
porte que celle qui eft aflignçe;. c’eft un fujet^cîe
délation au gouvernement, qui ne manque pas
de s'en prévaloir , pour établir des avanies 8c des
amendes. De-là dés inimitiés 8c une guerre eter-
nellè entre les divers couvens & entre les adhe-
rens de chaque communion. Les Turcs , a qui
chaque difpute,rapporte toujours de largent,
fon t, comme Ton peut croire , bien éloignés d'en
tarir la fource. Grands 8c petits, tous en tirent
parti 5 les uns vendent leurs protections, les autres
leurs félicitations : de-là un efprit d'intrigue & de
cabale qui a répandu la corruption dans toutes les
claffes; delà pour le motfallam, un cafuel qui
chaque année monte à plus de cent mille piaftres.
Chaque pèlerin lui doit une entrée de dix piaftres ;
plus un droit d’efcorte pour le voyage au Jourdain,
fans compter les aubaines qu'il tire des imprudences
que ces étrangers commettent pendant leur
féjour. Chaque couvent lui paye tant pour un
droit de proceflion, tant pour chaque réparation
à faire ; plus, des préfens à l’avènement de chaque
fupérieur, 8c au lien propre ; plus , des gratifications
fous-main pour obtenir des bagatelles fecret-
tes que l’on follicite ; 8c tout cela va loin chez les
Turcs qui dans l’ art de preffurer, font aufii enten*
dus que les plus habiles gens de loi de l’Europe.
En outre, le motfallam perçoit des droits fur la
fortie d’une denrée particulière à Jerufalem; je
veux parler des chapelets, des reliquaires, des
fanCtuaires, des croix, des paflîons-, des agnus-
dei , des fcapulaires, 8c c. dont il part chaque
année près de-trois cens cailles. La fabrication de
ces uftenfiles de piété eft la branche d induftrie
qui fait vivre la plupart des familles chrétiennes 8c
mahométanes de Jérufalem-8c de les environs ;
hommes , femmes 3c enfans , tous s occupent a
fculpter, à tourner le bois , le corail, ,§ca broder
en foie , en perles 8c en fil d’or 8c !d argent. Le
feul couvent de Terre- fainte en lève tous les ans
pour cinquante mille piaftres ; & ceux des grecs ,
des arméniens 8c des coptes reunis , pour une
fomme encore plus forte : ce genre de commerce
eft d’autant plus avantageux aux fabricant, que la
main d’oeuvre eft prefque Tunique objet de leur
falaire ; 8c il devient d’autant plus lucratif aux dé-
bitans , que le prix du fonds eft décuplé par une
valeur d’opinion. Ces objets exportés dans la
Turquie, l’Italie, le Portugal & 'fu t- to u t en
Efpagne, en font revenir à titre d aumônes ou
de payemens , des fommes confidérables. A cet
article les couvens joignent une autre branche'non
moins importante , la vifite des pèlerins. L on
fait que de tout tems, la dévote curioficé dé vifi-
ter les faints lieux, conduifit de tout pays des
chrétiens à Jérufalem 5 il fut même un- fiècle où
les miniftres de la religion en avoient fait un a&e
néceffaire au falut. L’on fe rappelle que ce fut
cette ferveur qui agitant l’Europe entière , pro-
duifit les croifades. Depuis leur malheureufe ifliie,
Je zèlç des Européens fe refroidiffant de jour en
jour, le nombre de leurs pèlerins s’eft beaucoup
diminué ; & il fe réduit déformais à quelques
moines d'Italie, d’Efpagne & d'Allemagne ; mais
il n’en eft pas ainfi des orientaux. Fideles à l'efprit
des tems pafles , ils ont continué de regarder le
voyage de Jérufalem comme uné oeuvre du plus
grand mérite. Ils font même feandalifés du relâchement
des francs à cet égard, 8c ils difent qu'ils
font tous devenus hérétiques ou infidèles. Leuts
prêtres 8c leurs moines à qui cette ferveur eft utile,
ne celfent de la fomenter. Les grecs fur-tout affu-
rent que le pèlerinage acquière les indulgences
plénières , non - feulement pour le paffé , mais
même pour l’avenir, 8c qu'il abfout non - feulement
du meurtre , de Tincefte j de la pédéraftie;
mais encore de Tinfra&ion du jeune 8c de jours
de fête , dont ils font des cas bien plus graves.
