
la puiflfancee qu*îl s’ eft donnée comme légiflateur.
11 peut ravager l'Etat par Tes volontés.générales j
& comme il a encore la puiflance de juger, il
peut détruire . chaque citoyen par fes volontés
barticulièreé. »
- »» Toute la puiflance y eft une 5 & quoiqu'il
n’y ait point de pompe extérieure qui découvre
un prince defpotique , on le fent à. chaque inf-
tant. »
r » Audi les princes qui ont voulu fe rendre
defpotiques, ont-ils toujours commencé par réunir
en .leur perfonne toutes les ;magiilratures.<, &
plufiçurs rois d'Europe toutes les grandes* charges
de leur Etat, » V ,
j '» Je crois bien que la pure ariftocratie héréditaire
des républiques d’Italie ,* ne répond pas
’précifément au delpotifme de l’Afie. La multitude
des magiftrats adoucit quelquefois la magif-
trature.; tous les nobles ne concourent pas toujours
aux mêmes delfeins î on y forme, divers
tribunaux qui fe, tempèrent. Ainfi,, à. Venife le s
grand-confeil a la légrflation ; Je vprégidi l’exé-j
cution i les quaranties le pouvoir de, juger. Mais
le mal eft que ces tribunaux différens‘.font formes’
par des magiftrats du même corps j ce qui ne
fait guère qu'une, même puilfance. n
Toutefois “après ces remarques: qu’on pourrait;
beaucoup étendre'-, nous obfërvérons que les peuples
fournis à la république de 3 Venife.paient de
'modiquesimpôçs, 8è qu'on les gouverné av.ee douceur;
On ne Tait prefque-mourir perfohrie. On;
condamne, des’ plus grands criminels à vingt ans
de cachot 3 ou à être enfermés pour la vie. La police
eft déteftable dans les: provinces',, mais on y eft affranchi des perquifîtions & des gênes
.qui accompagnent un(epolice mieux réglée.
< * On a pris tant de ’précautions pour ôter tout
'pôüvoir dangereux à ceux qui exercent les places
Tüpériëures , que là conftituti'on a en elle-même
tin très-grand principe de Vie.
D ’ailleurs Tes nobles ne font pas întérëfles à
s’ élever au r deffus de leurs confrères, & la puif-
-fancer.&, la Torttina dont on ne peut guère faire
ufage , d’ap rè s les loix 1 fomptuairesd oivent
à voir moins d’attraits à Venife que par- tout ailleurs.
Qiiôique tous le s4 nobles'fembdent concourir
aux dignités de l’état , il n’y à ’cependant que
trente ou quarante familles ■' qui ' foient vraiment
fufceptibles des préoirètes, lèfquelles1 Remportent;
la néceffité d'une ..grande dépenfe. If eft cortittruni
dç voir des
Les,nobles fe^ fur veillent les. uns les autres aflez'
’ exactement : ils1 font fi" ihteteîTés :à maintenir ia
cbnffiitutio’n ,. qui leur l'don né part :â la Touve-
^s-ïîîeïé ' & qui leur .offre une vie agréable , qu’ileft
pîus difficile à Venife qu’ ailleurs de change*
le .gouvernement.
Il y a beaucoup d’abu-s, parce qu’on craint extrêmement
d’entreprendre quelque chofe de nouveau
, même lorfque les abus font avérés : 1 ad-
miniftration fuit toujours la route battue. Peu de
gens s’occupent des abus, 8c la- manière dont on
a récorn penfé le zèle de M. Angelo-Quirini,
empêchera de’ propofèr des réformes : enfuite
la mutation rapide des emplois, arrête ceux qui
voudraient les propofer.: •
. Harrington vante beaucoup plufieurs détails du
gouvernement de Venife 5 & e n effet lî on l’étudié
avec foin , on voit que nulle part*'on n°a imagine
des êombinaifons plus heureufes’dans un g o u vernement
qui par fa nature doit être fi défectueux
Un miniftre François , (M. d’ Argenfon ,, )
en avoit cette opinion, à l’époque où l’on jugeoit
l’adminiftration de cette république avec beaucoup
de fé vérité-
» Venife eft purement ariftocratiquè} les nobles
y régnent, mais non avec confufion ; au' Contraire
avec un ordre 8c des règles durables, qui oiït
fait l’admiration- des politiques. »
» C et ordre ariftocratiquè n’ accorde pas feulement
• les nobles entre 'eux , il garantit encore lés
'roturiers des vexations de la nobleffe. En Pologne
le payfan n’eft garanti que par le ménagement qfre
! chacun a pour fon bien ,, l ’habitant y eft fe r fou
efçlave. La jaloufîe des nobles moins riches contre
les plus riches y produit tout l’ordre j les loix
& la morale y préfervent de la vexation. ».
