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binaire. Dans tous les gouvernemens abfolus il
y a plus de liberté dans la capitale que dans
tout le relie de rem pire. Le fouverain ne peut
jamais avoir ni interet ni penchant à renverfer
Tordre de la juftice ou à opprimer le grand corps
du peuple. Sa préfence contient dans la capitale
tous les officiers fubalternes , qui peuvent exercer
plus impunément leur tyrannie dans les provinces
éloignées, d'où les plaintes du peuple ont
tant de peine à parvenir jufqu’au trône. Or les
colpnies de TArnerique font plus éloignées de la
mère-patrie que ne Tétoient dans la capitale
les provinces des plus grands empires qui ayent
jamais exifté- Le gouvernement des colonies an-
gloifes ell peut-être le feul, depuis le commencement
du monde , oùleshabitans d'une province
fituée fi loin aient joui d'une parfaite fureté. Il
faut cependant convenir que Tadminiftration des
colonies françoifes a toujours été conduite avec ;
plus de douceur & de modération que celle des ;
colonies efpagnoles & portugaifes. Cette fupé
riorité de conduite eft conforme au caraâère
de la nation françoife , 8c à ce qui fait le car :
raétère de chaque nation, la nature de fon gouvernement
, qui , quoiqu’arbitraire 8c violent ,
en comparaifon de celui de la Grande- Bretagne , j
eft légal & libre , en comparaifon de ceux de
TEfpagnë & du Portugal.
C ’eft principalement dans les progrès de TA-
mérique feptentrionale, qu(e la fupériorité dé lai
politique angioife fe fait remarquer. Les colonies j
françoifes à fucre ont prôfpéré autant , ou peut- j
être davantage, que la plupart des colonies a ;
fucre de l’Angleterre, quoique celles-ci jouifiênt;
d’un gouvernement libre à-peu-près femblable à j
celui qui eft établi dans le nord de TAmerique. I
Mais on n’empêche pas les colonies françoifes !
de raffiner, leur fucre, au lieu que l’Angleterre >
décourage les raffineries dans les fiennes ; & ,
ce qui eft encore plus important, le génie du
•gouvernement & le caractère de la nation intro-
duifent dans les premières une meilleure méthode j
de fe conduire par rapport aux nègres.
Dans toutes les colonies européennes, les cannes
a fucre font cultivées par des efclaves nègres. On
fuppofeque la conftitution des hommes nés dans
les climats tempérés de l’Europe ne pourroit
réfilter au travail de creufer la terre fous lefo-
leil brûlant des Indes occidentales ; & cette -culture,
qui, félon l’opirrion de plufieurs perfon-
nés., feroit plus avantageufie f ii on y enaployoit,
la charrue , s’eft faite jufqu’à prêtent avec la be-
che. Cette queftion n eft point du tout décidée, I
■& Il eft fur qu’on pourroit fane avec des ani- i
maux, plufieurs des ouvrages qu’on fait encore i
avec des efclaves. L ’Angleterre fe fou lève eon- j
tre Tefdavage des nègres.: cet odieux abus de |
•la force eft jugé par Topinion publique de !
tous les1 pays de l ’Europe : cette abominable fer-1
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vitiide fera anéantie un jour, du moins il &ut
1 efperer •: alors on ne manquera pas de fucre,
& les opinions de ceux qui foutiennent avec tant
d intrépidité, que les terres d’Amérique ne peuvent
etre cultivées que par des nègres , paroîtront
men ^ méprifablès. En attendant, comme le
bénéfice 8c le fuceès du labour qui fe fait par
le moyen du bétail dépendent beaucoup de la
maniéré de traiter les beftiaux, de même celui
qui fe fait par des efclaves dépend beaucoup de
la manière de gouverner les efclaves ; & en ce
point les planteurs françois font généralement
reconnus fupérieurs aux colons anglois. La lo i ,
dans la foible prote&ion qu’elle donne à Tef-
dave contre da violence de fon maître, doit n a-*
turellement être mieux exécutée fous un gouvernement
en grande- partie, arbitraire , que dans
une colonie où il eft libre. Par-tout où la trifte
loi de Tefclavagë eft établie , le magiftrat qui
protège Tefclave fe mêle ^ en quelque forte de
Tadminiftration des propriétés particulières , &
dans un pays libre où le citoyen maître de l’ef-
clave^ eft peut-être membre de Taffemblée de la
colonie, ou a part à l’éleétion des membres qui
la composent, le magiftrat ne peut s’occuper de
ce droit iiitéreffant fans la plus grande réferve
8c la plus grande circonfpection. La confidéra-
tion qu’il a pour le maître , fait qu’il lai eft
difficile de venir au fecours de Tefclave. Mais dans
un gouvernement arbitraire , le magiftrat s’ingère
jufqu’à un certain point de cette adminif-
tration, & envoie au befoin une lettre-de-cachet
aux propriétaires , s’ils refufent d’obéir à fa volonté.
