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pare Ton tribut qui n’ eft que de quinze cens bout* '
fe s , ou un million huit cens foixante-quinze mille
liv , 1’on pourra s'étonner que la Porte lui permette
d'aufli gros bénéfices ; mais ceci eft encore un des
principes du divan. Le tribut une fois déterminé,
il ne varie plus. Seulement, fi le fermier s'enrichit
, on le preffure par des demandes extraordinaires
; fouvent on le laiffe théfaurifer en paix j
mais lorsqu'il s’eft bien enrichi, il arrive toujours
quelque accident qui amène à Conftantinople fon
coffre-fort ou fa tête. En ce moment la Porte ménage
Djezzar, à raifon, dit-elle, de fes fervices ; en
effet il a contribué à la ruine de Dâher : il a détruit
la famille de ce prince , réprimé les Bédouins
de Saqr , abaiffé les Druzes, & prefque anéanti
les Motoualis. Ces fuccès lui ont valu des proro^
gâtions qui fe continuent depuis dix ans ; récemment
il a reçu les trois queues & le titre de ouâzir
(vifir) qui les accompagne; mais par un retour ordinaire
, la Porte commence à prendre ombrage de
fa fortune, elle s'allarme de fon humeur entreprenante
: lu i, de fon cô té , redoute fa fourberie ; en-
forte qu'il règne de part & d’autre une défiance
qui pourra avoir des fuites. 11 entretient des foldats
en plus grand nombre & mieux tenus qu'aucun autre
pacha j & il obferve de n'enrôler que des gens
venus de fon pays , c'eft-à dire des Bochnâqs &
des Arnautes : leur nombre fe monte à environ
neuf cens cavaliers. 11 y joint environ mille barba-
refques à pied. Les portes de fes villes frontières
ont des gardes régulières j ce qui eft inufité dans le
refte de la Syrie. Sur mer, il a une frégate, deux
guliottes & un chébeck, qu'il a récemment pris
fur les maltois. Par ces précautions, dirigées en
apparence contre l'étranger , il fe met en garde
contre les furprifes du divan. L’on a déjà tenté
plus d'une fois la voie des capidjis ; mais il les a
fait veiller de fi près , qu'ils n'ont rien pu exécuter
; & les coliques fubites qui en ont fait périr
deux ou trois, ont beaucoup refroidi le zèle de
ceux qui fe chargent d’ un emploi fi délicat. D'ailleurs
, il foudoie des efpions dans le feraïou palais
du fultan , &: il y répand un argent qui lui allure
des protecteurs. C e moyen vient de.lui procurer
le pachalic de Damas , qu’il ambitionnoit depuis
long-tems , & qui eft en effet le plus important de
toute la Syrie. 11 a cédé celui d'Acre à un Mam-
louk nommé Selim, fon ami & fon compagnon
de fortune; mais cet homme lui eft fi dévoué, que
l'on peut regarder Djezzar comme maître des deux
gouvernemens. On dit qu'il follicite encore celui
d'Alep : s'il l’obtient , il poffédera prefque „toute
la Syrie, & peut-être la Porte aùr&j^lje?trouvé,
un rebelle plus dangereux que Dâher j ftfâîs' les
conjedtures en pareille matière font inutiles , &
prefque impoffibles à affeoir.
L ’ancienne Tyr fe trouvoic dans un canton quifàit
aujourd'hui partie du pachalic de Seyde.
La puifiaupe de Tyr fur la médiverranée & dans
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l’occident eft affez connue ; Carthage, Utique^
Cadix en font des monumens célébrés. L on fait
que cette ville étendoit fa navigation jufques
clans l ’océan, & la portoit au nord par de - la
l’Angleterre , & au fud parde - là le$ Canaries^
Ses relations à l’orient, quoique moins connues,
n’étoient pas moins eonfidérables ; les ifles de
Tyrus &. Aradus, (aujourd'hui Barhain ) , dans
le golfe Perfique , les villes de Far an & PAoe-
nicum Oppidum , fur la mer rouge, déjà ruinées au
tems des grecs, prouvent que les tyriens fréquentèrent
dès long-tems les parages de l’Arabie & de
la merrde l'Inde.