» A Venife l’habitant y eft confidéré comme
appartenant à la république & non à la nobleffe,,
& y eft ménagé en cette qualité. »
s II ne réfulte donc de cette fupériarité .de la
nobleffe fur les autres citoyens, aucun a’ppau-
vrilTement dens le plat-pays > au contraire les
peuples font fort ménagers en terre-feryne par prudence
j on .eft doux faute de citadelles Ôcd’armées.
La république cherche à retenir les peuples par
amour,- 8c elle ne fe fouvient que fes provinces
'Fontpays de conquête, que pour lesménagefdavantage.
Quand on la dépouilla fî rapidement par
la guerre de Cambrai, k s provinces qui lui étoiënc
enlevées régrettoient- bientôt lé joug de Saint-
Marc 3 8c y rentraient- avec joie. » ,
» Le gouvernement eft tout-à-fait ariftocratiquè
à Venife, mais démocratique en terre-ferme. Les
nobles de terre-ferme font humiliés & mécon-
tens,, mais le. peuple y eft tranquille & heureux :
.exemple à, citer devant une monarchie, qui peut
Bien plus aifément l’adopter que [’ariftocratie n’a
pu, la. produire. g»
» Les républiques font deftinées :à* concentrer
leurs forces , 8c àj^demeurer contentes de ce
V E N
qu’elles ont : malheur à elles quand elles veulent
trancher de la royauté} ou il leur arrive alors de
tomber fous les tyrans comme à la république
romaine, ou de fe ruiner par des guerres d’humeur
8c par des efforts malheureux , comme Carthage
, & fucceffivement Athènes •, Sparte &
Thèbes, lorfque ces illuftres républiques prëten-
doient dominer fur le refte de la Grèce, 8c s’ étendre
en Italie & en Sicile. Venife a éprouvé les
abus d’une politique trop raffinée 8c trop arnbi-
tieufe j elle s’ eft livrée à des reffentimens 8c à
des haines, ne prétendant qu’éloigner les offenfes
8c fe faire refpeéLr 5 elle avoit trop étendu Tes
conquêtes, fous prétexté d’étendre fon commerce
& celui, de fes citoyens 5 elle avoit infpiré une
envie univerfelle par un commerce forcé} enfin
elle mortifioit fes voifins par fes vues inquiettes
pour l’équilibre • univerfel. Les téms font bien
changés} elle ne fonge qu’à fe maintenir, & elle
paroît pénétrée enfin de cette maxime : Une fage
république ne démêle que de loin les affaires générales
de l’Europe. « Elle paroît pénétrée de cette
autre maxime : La défiance eft la mère de la sûreté
, dont les états, ainfi que les hommes, fen-
tent mieux la jufteffe à mefure qu’ils vieüliffent.
Le gouvernement de Venife eft très-fingulier,
8c il nous relierait beaucoup de chofes à dire
pour eh donner une idée complette. On dit
que perfonne n’a mieux écrit fur cette matière
qu’Amelot de la Hôunaye. C e t éloge“eft extrêmement
exagéré. Le livre d’Amelot eft plein
d’inexaélitudes & d’erreurs hiftoriques} fes juge-
mens font en général peu réfléchis, 8c faute d’avoir
approfondi le véritable mécanifme de certaines
inftitutions politiques, il s’eft mépris fou-
vent fur leur effet. L ’ouvrage où les étrangers pui-
leront les plus sûres notions du gouvernement de
Venife 3 eft la traduction italienne de l’excéllente
hiftoire de Venife, de M. l’ Abbé Laugier, accompagnées
de nombreufes notes du traduéteur.
