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Les intérêts de la monarchie furent même fou-
tenus par ce lieutenant zélé , après que la fortune
eut écrafé le monarque. Mais quelques habitans ,
féduits ou gagnés , fe voyant fécondés d’une
puifiante flotte , livrèrent la colonie au protecteur.
Le chef fe vit entraîné malgré lui par le
torrent} il fut du moins, parmi ceux que Charles
avoit honorés de places de confiance & d’autorité,
le dernier qui plia fous Cronrwel, & le premier
qui rompit fes chaînes. C et homme courageux
gémi/Toit dans roppreflion , lorfque les cris du
peuple le rappellèrent à la place que la mort de
fon fuccefleur laifloit vacante. Loin de céder à
des] inftances fi flatteufes , .il déclara qu’il ne fer-
viroit jamais que le ’légitime héritier du monarque
détrôné. C e t exemple de magnanimicé , dans
lin tems où l’on ne voyoit point de jour au ré-
tabliflement de la maifon royale , fit tant d’im-
preflion fur les efprits , que d’une voix unanime
on proclama Charles II en Virginie, avant qu’il
eût été proclamé en Angleterre.
La colonie ne tira pas d’une démarche fi géné-
reufe le fruit qu’elle en pouvoit attendre. Le
nouveau monarque y accorda , par foiblefle ou par
corruption , à des courtifans avides , des terreins
immenfes qui abforboient les pofiefiions d’un
grand nombre de citoyens obfcurs. L’a&e de
navigation , imaginé par le protecteur, & dont
le but étoit d’affurer à la métropole Papprovi-
fionnement de tous fes établifiemens du Nouveau-
Monde , Je commerce exclufif de leurs productions
, fut obfervé avec une rigueur qui fit prefque
doubler de valeur ce que la Virginie devoit achete
r , & avilit encore plus ce qu’elle avoit à vendre.
Cette double oppreflion fit tarir les reffources &
les efpérances de la province. Pour comble de
calamité, .les fauvages l’attaquèrent avec une fureur
& une intelligence qu’on ne leur avoit pas
reconnues dans les guerres précédentes.
Les anglois s’étoient à peine montrés dans cette
région, qu’ils avoient indifpofé le* peuple indigène
par la mauvaife foi qu’ils avoient mife dans
leurs échanges avec lui. C e germe de divifion
pouvoit être étouffé, s’ils avoient voulu confentir
à prendre des compagnes indiennes , comme on
les en follicitoit. M a is , quoiqu’ils n’euflent pas
encore de femmes européennes, ils repoufîerent
ces liaifons avec hauteur. C e mépris irrita les
américains , que l’infidélité avoit aliénés , & ils
devinrent ennemis irréconciliables. Leur haine fe
manifefta par des aflaflinats fecrets, par des hof-
tilités publiques , 8c en 1622 par une confpira-
tion qui coûta la vie a trois cents trente-quatre
perfonnes , qui auroit même creufé le tombeau
de la colonie entière , fi les chefs n’euflent été
avertis du danger quelques heures avant l’inftant
arrêté pour le maffacre général.
• Depuis cette trahifon, il fe commit de part 8c
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d'autfe des atrocités fans nombre. Les trêves
entre les deux nations étoient rares 8c mal ob-
fervées. C ’étoient ordinairement les anglois qui
amenoient la rupture. Moins ils retiroient de
bénéfice de leurs plantations, plus ilsemployoient
de rufes 8c de violences pour dépouiller le fau-
vage de fes fourrures. Cette infatiable avidité,
qui attaquoit fans diftinétion toutes les peuplades
fixes ou errantes au voifînage de la colonie ,
leur mit de nouveau les armes à la main , vers
la fin de 1675. Elles fondirent de concert fur des
établiffemens imprudemment difperfés, 8c trop
éloignés les uns des autres pour pouvoir fe fou-
tenir réciproquement.
Tant d’infortunes mirent les virginiens au
défefpoir. Berkley, après avoir été long-tems
leur idole , n’eut plus à leurs yeux ni allez de
fermeté contre les vexations de la métropole,
ni allez d’adtivité contre les irruptions de l’ennemi.
