
foixante & feize mille fept cens quatre-vingt-
quatorze de morues vertes.
Mais cette accroiffement ne mit pas la France
en état d’alimenter les march é s étrangers , comme
elle le faifoit vingt-ans auparavant; à peine fa
pêche fuffi foi t-elle à la confommationdu royaume.
Il ne reftoit rien ou prefque rien pour fes colonies
, dont les befoins étoient fi étendus.
C e t important commerce êtoit paffé tout entier
à fes rivaux , depuis que la viéioire lui avoit
donné le nord de l’Amérique. Ils fourniffoient la
morue au midi de l’Europe & aux Indes Occidentales
; ils la fourniffoient même aux ifles Franco
ifes s malgré l’impôt de quatre francs par quintal ,
dont on l’avoit chargée pour la repouffer ; malgré
une gratification de trente-cinq fols par cent pe-
fa n t , accordée à la pêche nationale. La Grande-
Bretagne voyoit avec une douce fatisfaéiion 3
qu’indépendamment des confommations faites
dans fes divers établiffemens , cette branche d'in-
duftrie nonnoit chaque année à fes fujets de 1 ancien
& du nouvel hémifphère, .une maffe con-
fidérable de métaux , une grande abondance de
denrées. C e t objet d’exportation feroit encore
devenu plus confidérable y fi , au tems de la conquête,
la cour'de Londres n’avoit eu l’inhumanité
de chaffer des ifles Royale & de Saint-Jean ., les
François qui s’y trouvoient établis , qui n.ont pas
été remplacés, & qui peut être ne le feront jamais.
TERRES. Propriétés en fonds de terres,
Remarques fur les loïx touchant le partage des
terres , fur leur culture.
Quand on a des terres la même idée qu’on a des
biens meubles , c’eft-à-dire, quand on les regarde
uniquement comme des moyens de fubfiftance
& de jouiffance , la loi naturelle des fucceffions
partage les unes comme les autres entre tous
les enfans de la famille, ou entre tous ceux dont
le père a également à coeur la fubfiftance & le
bonheur. Auffi cette loi naturelle des fucceffions'
fut elle fui vie chez, les romains, qui ne faifoient
pas plus de diftin&ion entre les aînés & les cadets
, entre les mâles & les femelles a dans l ’Heritage
de leurs terres , que nous n’en fàifons dans
la diftribution du mobilier. Mais quand on regarde
les terres, comme des moyens non-feulement
de fubfiftance , mais de pouvoir & de pro-
te&ion , on croît qu’il vaut mieux qu’elles ne
foientpas démembrées, & quelles paffent toutes
entières à un feul de la famille. Sous, le gouvernement
féodal, chaque grand-propriétaire étoit une
efpèce de petit prince. Ses tenanciers étoient fes
fujets. Il étoit leur juge, & , à quelques égards ,
leur légiflateur en tems de paix , & leur chef à
la guerre. Il faifoit la guerre félon fon bon plaifir,
ibuvçnc à tes voifins, quelquefois à fon fouyerain.
La sûreté du territoire , & la prote&ion que le
propriétaire pouvoit donner à ceux qui l’habi-
toient , dépendoient donc de la grandeur des
pofTeffions. Les divifer, c’eut été les ruiner &
expofer chaque partie à être pillée & engloutie
par les voifins. La loi de primogéniture vint à
s’établir, non tout de fuite, à la vérité, mais
avec le tems, dans la fucceflîon aux biens-fonds,
par la même raifon qu’elle s’eft généralement établie
dans celle des monarchies , quoiqu’elle n’ait
pas toujours eu lieu dès leur première inftitution.
Afin que la puiffanee , & conféquemment la sûreté
de la monarchie , ne s’ affoiblifTe point par
la divifion, il faut qu’elle aille toute entière à un
des enfans. Mais auquel donnera-t-on cette préférence
fi importante , c’ eft ce qui doit être déterminé
par quelque règle générale, fondée non
fur les diftinétions douteufes.du mérite perfonnel,
mais fur quelque différence claire & évidente qui
ne foit pas équivoque. La feule différence in-
conteftable , entre les enfans d’une même famille,
eft celle du fexe & de l’âge. Le fexe mafculin eft
univerfellenfent préféré au féminin , & toutes
chofes d’ailleurs égàfès , l’àîné l’emporte par-tout
fur le cadet. De - là l’origine du droit de primogéniture
, & de ce qu’on appelle la fucceffion en
ligne directe.