I l lui eft donc plus facile de prêter à Tef-
clave^ une main fecou râble , & la fîmple humanité
T y difpofe. Cette appui rend Tefclave moins
méprifable aux yeux de fon maître , qui en a
plus d’égards pour lu i , & qui le traite avec plus
de douceur. D ’un autre côté/ les bons traiteniens
rendent Tefclave plus fidèle & plus intelligent,
8c par cette double raifon plus utife. Sa condition
approche davantage de celle d’un domef-
tique libre, & il petit avoir a quelque de'gr.é de
la probité & de l’attachement pour fon maître
vertus qu’on rencontre fouvent chez 'ceux qui
fervent librement, mais qu’on ne voit guère chez
les efclaves, quand on les traite avec auffi peu
de ménagement qu’on le fait communément dans
les pays où les maîtres jouiffent d’une liberté
8c d’une fureté toutes entières.
Que la ’condition d’un efclave foit meilleure
fous un gouvernement arbitraire que fous, un gouvernement
libre , 'c’eft ce qui eft prouvé , je
penfie , par i’hittoire de tous 'les fiècles 8c de
toutes les nations. Nous voyons dans Thiftoire
romaine que le magiftrat ne 'commença que fous
les empereurs à interpofer fon autorité pour défendre
Tefclave de Tinjuftiee du maître. Lorf-
que Vediüs jPdfcon ordonna , en préfçncè d’An-
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gufte, qu'un de fes efclaves , qui avoit commis
une faute légère , fût mis en pièces & jette dans
fon vivier pour fervit de pâture à fes poiftons,
l’empereur indigné lui commanda d’émanciper
fur le champ cet efclave , & tous ceux q.ui lui
appartenoient. Dans le teins de la république,-aucun
magiftrat n’aurôit eu affez d’autorité pour
fauver Tefclave, encore moins pour punir le
maître.
I l faut obferver que les capitaux qui ont fait
prôfpéré? les colonies françoifes à fucre , particulièrement
la grande colonie de Saint-Domingue
, ont été prelqu’entièrement l’ouvrage de leurs
progrès & de leur culture. Ils ont été prefqu’ën
entier le produit du fol & definduftrie desy colons
, ou, ce qui revient au même, le prix de
ce produit graduellement accumulé par une bonne
adminiftration , 8c rendu à la culture pour aug;
menter la production. Mais les capitaux auxquels
les colonies à fucre de l’Angleterre doivent
leur .amélioration 8c leur culture , font venus en
grande partie de la Grande-Bretagne, 8c n’ont
pas été . uniquement le produit du fol & de l’in-
duftrie des colons. Leur profpérité eft la fuite
des grandes richefi’es, dont une partie a reflué,
ou s’eft , pour-ainfi-dire, dégorgée fur ces colonies
$ au lieu que celle des colonies françoifes
doit être entièrement imputée à leur bonne conduite",
qui leur a donné quelque fupériorité fur
les nôtres. Or on a obfervé que cette fupériorité
paroît fur-tout dans le gouvernement-de leurs
nègres.
Tels font les traits généraux qui ont caraété-
rifé la politique des différentes nations européennes,
à l’égard de leurs colonies.
