
Un traite eft valide, s'il n'y a point de vice
dans la manière dont on Ta conclu : & pour cela
on ne peut exiger autre chofe qu'un pouvoir fuf-:
filant dans les parties contrariantes , & leur con-
fentement mutuel bien avéré.
Croiro itt-on qu'on a demandé s'il eft permis
dé s'allier à urté nation qui ne profeffe pas la vraie
religion ? Si les traités faits avec les ennemis de
la foi font valides ? Grotius a traité la queftion
affez au long. Cette difcuffion étoit malheureufe-
ment néceffaire autrefois ; ofons croire qu'elle
feroit aujourd'hui fuperflue.
Un fouverain déjà lié par un traité t ne peut en
faire d'autres contraires au premier. Les chofes
fur lefquelles il a pris des engagemens ne font
plus en fa difpofition. S'il arri^ qu'un traité pof-
térieur fe trouve , en quelque point, contradictoire
avec un traité plus ancien , le nouveau elt
nul fur ce point : il s'agit ici de traités faits avec
diverfes puilfances. Si l'ancien traité elt fecret, il
y auroit une infigne mauvaife foi à en ligner, un
contraire qui feroit nul au befoin j &.même il
n'eft pas permis de ftipuler des engagemens q u i,
dans les occafions , pourroient être en oppolition
avec ce traité fecret , & nuis par cela même j à
moins que l'on ne foit en état de dédommager
pleinement fon ancien allié : autrement ce feroit
l'abufer que de lui faire des promeffes , fans l'avertir
qu'il fe préfentera peut-être des cas dans
lefquels on n’aura pas la liberté de réalifer cette
promelfe. L’allié ainfi abufé eft , fans doute , le
maître de renoncer au traité ; mais s’il n’y renonce
point , le traité fubûfte dans tous les points qui ne
font pas en contradiction avec un traité plus ancien.
On peut de même promettre des fecours de troupes
à deux alliés différens , fi l'on elt en état, de les
fournir, ou s'il n'y a pas d'apparence qu'ils en
aient befoin l'un & l'autre dans le même tems.
Mais lorfqu'il faut les fecourir tous les deux ,
le plus ancien allié doit être préféré > car
l'engagement étoit pur 8c abfolu envers lu i , au
lieu qu'il n'a pu fe contracter avec le fécond qu’en
réfervant le droit du premier. La réferve eft de
droit & tacite , fi on ne l'a pas faite expreffément.
Grotius divife d'abord les traités en deux
çlaffes générales ; la première, de ceux qui ont
Amplement rapport à des chofes auxquelles on étoit
déjà tenu par le droit naturel ; & la fécondé, de
ceux par lefquels on s’engage à quelque chofe de
plus. Les premiers donnent un droit parfait fur
des chofes auxquelles on n'avoit qu'un droit imparfait
s enforte qu'on peut exiger déformais ce
qu’auparavant on étoit feulement en droit de
demander comme un office d'humanité. De pareils
traités étoient fort néceffaires parmi les anc
ien s peuples j qui'ne fe croyoient tenus à rien
envers les nations qui n'écoient pas au nombre
de leurs alliés. Ils font utiles même entre les nations
les plus polies , pour affurer d’autant mieux
les fecours qu'elles peuvent attendre , pour déterminer
ces fecours , & favoir fur quoi compter ;
pour régler ce qui ne peut être déterminé en général
par le droit naturel , & aller ainfi au devant
des difficultés & des diverfes interprétations de
la loi naturelle.
Les traités par lefquels on s'engage fimplement
à ne point faire de mal à fon allie , à s'abftenir
envers lui de toute léfîon , de toute offénfe , de
toute injure , ne font pas néceffaijes , & ne pro-
duifent aucun nouveau droit * chacun ayant naturellement
le droit parfait de ne fouffrir ni léfîon >
ni injure , ni véritable offenfe. Mais ces traités
deviennent très - utiles 3 & accidentellement né-
[ ceffairds parmi les nations barbares 3 qui fe croient
en droit de tout ofer contre les étrangers. Ils
ne font pas inutiles avec des .-peuples moins féroces
, qui fans abjurer tout fentiment d'humanité,
font beaucoup moins touchés d'une obligation
naturelle que de celle qu’ils ont eux-mêmes contractée
par des engagemens folemnels.
