie que pour l'établiffcmcnt de: leurs enfans.'
Dans cette occafion unique, tout étoit prodigue
pour le feftin , pour la müfique , la danfe , les
feux d’artifice. Leur ambition étoit de’ pôùvoir'
fe vanter de la dépenfe que leur avoient coûte
ces noces. Élle montoit quelquefois à cent mille
écus.
Les parfis, avec d’autres ufages. avoient un
câraétère encore plus refpeélable. G etoient des
hommes robùftes , bien faits & infatigables. Ils
étoient propres à tous les travaux-; mais ils. ex-
ee 11 oient1fur-tout dans laconftruôtion des vaifieaux
& dans l'agriculture. Telles étoient leur douceur
& leur droiture , qu'on ne les cita jamais devant
le magiftrat pour aucun aéfce de violence ou quelque
engagement de mauvaife-foi. La férenité de
leur ame fe peignoit fur tous leurs traits , dans
tous leurs regards , & une gaiete douce^ animqit
toujours leur converfation. Leur predileéïjon pout
les feélateurs de leur religion , ne les empechoit
pas d'être fenfibles au malheur de^ tous les hommes
: ils les fecouroient avec générofité, & leur
pitié s’étendoit jufqü'aux animaux. Une de leurs
plus grandes pallions étoit d acheter des efclaves,
de leur donnèr une éducation foignée , & de les
rendre ehfuite à la liberté. ' Leur nombre , leur
union & leurs richeffes les rendirent quelquefois
fufpefts au gouvernement : mais ces préjugés ne
tinrent jamais long - rems contre la 'conduite pai-
fible & mefurée de ce ' bon' peuple. ^On ne pou-
voit le blâmer que d'une fakté. dégoûtante , fous
les apparences-d'une propreté recherchée , Sr de
î'ufage trop fréquent d'une boiffon -^enivrante,
qui lui, étoit* particulière'. Tels.étoient lés^parfis à
leur arrivée aux Indes',fiels ils le çpnfervèrënt au
milieu des révolutions qui bôuleyersèrent fi fou'-'
vent l ’afyle qu’ils' avôiènt clioifi tels ils font,
encore*
Combien les mogols s'élbîgnpientr de ces moeilts
pures & auftères 1 G es mahométans ne' fe Tirent
pas plutôt en poffeffipn de Surate, qu'ils s'y embarquèrent
en foule pour aller vifiter la Mecque.
Beaucoup.de eês pèlerins s'arrétoient'ait port
avant lé .voyage , un plus grand nombre' à; leur
retour. Les commodités,, qui étoient plus'multipliées
dans cette fameüfe cité que dans le teftë
de l ’empire , y fixèrent, même pïùfiéufô' des ‘pUts
opulens. Leurs jours s’éco-Uloient d'ans'bett-e linac-’
Les fêtes que ces hommes voluptueux fe dôrt-
noj'entfbuV.ë'nt j pp;ur--prévenir l’ennui d’une, vie
trpp.monotone , commençoient pavr une promfion
étonnante dé rafraîchiflemeiis ,,.,.de. fucreries , de
parfums les plus exquis,. Des tours de forcé ou
d’adreffe , exécutés ordinairement par des bengalis
;, i fuivoient ces. amufemens tranquilles. IÎS
étoient remplacés; paç June , mufique que des
oreiiie$- délicates au-roient peut'-être réprouvée ,
mais;qui étoit du goût de ces orientaux, La nuit y
qn'ouvrpient des feux d’artifice d'une lumière plus
tendre que les n ô t r e s é to i t occupée- par des
danfeufes ,' dont les bandes fe fuccédorent plus
ou moins fouvent | fuivânt le rang ou la riefieffe.
de ceux qui les appell,oient. Lorfque la fatiété des
plaifîrs invitoit au repôs', on faifoit entrer un ef- .
pèçe de v io io n q u i . par des, fons dpux , uniformes
&. fouvent répétés , . provoquoit au foin-
meil. Les plus corrompus alloient fe jetter dans'
les bras d’un jeune efolave abyflîn , & employoient
des moyens connus dans ces contrées pour pro^
longer cette j.ouiffanee infâme-..
Jamais lès femmes! n’étoient admifes à CéS di--
vèniffemens : mais’ elles appelloient auffi des .danfeufes
& fe procuroient d’autres diffractions. La-
préférence que leurs maris dbnnoient généralement
à des courüfannes, étouffoit dans leur coeur
tout, fenliment d’affeétion pour eux , 8e par con--
, Çéquent de jaloufie, entr'elles. ' Auffi vivoient elles:
: dans .une muon allez étroite. C ’étoit du point dé'
pfe, réjouir a lorfqu on annonçoit une nouvelle com-
■ pagne, parce que' c'étoit une augmentation de
; fociété Cependant elles ayoient une grande influence
dans les affaires importantes ^ 8c un mogot
| le. dé.çidoic prefque toujours- par lej confeil de fou
Hâj-ém. Celles dé fes épôufçs qui-n'avoient point
l d'enfàns, fprtoient afièz fouvent pour vifiter les
parefis de leur fexe. Les autres auroient pu jouir
de la même liberté;, fi e.îles n’avoient préféré'
l’ iionneur de leurs fils, fin guü ère ment attaché à-
l’opinion qu’on a de là fageffe de leurs mères.
Elles les éîevoient èlles-mêmes avec beaucoup de'
foin &. de.tendreffe , & ne s'en-féparoient jamais
pas même lorfqu’ils; qiiittoient la mâifon pater--
nellé^.' -
1 Quoiqué Tes autres nations- établis à- S u r a t# .
nfoutraflent pas, comme les mogols-, tous- les
gehres* de:-volupté , elles ne laiffoient pas d’ayoirr
, d e s 1 jouiffances. Dans- une yüle ovi-.les- édifices»