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T A B T A B
T a b a g o , iile des Antilles qui a été affuree^à
rAngleterre par le traité de 1763. ElleuTeft réparée
de Tifle efpagnole de la Trinité que par un canal
de neuf lieues. Cette poffefiion a dix lieues de
■ long fur quatre dànsfta plus grande largeur. A la
côte feptentrionale eft une rade qui a vingt - cinq
à trente pieds d'eau , & une fécondé où l'on
n'en trouve que vingt ou vingt-cinq. Toutes
deux font à l'abri de la plupart des vents, avantage
dont ne jouit pas celle du fud. Parmi les
monticules qui occupent le centre de Tifle,
il en elt un plus élevé s dont Ja couleur noire
ou rougeâtre paroit indiquer les débris d’un
ancien volcan. Elle n'eft pas expofée à ces terribles
ouragms qui çaufent ailleurs de fi grands ravages.
Le voifinage du continent peut lui procurer
ce bonheur*
Aufli Tabago fut-il autrefois extrêmement peuplé
y félon quelques traditions. Ses habitans y ré-
fittèrent long-tems aux attaques vives & fréquentes
des fauvages de lajrèjre-ferme j ennemis opiniâtres
, implacables. Enfin laflés de ces incurfions
toujours Tenaillantes du continent, ils fe difpersè-
rent dans les ifles voifiries.
C elle qu’ils avoient abandonnée, étoit ouverte
aux invafions de l ’Europe , lorfqu’en 1632 il y
débarqua deux cens Fleflinguois , pour y jeter les
fondemens d’ une colonie hollandoife. Les indiens
du voifinage fe joignirent aux éfpagnols de la T rinité,
contre unétabliffement qui leur portoit ombrage.
Tout cequi voulut arrêter leur impétueufe
fureur , fut maffacré ou fait prifonnier. Le peu
qui fe fauva de leurs mains à la faveur des bois ,
ne tarda pas à déferter l’ifle.
La Hollande oublia durant vingt ans un établif-
fement qu’elle ne connoififoit que par les défaftres
de fa naiffance. En i 6y4, on y fit paffer une nouvelle
peuplade. Elle en futchaffée en 1666. Les
anglois fe virent bientôt arracher cette conquête
par les françois. Mais Louis X IV , content de
vaincre , rendit à la république, fon alliée , une
ifle qu’elle avoit poffédée. C et étabîiffement ne
profpéra pas mieux que toutes les colonies agricoles
de cette nation commerçante- C e qui détermine
ailleurs tant d’hommes à paffer en Amérique,
n’y a jamais dû pouffer les hollandois. Leur métropole
offre à î’ induftrie de fes citoyens toutes
les facilités d’un commerce avantageux : ils n’ont
pas befoin de s’expatrier pour faire leur fortune.
La tolérance achetée, comme la liberté,
par des fleuves de fang , y laiffe refpirer les
confidences : jamais des fcrupules de religion n'y
réduifent les âmes timorées à fe bannir du fol où
le ciel les fit naître. La patrie pourvoit avec tant de
fageffe & d'humanité à la fubfiftance & à l'occupation
des pauvres , que le défefpoir ne contraint
point d'aller défricher une terre accoutumée à dévorer
fes premiers cultivateurs. Tabago n’eut
jamais plus de douze cens hommes occupés à c u ltiver
un peu de tabac, un peu de coton , un peu
d’indigo , & à exploiter fix fucreries.
La colonie étoit bornée à cet effor d’induflrie ,
quand elle fut attaquée par la nation même, qui
I'avoit rétablie dans fes droits primitifs de poffef-
fion & de propriété. Au mois de février 1677 3
une flotte françoife deftinée à s’emparer de Tabago^
rencontra la flotte hollandoife qui devoit s’oppo-
pofer à cette invafion. Le combat s’engagea dans
une des rades de l’ifle , qui devint fameufe par
cette aétion mémorable, dans un fiècle fécond en
grands évènemens. L’acharnement de la valeur
fut tel des deux côtés , que les vaifléaux étoient
fans mâts, fans agrêts, fans matelots pour manoeuvrer,
& qu’ cn fe battoit encore. La bataille ne
finit que quand on vit douze bâtimens brûlés 8c
plufiei^rs coulés à fond. Les affaillans perdirent
moins de monde , & les défendeurs gardèrent encore
l’ifle.