On voit qu’elle n’a pas beaucoup à fe glorifier
ni de leur établiffement primordial, ni de
leur profpérité fubféquente.
La folie & Tinjuftice paroiffent avoir été
les principes qui ont préfidé au premier établif-
fement de ces colonies , & qui . l ’ont dirigé;
la folie de courir après l’or 8c l’argent, 8c Tinjuftice
de convoiter les poffeffions d’un pays dont
les habitans fans malice, bien loin d’avoir fait
aucun tort aux Européens , avoient reçuleurs premiers
aventuriers avec toutes fortes de marques
de bonté & d’hofpitalité.
A . la .vé r ité , les. aventuriers qui formèrent
quelques-uns des derniers établiffemensjoignirent
au projet chimérique de trouver des mines
d’or 8c d’argent., d’autres motifs plus rai-
fonnabîës 8c plus louables ; mais ces motifs même
font peu d’honneur à la politique dé TEn-
rope.
Les puritains anglois-, perfécutés chez eux,
allèrent chercher là liberté en Amérique, 8c
y établirent les quatre gouvernemens qu’on voybit
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avant la révolution dans la Nouvelle-Angleterre.
Les catholiques anglois, traités avec autant d’in-
juftiee, établirent celui de Maryland; les qua-
kres , celui de Penfylvanie; les juifs portugais,
pourfuivis par Tinquifition , dépouillés de leur
fortune & bannis au Bréfil, y introduifirent par
leur exemple quelque ordre & quelque induf-
trie parmi les mauvais fujets & les proftitués qu’on
: Y avoit tranfportés , qui avaient peuplé originairement
cette colonie , & qui-apprirent d'eux
à cultiver les cannes à fucre. Dans toutes ces.
différentes occafions , ce n’eft point la fageffe
8c la politique, mais le défordre & Tinjuftice
des gouvernemens européens,,qui ont peuplé
& cultivé l’Amérique.
Us ont eu auffi peu, de part au mérite d’ef-
feétuer 'quelques-uns des plus importans de ces
établiffemens, qu'à celui de les projettes La
; conquête du Mexique fut le projet , non du con-
I feil d’Efpagne, mais du gouverneur de Cuba ,
i & elle .fut effeâuée par le génie de l ’intrépide
I aventurier qui en fut chargé , malgré tous les
; efforts que fit enfuite pour la traverser ce même
| gouverneur, qui fe repentit bientôt d’avoir donné
| fa confiance à Cortez. Les conquérans du Chili
j 8c du Pérou , 8c de prefque toutes les parues
de l’Amérique où les efpâgnols ont des pof-
■ feffions , n’emportoient avec eux d’autre encouragement
de la part de cette monarchie, que la
permiffion de faire des établiffemens & des conquêtes
au nom du roi d’Efpagne. Toutes les en-
treprifes étoient aux frais & aux rifques des aventuriers.
A peine le gouvernement efpagnol contribua
t-il à quelqu’une d’elles. Celui d’Angleterre
ne contribua pas davantage à la formation
de quelques-unes de fes puiffantes colonies de
l’Amérique feptentrionale.
Quand tous les établilïèmens furent confom-
més, 8c qu’ils devinrent affez confidérables pour
attirer Tattention de la mère - patrie , les premiers
réglemens qu’elle fit. par rapport à eux eurent
toujours pour objet de s’affurer le monopole
de.leur commerce , de circonfcrire leur marché,
& d’aggrandir le lien à leurs dépens , &
par confequent de retarder 8c de décourager plutôt
Je cours de leur profpérité , que de T animer
& de l'accélérer. C ’eft • dans les diverfes manières
d’exercer ce monopole , que confifte une
des: plus, effentielles différences de la politique
des nations de l’Europe à l’égard de leurs colonies.
La meilleure de ces manières , celle dont s’y
eft prife TAnglèterre , n’eft au bout du compte
que moins malhonnête 8c moins opreffive que
les autres.
En quoi donc la politique de l’Europe a-t-elle
fervi foit au premier établiffement, foit à la
grandeur actuelle des colonies de l’Amérique ? En
une chofe, & c’eft la feule. Magna yirum ma