Souvent les loix confervent leur force Iong-
tems après que les circonftances qui les ont oc-
cafionnées, & qui feules pouvoient les rendre
raifonnables , n’exiftent plus. Dans l’état préfent
de l’Europe, ta propriétaire d’un feul acre de
terre eft auffi afïuré de fa poffeffion, que celui
l qui en a cent mille. Cependant le droit de primogéniture
continué d’être refpe&é, & comme il eft
de toutes les inftitutions la plus propre à fou-
tenir l’orgueil-des diftin&ions de famille , on le
gardera vraifemblablement encore plufieurs fiècles.
A tout autre égard , il n’y a rien de fi contraire
à l’intérêt d’ une famille nombreiife , qu’ un droit
qui , pour enrichir un enfant, appauvrit tons
lés autres.
Les fubftitutions font une fuite naturelle du
droit de primogéniture. Elles ont été introduites
pour conferver une certaine fucceffion en ligne
droite, dont le droit de primogéniture donna
d’abord l’id é e , & pour empêcher qu’une partie
des biens-fonds ne fortît de cette ligne par des
dons, par des le g s, par aliénation , par la folie
ou le malheur de l’un de ceux qui en devien-
droient les propriétaires , en fuivant cette ligné
de fucceffion. Elles étoient abfolument inconnues
aux romains. Leurs fubftitutions & leurs
fidéi commis n’ont pas la moindre reffernblance
avec nos fubftitutions , quoiqu’il ait plu à certains
jurifconfultes françois d’appliquer à ces inf-
titutions modernes le langage & la forme dont
les ançieris fe fervoiçnt pour les leurs.
Lorfqug
Lorfque de grandes pofTeffions en terres étoient
des efpèces de principautés, les fubftitutions pouvoient
n’être pas déraifonnables. Semblables à ce
qu’on appelle loix fondamentales dans certaines
monarchies, elles pouvoient empêcher que la sûreté
de plufieurs: milliers d’hommes ne fût mife
en danger par le caprice ou l’extravagance d’un
feul. Mais elles font abfhrdes dans l ’état a&uel
de l’Europe, où les moindres biens en terres
tirent, comme les-plus grands, leur sûreté des
loix du pays.'Elles font fondées fur la plus ridicule
de toutes les fupppfitions, qui eft, que chaque
génération fucceffive des hommes n’a pas un
égal droit à la terre & à tout ce qu’elle y pofsède,
mais que la propriété de la génération préfente,
doit être reftramte & réglée par la fantaifie de
çeux qui vivoient peut-être il y, a cinq cents ans.
On refpeéte néanmoins les fubftitutions dans prefque
toute l ’Europe, fur-tout dans les endroits
où la nobleffe de la naiftance eft une qualification
requife pour jouir des honneurs civils ou militaires.
On les croit'néceffaires pour le maintien
de ce privilège exclufif de la nobleffe fur les
grandes charges & les grandes dignités du pays ;
& cet ordre ayant ufurpé fur fes concitoyens
l ’avantage le plus injufte , on a penfé qu’ il étoit
raifonnable de lui accorder l’autre, de peur que
la pauvreté ne le rendît ridicule. On dit que le
droit coutumier d’Angleterre abhorre les fucceffions
à perpétuité , & en conféquence, elles y
font plus limitées que dans aucune autre monarchie
de l’Europe. Mais l’Angleterre n’en eft pas
entièrement débarraffée. En Ecoffeily a plus d’un
cinquième , peut - être plus d’un tiers des terres ,
fourni fes à la fubftitution la plus ftri&e.
