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te que nous venons de dire : car les obferva-
tions de Montefquieu reftent dans leur entier.
Une maladie nouvelle, dit-il, s’eft répandue en
Europe; elle a faifi nos princes, & leur fait entretenir
un nombre défordonne de troupes ; elle
a fes redoublemens, & elle devient néceflairement
contagieufe : car fi-tôt qu’un Etat augmente ce
qu’il appelle fes troupes, les autres foudain augmentent
les leur, de façon qu’on ne gagne rien
par-là que la ruine commune. Chaque monarque
tient fur pied toutes les armées qu'il pourrait
avoir, fi ces peuples'étoient en danger d’être exterminés
; & on nomme paix cet état d’effort de
tous contre tous. Auifi l’Europe eft elle fi ruinée,
que les particuliers qui feraient dans la fituatipn
où font les trois puiffances de cette partie du
monde les plus opulentes, n’auroient pas de quoi
vivre. Nous fommes pauvres avec les richeffes &
le commerce rie tout l’univers; & bientôt, à force
d’ avoir des foldats, nous n’aurons plus que des
foldats, & nous ferons comme des tartaïes. ( x )
Les grands princes, non contens d’acheter les
troupes de? plus petits^ cherchent de tous côtés
à payer des alliances; c’eft-à-dire, prefque toujours
à perdre leur argent.
La fuite d’une telle fituation eft l’augmentation
perpétuelle des tributs; & ce qui prévient tous
les remèdes à venir, on ne compte plus fur les
revenus, mais on fait la guerre avec fon capital.
Il ri’eft pas inoui de voir des Etats hypothéquer
leurs fonds pendant la paix-même, & employer,
pour fe ruiner, des moyens qu’ ils appellent extraordinaires
, & qui le font fi fo r t, que le fils
de famille le plus dérangé les imagine à peine.
TUNIS- L ’un des Etats Barbarefques.
C e t Etat a négligé fa marine militaire depuis
que la.t.égençe a conclu des traités avec les puiffances
du N o rd , & que la Corfe efl: tombée fous
la domination de la Franc?. On a compris que la
valeur des prifes couvrirait à peine les frais des
armemens', & il n’a guèrès été confervé que les
bâtimens uéceffaires pour garantir les côtes des
defcentes des malthois.
Les forces de terre n’ont éprouvé aucune diminution
: cinq à fix mille Turc s , .ou .chrétiens apof-
tats , font toujours les plus folides appuys de la
république- j
Leurs1 enfâns, fous le nom de Couloris , forment
une fécondé troupe. Au moment de leur
naiffance ils-font foudoyés ; la première paye
qu’ ils reçoivent eft de deux afpres, ou d’ un fol ;
elle augmente avec l’âge, avec les grades, jufqu’à
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vingt-neuf* afpres , ou quatorze fols fix deniers •
on la réduit à la moitié, ïorfque les infirmités &
les bleffures obligent les foldats à fe retirer.
Trois mille Maures compofent la cavalerie de
l’Etat ; leur folde eft très-foible, & ils la reçoivent
le plus fouvent en denrées. Leur occupation la
plus ordinaire eft de lever le tribut impofé aux
Arabes.
Les troupes ont toutes un fufil fans bayonnette,
& deux piftolets à la ceinture ; les Turcs font
mçme armés d'un poignard, & les Maures d’un
ftylet. Le courage & l’impétuofité doivent tenir
lieu aux uns & aux autres de tactique & de dit*
cipline.