De fi grands encouragemens ne demeurent pas fans
effet; 8c chaque année il part de la Morée , de
l'Archipel, de Conftantinople, de la Natolie ,
de l’Arménie , de l'Egypte 8c de la Syrie , une
foule de pèlerins de tout âge 8c de tout fexe 5
Ton en portoit le nombre en 1784 à deux mille
têtes. Les moines , qui trouvent fur jeurs regif-
tres que jadis il pafToit dix & douze mille, ne'
ceffent de dire que la religion dépérit, 8c que le
zèle des fidèles s’éteint. Mais il faut convenir que
ce zèle eft un peu ruineux, puifque le plus fimple
pèlerinage coûte au moins quatre mille livres, 8c
qu’ il en eft Couvent q u i, au moyens des offrandes,
fe montent à cinquante 8c foixante mille livres.
Yâfa eft le lieu où débarquent ces pèlerins. Ils
y arrivent en novembre , 8c fe rendent fans délai
à Jérufalem , où ils relient jufqu’après les fêtes-de|
pâques : on les loge pêle-mêle par familles , dans
les cellules des couvens de leur communion; les
religieux ont bien foin de dire que ce logement
eft gratuit ; mais il n’eft ni honnête ni fûr de s’en
aller fans faire une offrande qui excède de beaucoup
le prix marchand d’une location. En outre ,
Ton ne peut fe difpenfer de payer des meffes, des
fervices, des çxorcifmes, 8cc. autre tribut affez
confidérable. L ’on doit acheter encore des crucifix,
des chapelets, des agnus-dei, Scc. Le jour des
rameaux arrivé, Ton va fe purifier au Jourdain ,
& ce voyage exige encore une contribution. Année
commune elle rapporte au gouverneur quinze
mille fequins turcs, c’eft à-dire, cent douze mille,
cinq cens livres, dont il dépenfe environ la moitié
en frais d’efcorte 3c droits de paffage qu’exigent
les arabes.'
On conçoit que le féjour de cette foule à? Jéru-
falera pendant cinq à fix mois , y laifle des fommes
.confidérables : à ne compter que quinze cens
perfonnes, à cent piftoles par tête , c’eft un million
8c demi : une partie de cet argent paffe en
payement de denrées au peuple 8c aux marchands ,
qui rançonnent les étrangers de tout leur pouvoir.
L’eau fe payent en 1784 jufquà quinze fols la voie.
Une autre partie Va ^u gouverneur 8c à Tes employés.
Enfin, la troisième relie dans les couVens.
On fe plaint de Tufage qu’en font les fehifmati-
ques; 8c on parle avec fcandale de leur luxe, de
leurs porcelaines ., de leurs tapis 8c même des fa-
bres. des kandjars 8c bâtons, qui meublent leurs
cellules. Les arméniens 8c les francs font beaucoup
plus modeftes : c’ eft vertu de néceflité dans
les premiers, qui font pauvres ; mais c’eft vertu
de prudence dans les féconds, qui ne le font pas.
Le couvent de ces francs, appelle St.-Sauveur,
eft le chef lieu de toutes les miftîons de terre-fainte
qui font dans l’empire turc. L ’on en compte dix-
fept, que deffervent des francifcains de toute nation
, mais plus fouvent des françois, des italiens
8c des efpagnols. L ’adminiftration générale eft confiée
à trois individus de ces nations , de telle manière
que le fupérieur doit toujours être né fujet
du pape j le procureur fujet du roi catholique, 8c
le vicaire fujet du roi très-chrétien. Chacun de
ces adminiftrateurs a une cle f de la cai-fle générale,
afin que le maniement des fonds ne puiffe fe
faire qu’en commun. Chacun d’eux eft aflifté d’un
fécond , appellé diferet : la réunion de ces fix per-
fonnages & d’un diferet portugais, forme le directoire
ou chapitre Touverain qui gouverne le couvent
8c Tordre entier. C i - devant une balance
combinée par les premiers législateurs, avoit tellement
diftribué les pouvoirs de ces adminiftrateurs
quela volpnté d’un feul ne pouvoit maîtri-
fer celle de tous ; mais comme tous les gouver-
nemens font fujets à révolution, il eft arrivé depuis
quelques années des incid.ens qui ont beaucoup
dénaturé celui-ci. En voici Thiftoire en deux
mots.