Tous les regards fe tournèrent vers Bacon >
jeune officier, v if , éloquent, hardi, infirmant,
d’une phyfionomie agréable. On le choifit tu-
multuairement , irrégulièrement, pour général.
Quoique fes fuccès militaires eufîent juftifié cette
prévention de la multitude emportée, le gouverneur
, qui , avec ce qui lui reftoit de par-
tifans, s’étoient retiré fur les bords du Po-
towmak , n’en déclara pas moins Bacon traître
à la patrie. Un jugement fi févère, & qui polir
le moment étoit une imprudence, détermina le
profcrit à s’emparer violemment d’une autorité
qu’ il exerçoit paifiblement depuis fix mois. La
mort arrêta fes projets. Les mécontens, divrfés
par la perte de leur chef, intimidés par les
troupes qu’ils voyoient arriver d’Europe , ne fon-
gèrent qu’ à demander grâce. On ne fouhaitoit
que de l’accorder. La rébellion n’eut aucune fuite
fâcheufe, 8c la clémence affura la foumiflîoii.
La tranquillité ne fut pas plutôt rétablie, que
l’on s’occupa du foin de fe rapprocher des indiens.
Toute liaifon avoit eeffé avec eux depuis
quelque tems. L’ aflemblée générale de 1678
rouvrit les communications : mais elle ordonna
que les échanges ne pourroient fe faire que dans
les marchés qu’elle fixoit. Cette innovation déplut
aux fauvages, & les chofes ne tardèrent pas à
reprendre Jeur premier cours.
Un objet plus important, c’étoit de redonner
de la valeur au -tabac , la plus importante 8c
prefque l’unique production de la colonie. On
penfa que rien ne çontribueroit plus efficacement
à l e . tirer de l’ avilifTement où il étoit tombé ,
que de repouffer de la province ceux que le
Maryland 8c la Caroline y portoient, pour les
faire pafler en Europe. Si les légiflateurs avoient
été plus éclairés, ils auroient compris que cet
entrepôt devoit faire tomber tôt ou tard dans
leurs mains, le fret de cette denrée, 8c les ren-
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dre les arbitres de fon prix- En l’ éloignant de
leurs ports par une avarice mal raifonnée , ils fe
donnèrent, dans tous les marchés, des concur-
rens, qui leur démontrèrent d’une manière bien
amère le vice de leurs principes.
Ces arrangemens étoient à peine faits, qu’au
printems de 1679 il arriva un nouveau chef à
la colonie. C ’étoit le lord Colepepper. Les troubles
qui avoient récemment bouleverfé cet éta-
bliffement, l’enhardirent à propofer un règlement
qui condamneroit à un an de prifon 8c à une
amende de 11,150 liv. tous les citoyens qui
parleroient ou qui écriroient contre leur gouverneur
5 à trois mois de prifon 8c à une amende
de 1,150 liv. ceux qui parleroient ou écriroient
contre les membres du confeil ou quelqu’autre
magiftrat.
Les repréfentans de cette province accordèrent,
fans balancer, leur confentement à une loi qui
afluroit l’impunité à tous les brigandages des
adminiftrateurs. D ’autres malheurs ne tardèrent
pas à aggraver les infortunes de la Virginie.
Dans l’ origine de la colonie , la juftice étoit
adminiftrée avec un défîntéreflement qui garan-
tiffoit l’équité des jugemens. Une feule cour
prenoit connoififance de tous les différends, 8c
prononçoit en peu de jours avec le droit d’appel
à l’aflemblée générale, qui n’apportoit pas moins
de diligence à les terminer. C e t ordre de chofes
laiffoit trop peu d’influence aux gouverneurs
fur la fortune des particuliers, pour qu’ils ne
cherchafient pas à l’intervertir. Par leurs manoeuvres
& fous divers prétextes , ils firent
régler que les évocations portées jufqu’ alors aux
repréfentans de la province, iroient exclufive-
rnent à leur confeil.
Une innovation plus funefte encore fut ordonnée
en 1 6 9 1 , par le chevalier AndrofT. Il
voulut que les lo ix , les tribunaux, les formalités
, tout ce qui faifoit un cahos de la jurif-
prudence angloife, fût établi dans fon gouvernement.