De vaftes étendues de terreins incultes furent
donc ainfi non-feulement envahies par des familles
particulières , mais elles le furent pour jamais
autant qu’il étoit poffible , puifqu’on prit
toutes les précautions imaginables pour qu’elles
tie puffent être démembrées dans la fuite. Il eft
cependant rare qu’ un grand-propriétaire faffe beaucoup
d’améliorations dans fes biens. Dans les
tems de barbarie il étoit affez occupé à défendre
fbn propre territoire , & à étendre fa jurifdiéiion
& fon autorité fur celui de fes voifins. Il n’avoit
pas le loifir de fonger à la culture & à l’amélioration
des terres. Lorfque l ’établifTemenr de la
loi & de l’ordre lui en donnèrent le tems, fou-
vent il n’en avoir pas la volon té , & prefque
jamais fa capacité. S i , comme il arrivoit fouvent,
la dépenfe de fa maifon & de fa perfonne éga-
loit ou excédoit fon revenu , il n’avoit pas de
fonds à mettre dans la culture ; s'il étoit économe,
il trouvoiten général plus d’avantages à employer
fes épargnes annuelles en nouvelles acquittions ,
qu’ à mieux faire valoir fon ancien patrimoine. Le
projet d'améliorer la terre eft comme tous lés
4»itres projets de commerce ; il demande un foin
(SiQ/i, polit, 6’ diplomatique, Tom, I V %
exaét fur les petites épargnes & les pefits gains ,
dont,fë trouve rarement capable un homme né avec
une grande fortune. Sa fituatîon le difpofe à faire
plus d’attention à des embelli ffemens qui plaifentà
fon imagination, qu’au profit dont il a fi peu befoin.
Accoutumé, dès fon enfance, à s’occuper-de foiv
habillement, de fon équipage , de fa maifon & de
fon ameublement, le tour d’efprit que lui donne:
cette habitude, le jfuit encore lorfqu’il fe propofe
d’améliorer fes terres. Il embellit peut-être quatre
ou cinq cents acres dans le vôifinage de fa
maifon , avec dix fois plus de dépenfe que ne
vaudra la terre après tout ce qu’il y aura fait ; &
il trouve que s’il vouloit arranger toutes fes po£>
feftions de la même manière, qui eft la feule de
■ fon g oû t, il n’en auroit pas achevé la dixième
partie fans fe trouver dans un état de banqueroute.
Il y a encore en Angleterre & en Ecoflc
quelques grandes terres qui ne font jamais forties
de la même famille , depuis l’anarchie féodale.
Comparez leur condition préfente avec celle des
terres qui appartiennent aux petits propriétaires
du vôifinage, & voj*s n’aurez pas befoin d’aune
raifon pour juger combien dçs propriétés auffi
: étendues font défavorables à la culture.
Si on ne dçvoit pas s’attendre que les terres
poffédées par de grands-propriétaires puffent recevoir
d’eux une amélioration fenfible, on de voit
eticore moins efpèrer qu’elles en recevroient de
ceux qui les cultivoient fous eux. Dans l’ancieft
état de l ’E urope, ces cultivateurs étoient tous
des tenanciers a volonté. Us étoient tous , ou
prefque tous efclaves ; mais leur fervitude croie
plus douce par fa nature , que l’efclavage établi
chez les anciens grecs & romains, & même dans
nos colonies des Indes occidentales. On fuppofoit
qu’ ils appartenoient plus dire&ement à U terre
qu’à leurs maîtres. Us pouvoient donc être vendus
avec e lle, & non fans elle. Ils pouvoient fe
marier avec le confentement de leurs maîtres j
mais ceux-ci ne pouvoient pas diffoudre le mariage
, en vendant l’homme & la femme ï différentes
perfounes. Si le maître eftropioit ou tuoit
un de fes efclaves , il étoit fujet à une amende,
qui étoit fort légère, il eft vrai. Ils ne pouvoient
acquérir aucune propriété. Tout ce qu’ils acqué-
roient, ils l’ acquéroient pour leur maître , qui s’en
emparoit quand il le vouloit. La culture & l’amélioration
qui pouvoient fe faire parle moyen de cette
forte d’ efclaves , appartenoient proprement à leur
maître. C ’étoit à fes frais. Lafemence, le bétail, &
les inftrumens d’agriculture, tout étoit à lui &
pour fon profit. Il ne reftoit aux efclaves que leur
fubfiftance journalière. C ’étoit donc proprement
le propriétaire q u i, dans ce cas , faifoit valoir fes
terres, & qui employoit fes efclaves à les cultiver.
Cette efpèce d’efclavage fubfifte encore en
Bohème , eh Moravie & en d’autres parties de
l’Allemagne. Ce n’eft que dans iesprovinces de