Aucune contrée de l’Afrique feptentrionale.
n’ a un revenu publie aufïi confidérable que Tunis;
il eft de dix-huit millions de livres. Cette profpé-
rité, tout-à-fait moderne , a été la fuite d’une révolution
heureufe dans le gouvernement Le dey,
qui gouvernoit avec fes Turcs , a été dépouillé de
la plus grande partie de fon autorité, & remplacé
par un prince Maure qui, fous le nom de bey ,
conduit a&uellement les affaires, affilié d’un con-
feil plus fage & plus modéré. Les vexations fe
.font un peu affoiblies; on a moins mal cultivé les
terres, & les manufactures ont pris quelque ac-
croiflement. Il n’étoit guère poffible que les liai-
fons avec l’intérieur de l’Afrique augmentaffent ;
elles fe réduiront toujours à l’échange d’un petit
nombre d’objets contre la poudre d’or apportée à
travers des fables & des déferts immenfes. Mais
les relations maritimes fe font étendues ; le Levant
a reçu plus de productions, & le commerce avec
l’Europe a fait aufïi quelques progrès.
Quoique l’Angleterre, la Hollande, le Danne-
marck, la Suède , Ragufe & quelquefois la To f-
cane entretiennent des confuls'à Tunis, les ventés
& les achtas de ces nations s’y réduifent à très-
peu de chofe. Les anglois même n’y en font
point; ils n"y ont. un agent que pour afïiirer davantage
la tranquillité de leur pavillon dans la
Méditerranée, & j>our procurer un débouché de
plus aux infulaires de Minorque. Les françois
feuls l’ emportent fur tous leurs rivaux réunis, &
cependant ils n’introduifent annuellement dans les
pofTeflions de la république que pour deux millions
de livres marchandifes. Au profit que ce pe#
pie tire de fes envois, au profit qu’il tire de fes
retours , toujours plus importans, il faut ajouter
le bénéfice que font fes'navigateurs, en voiturant
"dans toutes les échelles du Levant les denrées de
la république, en lui portant ce que ces contrées
fourniffent pour fon approvifionnement. Chacun
des nombreux bâtimens occupés à ce cabotage *
( i ) Il ne f a u t , p o u r x e la , que faire v a lo ir U nouvelU in rcn fio n de« milices établies dans prefque toute J’Europe , & le«
port,et au m$me excès que l'o n a fait les troupes réglées*
paye
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paye trente-une livres dix fols pour fon ancrage »
& une Tomme égale lorfqy’il met fa careaifon à
terre.
C e qui entre dans l’Etat ne doit que trois pour
cent, s'il.vient directement du pays qui le.fournit;
mûi's les productions du Nord , ou d’ailleurs, qui
ont été dèpofées à Livourne, payent huit pour
cent comme celles qui font propres à ce port célèbre
, onze même, fi elles font adieffées aux
Juifs. Le gouvernement s’étoit autrefois réfervé
le commerce exclufif des huiles qu’une partie de
ï’Europe demande pour fes «fabriques de fivon,
& l’Egypte, Alger, Tripoli pour d’autres ufages.
Il a renoncé à ce monopole, mais il en fait acheter
le facrifice par des droits trèsconfidérables.
Quoique Tunis ait concentré dans fes murs une
.grande partie du commerce, les autres rades de
,1a république, répandues fur une côte de quatre-
vingt lieues, ne laiffent pas de recevoir quelques
bâtimens.
La plus voifine de Tripoli eft connue fous le
nom de Sfax ; fon fond eft d’ argille. Elle a fi peu
d’eau , que les moindres navires font obligés de
mouiller au loin & d’excéder leurs équipages, ou
de fe ruiner en frais de bateaux. Le territoire
n’ offre point de denrées pour l ’exportation ; mais
il s’ eft établi dans la v ille, principalement habitée
par les arabes., des fabriques aifez importantes.
Là rade de Sufa, défendue par trois châteaux,
dont le plus moderne même tombe en ruine,
quoiqu’il ne foit pas encore achevé, eft très-dan-
gereufe : les vents d’eft & de nord-oueft , qui la
traverfent, inquiètent fans çeffe les vaiffeaux, &
font quelquefois périr ceux qui n’ont pas eu le^
tems de fe réfugier daus la baie de Monofter.
Malgré cet inconvénient, c’eft la fécondé place
de la république. C ’eft à : l’abondance de fes
huiles & de fes1 aines qu’elle doit fon activité.