Les traités par lefquels on s'engage à des chofes
que n'ordonne pas la joi naturelle 3 font égaux ou
inégaux.
Les traités égaux font ceux dans lefquels les
contraCtans fe promettent les mêmes chofes , os
des chofes équivalentes, ou enfin des chofes proportionnées
d'une manière équitable 5 enforte que
leur condition eft égale. Telle eft^ par exemple,
une alliance défenfive , qui ltipule les mêmes fecours
réciproques. Telle eft une alliance offen-
five , où l'on Convient que chacun des alliés fournira
le même nombre des vaiflèaux , de troupes
de cavalerie & d'infanterie, ou l'équivalent en
vaiffeaux, en troupes, en artillerie, en argent.
Telle eft encore une ligue où le contingent de
chacun des alliés eft réglé à proportion de l'intérêt
qu’i i prend $ ou qu'il peut avoir an but de
la ligue. C'eft ainfi que l'empereur & le roi d'Angleterre
, pour engager les états - généraux des
provinces - unies à accéder au traité de Vienne
du 16 mars 1731 , confentirent à ce que la république
ne promît à fes alliés qu'un fecours de
quatre mille fantaffins & mille chevaux , quoiqu’ils
s'engageaient à lui fournir, dans le cas
où elle feroit attaquée , chacun huit mille
hommes de pied & quatre mille chevaux. On
doit mettre enfin au nombre des traités égaux ,
ceux où l'on déclare que les alliés feront caufe
commune, & agiront de toutes leurs forces. Quoi-
qu'en effet leurs forces ne foient pas égales, ils
veulent bien les confidérer comme égales.
Les traités égaux peuvent fe fubdivifer en autant
d’efpèces que les fouverains ont d’affaires
entre eux. Ainfi ils traitent des conditions du commerce
, de leur défenfe mutuelle, d’une affodation
guerrière » du pafïage qu'ils s'accordent rcciproquement,
ou qu’ils refufent aux ennemis
de leur allié : ils s'engagent à ne point bâtir de
for greffe en certains lieux , & c . Mais il feroit
inutile d'entrer dans ces détails. Les vues générales
fuffifent, & s’appliquent aifément aux cas
particuliers.
Tous les négociateurs mettent de la fubtilité à circonvenir
ceux avec qui ils traitent, à ménager de
telle forte les conditions du traité, que tout
l ’avantage en revienne à leur maître. On ne rougit
pas d'une conduite fi contraire à l'éq uité, à la
droiture à l ’honnêteté naturelle , on en fait gloire,
& c'eft ce qu’on appelle du talent & du mérite :
il feroit bien à defirer que les hommes publics ne
fe glorifiaffent plus de ce qui déshonoreroit un
particulier.
Les traités inégaux font ceux où les alliés ne
fe promettent ni les mêmes chofes , ni l'équivalent
: on dit auffi que l'alliance elt inégale 5 elle
met de la différence dans la dignité des parties
contractantes. Mais dans la carrière diplomatique,
on ne calcule pas les mots avec une précifion bien
rigoureiife.
C e s traités inégaux, qui font en même tems
des alliances inégales, fe divifent en deux efpèces:
la première, de ceux où l'inégalité fe trouve du
côté de la puiffance la plus confidérable ; la fécondé
renferme les traités dont l'inégalité eft du
cqté de la puiflance inférieure.
Dans la première efpèce, fans attribuer au plus
puiffant aucun droit fur le plus foible, on lui donne
feulemeni une fupériorité d'honeurs & de confidé-
ration. -
Quoiqu'en dife une politique intéreffée , il
faut ou diftraire abfolument les fouverains à l’autorité
naturelle, ou convenir qu'il ne leur eft
pas permis d'obliger , fans de juftes raifons , les
Etats plus foibles à compromettre leur dignité ,
moins encore leur liberté, dans une alliance inégale.