S E C T I O N I I I .
Remarques fur L'état aëiuel de cette république , & fur-
fa décadence.
Ll femble d’abord qu’une république gouvernée
avec tant de foin aurait dû conferver toujours fa
fplendeur, & affermir de plus en plus fa puifiance
Mais k même caufe qui ruina celle de Sparte, a
précipité la décadence de celle ci} c’eft la manie
des conquêtes. Le doge Thomas Mocénigo con-
feilloit , en mourant , aux vénitiens de borner
leur empire aux lagunes 8c à tant d’ifles-qu’ils
avoient acquifes dans l’Archipel & dans ria'Méditerranée
^ & que l’état brillant & redoutable
de leur marine leur permettôit de conferver.
Mocénigo , jouiffimt de toute la vigueur de i’ef-
prit 8i du corps , étoit à peine écouté : pouyoitdl
V E N 6 0 1
efpérer que fa voix affoibli fe ferait entendre fur
le bord de la tombe ?, On méprifa fes a v is , on
courut de conquête en conquête } on envahit les
Etats voifins fans motif, même fans prétexte}
c ’eft ainfi que les Vénitiens donnèrent de l’ombrage
a» pape , à tous les princes d’Italie, à l’empereur
, .au roi cfys France , & . fuccombèrent enfin
fous lès coups redoublés de la ligue de Cambrai
j ils achetèrent de leurs plus belles poifeflîons
une paix ignominieufe } ils confervèrehr peu de
provinces en terre r ferme , ou plutôt ils en con-
fervèrenc trop encore, puifque c’eft. de-là que le
luxe &Ja.corruption pafsèrent dans leur capitale.
Leurs anciennes loix fubfiftèrent} mais les anciennes
moeurs furent oubliées. D ’ailleurs il fallut
divifer les forces , garnir les frontières & répandre
dans les villes, de terref ferme'dés magiftrats
, dont le zèle & les talens étoi,ent nécef-
faires à Venzfe. Il fallut enfin fe maintenir contre
le grand-feigneur, qui ne perdant point le tems
à>délibérer , sûr d’être obéi dès qu’il avoit commandé,
prenoit des villes , tandis qu’à Venife on
tenoit des afi'emlilées.
La lenteur des délibérations a fou vent expofé
la république aux plus grands dangers. C ’eft ainfi
quelle, a perdu Tifle de Candie} en vain I'am-
baffadeur qu’elle avoit envoyé auprès de la Porte
; avertiffoit il chaque- jour fes concitoyens des
préparatifs du grand-feigneur , & du but de fon
armement. On délibéra , on confulta } les avis
furent-partageT, & lorfqu’on réfolut de fe défendre,
la moitié du royaume "de Candie étoic
déjà au pouvoir des turcs. Sélim enleva de même
celui de Chypre aux vénitiens. En vain Jerome
Zane 8c Pafchal Cigogne repréfentoiefit su
: fénat , qu’il ne falloit point attendre la déclaration
de guerre pour fe fortifier , qu’il falloir,
au contraire , montrer un front menaçant, jetter
de la terreur parmi les turcs } on,craignit de trop
augmenter le crédit de ces deux généraux ea
déférant à leur opinion , & l’on perdit un royaume
pour humilier deux citoyens, ;
Un autre vice de la politique vénitienne eft
de défefpérer & les généraux & les ambalfadeurs,
en blâmant fans ceffe leur conduite, de k s
rendre refponfables de toutes les fautes de la
fortune , & de punir comme des attentats ( lorfque
le fuccés n’eft pas heureux ) des opinions
auxquelles on:avoit applaudi, lorfqu’ on ks avoit
propofées. Enfin, dit Amelot de la HoulTaye ,
» k fénat de Venife eft fort fujet à fnivre dans
les conjonctures fâcheufes la voie du milieu
qui néanmoins eft la pire d!e toutes, c’ efl à-dire '
que , de deux avis que l’on aura proposes im
réfôîu & généreux ,, l’autre lâche & timide ils
en compileront “un trôifîème'qui tiendra de i ’ufi
8c de l'aube;, fans en examiner autrement la
compatibilité , ni le danger. »
Venife ne fubfifte que par la rivalité des puif