. Tunis eft fituée dans des marais infedts, au pied
ou fur le penchant d’une colline. Quoique l’air
n’y foit pas pur, quoique, les eaux y foient.fi mau-
vailes qu’il en faille aller chercher de potables à
deux ou trois milles, il s’eft réuni dans fes murs
cent cinquante mille habitans les moins barbares
de l’Afrique. Cette ville communique avec la
mer par un lac qui ne peut recevoir que des bateaux
très plats, nommés fandals. A la ’ fuite de
ce lac eft un-canal étroit qui conduit à la Gou-
lette, qu’on doit regarder comme la rade de la
capitale; elle eft immenfe, su ie , d’une égalité
peu commune dans fon fond & dans fes eaux,
ouverte feulement au vent de nord-eft, & fermée .
par deux chaînes de montâgnes que le cap Bon &
le cap Zebib terminent au nord.»-.,
Bizerte étoit fort célèbre Ïorfque l’Etat entre-
tenoit un grand nombre de galères. C ’étoit dç ce
(Econ. polit. 6’ diplomatique. Tom, IF*
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J port qu’ on les expédioît ; c’étoit dans ce port
qu’elles rapportoient le fruit de leurs pirateries
fans ce fie répétées. Peu-à-peu , le canal qui cond
u is it lie la rade à la ville, s'eft rempli de vafe,
& il n’eft maintenant acceffible que pour des fandals
: les bâtimens, même marchands, n’y peuvent
plus entrer, & ils font réduits à jetterl’ancre
dans un mouillage aflfez dangereux.
Port Farine, fitué fur les ruines ou dans le vei-
finage de l’ancienne Utiq ue, étoit autrefois &
feroit encore , fous un autre gouvernement que
celui des Maures , un des ports les plus vaftes,
les plus sûrs , les plus commodes de la Méditerranée.
Il eft défendu par quatre forts & fermé
par une paffe étroite, à peine ouverte dans, ce
moment aux plus petits navires, & q u i, fi l’on
continue à la négliger, fera dans peu tout-à fait
comblée par les fables que la mer y jette continuellement.
C ’eft pourtant Parfénal & le feul afyle
de la marine militaire , aujourd’ hui réduite à trois
demi - galères & à cinq chebecks- A quelques
milles de cette ville eft la place qu’occupa C a r thage;
les débris d’un grand aqueduc &■ quelques
citernes affez bien confervé e s , c'eft tout ce qui
refte d’ une cité fi renommée; fon port même eft
fi bien anéanti, que la iiièr en eft éloignée-d’une
lieue.
Prefque à l’embouchure de la Z a in e , qui fé-
pare l’Etat de Tunis de celui d’Alger, eft l’ifl'e
Galice, couverte de troupeaux , & fur-tout de
mules recherchées dans tout le Levant. Ses nombreux
habitans font tous tifferands en laine, ou
pêcheurs d’éponges- Non loin de cet ifîe eft celle
de Tabarque, que la famille de Lomeilini poffé-
< doit depuis deux fiécles > lorfqu’elle en fut dépouillée
en 1741. Les Génois tiraient de ce roc
aride une grande quantité de très-beau corail.
Nous avons dit à l’ article T r ip o l y quel eft le
gouvernement de Tunis, & on trouvera d'ailleurs
aux articles A frique & Ba r bar e squ e s ce qu*il
eft important de favoir fur les pirates d’Alger , de
Tunis & de Tripoly.
TÜ R G O V IE . Foye{ T h u r g o v ie .
TU R Q U IE . Foye^.l’ article O t t o m a n .
T Y R A N N IE , eft le dernier excès du gouvernement
monarchique & defpotique.
Il y a deux fortes de tyrannie ; une réelle, qui
confifte dans la violence du gouvernement, & une
d’opinion , qui fe fait fentir Ïorfque ceux qui gouvernent
établiffent des chqfés qui choquent la
manière de penfer d’une nation.
Dion dit qu’Augufte voulut fe faire appeller
Romulus ; mais qu’ayant appris que. le peuple
eraiguoit qu’il ne voulût fe faire r o i , il changea
D d d d