Mais d’Eftrées qui vouloir l’emporter, y descendit
cette même année au mois de décembre. II
n’y avoit plus de-flotte pour arrêter ou détourner
fes forces. Une bombe lancée de fon camp,,alla
tomber fur le magafinà poudre. Cecoiip, ordinairement
décifif, mit l’ennemi hors d’état de défenfe :
il fe rendit à difcretion. Le vainqueur, avec toute
la rigueur du droit de la guerre, non content de
rafer les fortifications , réduifit les plantations en
cendres, s’empara de tous les navires , & transporta
les habitans hors de Tifle qu’il avoit prife.
La conquête en fut allurée à la France, par la paix
qui Suivit une a&ion où la défaite fut fans honte ,
& la viftoire fans avantage.
La cour de Verfailles négligea cette ifle importante,
au point de n’v pas envoyer un feul homme.
Peut - être dans Tivreffe d'une fauffe grandeur ,
voyoit-efle avec indifférence tout ce qur n'étoit
qu'utile. Elle prit même une mauvaife opinion de
Tabago, rufqu’à la regarder comme un rocher fté-
rile. Cette erreur s'accrédita par la conduite des
françois, q u i, trop nombreux à la Martinique, fe
portèrent aux ifles de Sainte - Lu cie, de Saint-
Vincent , de la Dominique. Celles-ci étoient des
pofleffions précaires, & d’une qualité médiocre.
Les auroit-on préférées à une ifle dont le rerrein
étoit meilleur & la propriété incontefiable ? Ainfi
raifonnoit un gouvernement qui n’avoît pas alors,
fur le commerce & les plantations des colonies,
affez de lumières pour difcerner les vrais motifs
du peu de penchant que fes fujets avoient pour
Tabago.
Une colonie naiffante , fur-tout quand elle eft
fondée avec de foibles moyens , a befoin de fe-
cours immédiats pour fubfifter. Elle ne peut faire
des progrès qu’à mefure qu’elle trouve la confom-
mation de fes premières denrées. Celles - ci font
pour l’ordinaire d’une efpèce commune q u i, ne
valant pas les frais d'une longue exportation, ne fe
vendent guère que dans les lieux voifins, & doivent
mener infenfiblement, par des profits médiocres,
à Tentreprife des grandes cultures, qui font l’objet
du commerce des européens avec les Antilles.
O r Tabago étoit trop éloignée des grands établif-
femens. françois, pour attirer des habitans par
cette gradation de fuccès. On lui préféra des ifles
moins abondantes, mais plus rapprochées des ref-
fources.
Le néant où tout I’avoit plongée, ne I’avoit
pas dérobée à l’oeil avide de l’Angleterre. Cette
ifle orgueilleufe , qui fè croit la reine des ifles ,
parce qu’elle eft la plus floriffante de toutes, pré-
tëndoit avoir des droits imprefcriptibles fur Tabago,
pour l'avoir occupée pendant fix mois. Ses forces
couronnèrent fes prétentions, & la paix de 1763
juftifia le fuccès de fes armes , en lui affurant
une poffefiion qu’elle vengera de Tinaétion des
françois.
Prefque toutes les propriétés des Antilles dev-in-
i-ent le tombeau de leurs premiers colons, qui
' agiffant au liafard dans des tems d’inexpérience,
fans aucun concours de leur métropole , taifoient
autant de fautes que de pas. Leur avidité méprifa
la pratique des naturels^ du pays , qui , pour diminuer
la trop grande influence d'un foleil éternellement
ardent, féparoient les petites portions
de terrein qu’ ils étoient forcés de défricher , par
.de grands efpaces couverts d’arbres & d’ombre.