Les nations fe doivent les mêmes fecours,
les mêmes égards, la même amitié, qùe les par*
ticuliers. vivant dans l'état de nature.
On peut encore avec juftice impofer les conditions
d'un traité inégal , ou même d'une al- *
liance inégale, par forme de peine, pour punir
un injufte agrèfféur & le mettre hors d’état de
nuire dans la fuite. T e l fut le traité auquel Sci-
p ion , le premier africain, força les carthaginois
après qu'il eut Vaincu Annibal. Le vainqueur
donne iouvent des loix pareilles, & par là il ne
bleffé ni la juftice ni l'équité , s’il ne paffe point
les bornes de la modération, après qü'il triomphé
daus une guerre jufte & néceffaire.
, Les divers traités de protection, ceux par lefquels
un Etat fe rend tributaire , ou feudataire
d’un autre, forment autant d’efpèces d’alliances
inégales*
Par une autre divifion générale des > traités ou
des alliances, on les diftingue en alliances per-
fonnelles & alliances réelles. Les premières font
celles qui fe rapportent à la perfonne des contrac-
tans , qui y font reftreintes , & pour-ainfi-dire
attachées. Les alliances réelles fe rapportent
uniquement aux choies dont on traite, fans dépendre
de la perfonne des contraCtans.
Tout traité public conclu par un roi » ou partout
autre prince revêtu d’un pouvoir fuffifant, eft
un traité de l'Etat ; il oblige l’Etat entier , la nation
, que le roi repréfente & dont il exerce le
pouvoir & les droits. Il femble donc d'abord
que tout traité public.doive être préfumé r é e l,
en regardant l'Etat lui-même. Il n'y a pas de doute
fur l’obligation d’obferver le traité -3 il s’agit feulement
de fa durée. O r , il y a fouvent lieu de
douter fi les contraCtans ont voulu étendre les
engagemens réciproques au-delà de leur vie, & lier
leurs fucceffeurs. Les conjonctures changent; use
charge aujourd'hui légère peut devenir infup-
portable ou trop onéreufe en d'autres circonf-
tances : la façon de penfer des fouverains ne varie
pas moins ; & il eft des chofes dont il convient
que chaque prince puiffe difpofer librement, fui-,
vant fon fyftême. Il en en eft d’autres que l'on
accordera volontiers à un ro i, & que l'on ne vou-,
droit pas permettre à fon fucceffeur. Il faut donc
■ chercher dans les termes du traitét ou dans U
matière qui en fait l’o b je t , de quoi découvrir
l'intention des contraCtans. Mais nous obfer-'
verons qu'on compte peu fur les ftipulations annoncées
comme perpétuelles , & que û on cort-
ferve ces vaines formules , c’eft pour tromper les*
ignorans & les hommes crédules.
» Les traités perpétuels 3 ou faits pour un tems
déterminé , font les traités réels , difent les pu-
bliciftes ; puifque leur durée ne peut dépendre de
la vie des contraCtans.
De même , lorfqu’ un roi déclare dans le
traité' , qu'il le fait pour lui & fes fucceffeurs , il
eft manifefte que le traité eft réel. Il eft attaché à
l'E ta t , & fait pour durer autant que le royaume
lui-mêmè. >3
Ces remarques font fort belles : tout le monde
fait aujourd'hui à quoi s'en tenir là-deffus, &
elles ne méritent pas une difcuffion férieufe.
» Lorsqu'un traité, obfervent encore les pu-
bliciftes avec fimplicité , dit expreffément qu'il
eft fait pour le bien du royaume , c'eft un indice
manifefte que les contraCtans n'ont point prétendu
en faire dépendre la durée de celle de, leur v ie ,
mais plutôt 4’àttacher à la durée du royaume
même : le traité eft donc réel. >»
En cas de doute , lorfque rien n’établit claire-
rïient, ou la perfonnalité «u la réalité d'un traité ,
Y y z