Rien ne convenoit moins aux planteurs
de la Virginie que des ftatuts fi bizarres , fi
compliqués, fouvent fi contradictoires. Aufiî
ces hommes fi peu éclairés fie trouvèrent-ils
engagés dans un labyrinthe où ils ne voyoient
point d’ iflue. Ils étoient généralement alarmés
pour leurs droits, pour leurs propriétés 5 8c
cette inquiétude rallentit afiez long-tems leurs
travaux.
Ils ne furent poufles avec vigueur 8c avec
fuccès qu’après le commencement du fiècle. Rien
n’ en arrêta l’accroifîement. Seulement les frontières
de la colonie éprouvèrent dans les derniers
tems quelques dégâts de la part des fauvages ,
irrités par des atrocités 8c des injuftices. Ces
démêlés furent terminés en 1774. On les auroit
y 1 r £25,
oubliés, fans le difcours que tint Logan, chef
des Shawenefes, à Dunmore , gouverneur de
la province.
» Je demande aujourd’hui à tout homme
« blanc, f i , prefle par la faim , il eft jamais
» entré dans la cabane de Logan, fans qu’il
» lui ait donné à manger} f i , venant nud ou
» tranfi de froid , Logan ne lui a pas donné de
» quoi fe couvrir. Pendant le cours de la der-
« nière guerre, fi longue 8c fi fanglante, Logan
» eft refté tranquille fur fa natte, délirant d’etre
» l’avocat de la paix. O u i, tel étoit mon atta-
» chement pour les blancs, que ceux mêmes de
» ma nation, lorfqu’ ils pafloient près de m o i,
» mes montroient au d oig t, 8e difoient : Logan
» eft ami des blancs. J’avois même penfé à vivre
» parmi vous : mais c’étoit avant l’injure que
» m’a faite un de vous. Le printems dernier,
« le colonel Creflop , de fang - froid 8c fans être
t » provoqué, a mafîacré tous les parensde Logan ,
» fans épargner ni fa femme, ni fes enfans.
*> Il ne coule plus aucune goutte de mon fang
« dans les veines d’aucune créature. C ’eft ce
» qui a excité ma vengeance. Je l'ai cherchée.
*> J’ ai tué beaucoup des vôtres. Ma haine eft:
» aflouvie. Je me réjouis de voir luire les
» rayons de la paix fur mon pays. Mais n’allez
» point penfer que ma joie foit la joie de la
:*> peur. Logan n’a jamais fenti la crainte. Il
ne tournera pas le dos pour fauver fa vie.
» Que refte-t-il pour pleurer Logan quand il
» ne fera plus ? Personne *>.
Comme ce difcours eft fimple , énergique &
touchant ! Démofthène, Cicéron , Bofîuet font«
ils plus éloquens que ce fauvage?
La Virginie, comme la plupart des autres colonies,
n’attira d’abord que des vagabonds qui
n’avoient ni famille, ni fortune. Leur travail
leur donna bientôt quelque aifance, 8c ils délirèrent
d’en partager les douceurs avec des compagnes.
Comme il n’y avoit point de femmes
dans la province, & qu’ils n’en vouloient que
d’honnêtes, ils donnèrent 2,150 liv. pour chaque
jeune perfonne qu’on leur amenoit d’Europe
«vec un certificat de fagefle 8c de vertu. C e t
ufage ne dura pas long-tems. Lorfqu’ il ne refta
plus de doute fur la (alubrité, fur la fertilité
du pays, des familles entières, même d’une condition
honorable , fe tranfportèrent dans la Vir.
ginie. La population augmentoit afîez rapidement
, lorfque le fanatifme en vint arrêter les
progrès.
La religion du gouvernement, fut la première
8c. quelque tems la feule qu’on pratiqua dans
cette contrée. Des non-conformiftes paflerent
aufiî les mers. Leurs opinions ou leurs cérémonies
révoltèrent} 8c la loi fe permit, en 1642 ,
, de chafîer de la province ceux des habitans qui