Ces fauvages inftruits par l'expérience, plaçoient
leurs logemens au milieu des bois, dans la crainte
des exhalaifons vives & dangereufes qui fortoient
d’une terre qu’ ils venoient de remuer.
Les deftruéteurs de ce peuple fage , preffés de
.jouir i abandonnèrent cette.méthode trop.lente j
& dans l’impatience de tout cultiver , ils abattirent
précipitamment des forêts entières. Aufli-
.tôt des vapeurs épaiffes s'élevèrent d'un fol
échauffé pour la première fois.des rayons du
foleil- Elles augmentèrent à mefure qu’on fouilla
les champs pour les enfemencer ou pour les
planter. Leur malignité s’introduifit par tous les
.pores j par tous les organes du cultivateur, que
•le travail mertoit dans une tran.fpiration exceffive
.& continuelle. Le cours des liqueurs fut intercepté
5 tous les vifcères fe dilatèrent , le corps
enfla, Teftoinac ceffa fes fonctions. L’homme
mourut. Echappoit-on aux ardeurs peftilentieîJes
du jour? la nuit on refpiroit la mort avec le
fommeil, dans des cabanes dreffées à la hâte au
milieu des terres défrichées , fur un fol dont la
végétation trop aétive 8c mal-faine confumoit les
hommes avant de nourrir les plantes.
D'après ces obfervations , voici le plan qu’ il
feroit bon de fuivre dans Tétabliffement d’une colonie
nouvelle. En y arrivant, nous examinerions
quels font les vents qui régnent le plus dans l'archipel
de l’Amérique , & nous trouverions qu’ils
y font réguliers du fud-eft au nord-eft. Si nous
avions la liberté du choix, fi la nature du terrein
n’ y mettoit point d’obftacle, nous éviterions de
nous placer fous le v ent, de peur qu’il n’apportât
continuellement dans notre feîn la vapeur des
terres nouvellement défrichées, & n'infectât pat
Texhalaifon des plantations neuves, une plantation
qui fe feroit purifiée avec le tems. Ainfi nous
devrions fonder notre colonie au vent de tous
les pays qu'il s'agiroit de mettre en culture. D’abord
on conftruiroit dans les bois tous les logemens ,
autour defquels nous ne laifferions pas couper un
feul arbre. Le féjour des bois eft fain. La fraîcheur
qu’ils confervent, même pendant la plus
grande chaleur du jo u r , empêche cette furabon-
dance de tranfpiration , qui fait périr la plupart
des européens, par la féchereffe & l’acrimonie
d’un fang inflammable & dépoaillé de fon fluide.
On allumeroit du feu pendant la nuit dans les
cafés , pour divifer le mauvais air qui pourroit
s'y être introduit. C e t ufage, établi conftamment
dans certaines parties de l’Afrique, auroit en
Amérique l’effet qu’on doit en attendre , eu égard
à l’analogie des deux climats.
Ces précautions prifes, nous commencerions
à abattre le bois , mais à l’éloignement de cinquante
toifes au moins des cabanes. Lorfque la
terre feroit découverte, les efclaves feroient envoyés
au travail à-dix heures du matin feulement,
c’eft-à-dire , après que le foleil auroit divifé les
vapeurs, & que le vent les auroit chaffées. Les
quatre ’heures perdues depuis le lever du jour ,
feroient plus que compenfées par T-aélivité des
cultivateurs dont on ménagerait les forces , 8c
par la confervation de l’efpèce humaine. On con-
tinueroit cette attention, foit qu'il, fallût défricher
les terres ou les enfemencer , jufqu’à ce que
le fol bien purgé, bien confolidé , permît d’y
établir les colons , & de les occuper à toutes les
heures du jou r, fans avoir rien à craindre pour
leur sûreté. L’expérience a juftifié d’avance la né-
ceflîté de toutes ces mefures.
Pour n’ avoir pas fuivi la route que nous venons
de tracer , les Ànglois 8c leurs efclaves périrent
en foule à Tabago , quoique venus la plupart