Il y a environ vingt an s , que par un défordre
affez familier aux grandes régies , le couvent de
terre-fainte fe trouva chargé d’une dette de fix
cens bourfes ( fept cens cinquante mille liv. ) Elle
croiffoit de jour en jou r, parce que la dépenfe
ne ceffoit d’excéder la recette. Il eut été facile de
fe libérer tout-à-coup, attendu que le tréfor du
faint fépulcre pofsède en diamans 8c en toutes for- j
tes de pierres précieufes, en calices, en croix, en
ciboires d’o r , 8c autres préfens des princes chrétiens,
pour plus d’un million ; mais outre'. Taver-
fîon qu’ont eue de tout tems les miniftres des
temples à toucher aux chofes facrées , il pouvoit >
être important dans le cas en queftion v de ne
pas montrer aux turcs , ni meme aux chrétiens',
de trop grandes reffources. La pofition étoit em-
barraffante j elle le devenort encore davantage par
les murmures du procureur efpagnol, qui fe plai-
gnoit hautement de fupporter feul le fardeau de la
dette, parce qu’en effet c’etoit lui qui fourniffoit
les fonds les plus confidérables. Dans ces circonf-,
tances, J. "Ribadeira qui occupoit ce pofte, étant
venu à mourir, le hazard lui donna pour fuccef-.
feur un homme qui y plus impatient encore, réfolut
de remédier au defordre, à quelque prix que
ce fût. Il s’y porta avec d’autant plus cfactivité ,
qu’ il fe promit des avantages particuliers de la réforme
qu’il méditoit. Il dreffa fon plan en confé-
quence; pour l’exécuter, il s’adreffa immédiatement
au roi d’Efpagne, par Tentremife de fon
confeffeur, 8c il lui expofa:
>5 Que le zèle des princes chrétiens s’étant beaucoup
refroidi depuis plufieurs années, leurs anciennes
largeffes au couvent de terre- fainte avoient
confidérablement diminué ; que le roi très-fidèle
avoit retranché plus de la moitié des quarante
mille piaftres fortes-qu’il avoit coutume de donn
er; que J e roi très-chrétien fe tenant acquitté
par la proteélion .qu’ il açcordoit, payoit à peine
les mille écus qu’il avoit promis ; que l’Italie 8c
l ’Allemagne deven oient de jour en jour moins libérales
, 8c que fa majefté catholique étoit la feule
qui continuât les bienfaits de fes prédéceffeurs. Il
repréfenta que d’autre part, les dépenfes de Téta—
bliffement n’ayant point fùbi la même diminution,
il en réfultoit un vuide qui forçait chaque, année
de recourir à. un. emprunt ; que de cette maniéré
il s’étoit formé'une dette qui s’açcroiffoit de jour
en jou r, 8c qui menaçoit de conduire à une ruine
finale ; que parmi les caufes de cette dette, Ton
devoir fur-tout compter le pèlerinage, des moines
qui venoient vifiter les faints lieux ; qu’il falioit
leur payer leurs voyages, leurs rioiis, leurs péages,
leur penfion au couvent pendant deux ou trois
ans , 8cc. ; que par un cas fin^uliér la majeure
partie de ces moines étoit fournie par ces mêmes
#Etats qui avoient retiré leurs largeffes ; c’eftsà-
dire par le Portugal, l’Allemagne 8c l’Italie; qu’il
fembloit étrange que le roi d’Efpagne défrayât des
gens qui n’étoient point fes fujets ; & qu’il étoit
abufif que le maniement même de Tes fonds fut
confié à un chapitré prefque tout compofé d’étrangers.
Le fuppliant infiftant fur ce dernier articlé,
prioit fa majefté catholique d’intervenir à la réforme
des abus, 8c d’établir un ordre nouveau Sc
plus équitable , dont il infirma le deffein ».
Ce s repréTentations eurent tout l’effet qu’il
pouvoit defirer. Le roi d'Efpagne y faifant droit,
fe déclara d’abord prote&eur fpécral de Tordre
de terre - fainte au levant, 8c en prit en cette
qualité la direction ; puis il nomma J. Ribadeira
fon procureur royal , lui donna à ce titre un
cachet aux armes d’Efpagne, & lui confia à lui
feul la geftiôfi de fes dons , fans en être comptable
qu’à fà perfonne. De ce moment Ribadeira ,
devenu plénipotentiaire , a fignifié au diferétoire
que déformais^ il auroit une caiffe particulière
féparée de la caifîe commune ; que cette dernière
refteroit comme ci-devant chargée des dépenfes
générales; 8c qu’en conféquence , toutes les con-
tri'butions- des nations-y feroient verfées; mais
qu’attendu que celle d’Efpàgne étoit hors de proportion
avec les.autres, il iven feroit défoymai*