Les révolutions du fo r t , ou plutôt la barbarie
des grecs du bas-empire & des mufulmans, ont
accompli l’oracle de l’un des prophètes. Au lieu de
cette ancienne circulation fi aCtive & fi vafte, Sour,
réduit à l'état d'un miférable village , n’ a plus pour
tout commerce qu'une exportation de quelques
facs de grain & de coton'en laine , & pour tout
négociant qu’ un faCteur grec au fervice des fran-
çois de Seide., qui gagne à peine de quoi foutenir
fa famille.
Du pachalic de Damas.
Le pacha jouit de tous les droits de fa place ; ils
font plus eonfidérables que ceux d’aucune autre 5
c*r outre la ferme générale & le commandement
abfolu, il eft encore condufteur de la. caravané
facrée de la M ek e, fous le nom très - refpeéfé
d’Emir-Hadj. Les mufulmans attachent une îfi
( grande importance à cette conduite , que la personne
d’un pacha qui s’en acquitte bien , devient
inviolable même pour le fultan : il n’eft pftis permis
de verfer fon fang. Mais le divan fait tout
concilier j & quand un tel homme encourt fa
difgrace , il fatisfait tout à la fois au littéral de la
loi & de fa vengeance , en le faifant piler dans
un mortier ou étouffer dans un fac , ainfi qu’il y
.en a eu plufieurs exemples. *
Le tribut du pacha au fultan, n’eft: que de quarante
cinq bourfes (cinquante-fix mille deux ceqs ,
cinquante livres ) ; mais il eft chargé de tous les
frais du Hadj : on les évalue à fix mille bourfes,
ou fept millions cinq cens mille livres. Ils con-
fiftent en provisions de bled, d’orge, de r iz , & c .
& en louage de chameaux qu’il faut fournir aux
. troupes d’efeorte & à beaucoup de pèlerins. En
outre l^pn doit payer dix - huit cens bourfes aux
tribus arabes qui" font fur la route, pour en ob tenir
.un libre paffage. Le pacha fe rembourfe fur
le miri ou impôt des terres iifo it ,qu’il le perçoive
lui-même, foit qu’il Je Tous-afferme, comme il
arrive en plufieurs lieux. Il ne jouit pas des doua-
■ «e$#e.lje>font régies par Deftar-dar ou maître des
regiftres .. pour être employées à la folde des janif-
faires & des gardes des châteaux qui font fur la
route de la Meke. Le pacha hérite en outre de
B tous les 9éleiins qui meurent en route $ &' cet at-
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ticle n'eft pas fans importance ; car l’on a obfervé
que c ’étoient toujours les plus riches. Enfin , il a
fon induftrie quî confiile à prêter à intérêt de
1 argent aux marchands & aux laboureurs, & à
en prendre à qui bon lui femble à titre de balfe ou
d’avanie.
Son état militaire confifte en fix à fept cens ja-
niffaires , moins mal tenus & plus infolens qu’ail-
leurs ; en autant de barbarefques nuds & pillards
comme par-tout; & en huit à neuf cens dellibaches
ou cavaliers. C es troupes,qui paffent enSytie pour
un corps d armée confidérable , lui font néceffai-
re s , non-feulement pour l’efeorte de la caravane,
ôc pour réprimer les arabes ; mais encore contre
fos propres fujets, pour la perception du miri.
Chaque année, trois mois avant le départ du Hadj,
il fait ce qu’on appelle la tournée $ c'eft-à-dire ,
qu efeorté de lés troupes , il parcourt fon vafte
gouvernement , en; faifant contribuer les villes &
les villages. La liquidation fe paffe rarement fans
r xi- e * PeuP^e ignorant, excité par des chefs
factieux, oü provoqué par l’injuftice du pacha, fe
révolté fouvent, & paie fa dette à coups de fufil;
les habitans de Nâblons, de Bethlem & de Ha-
bronn, fe font fait en ce genre une réputation qui
leur vaut des franchifes particulières; mais auffi
lorfque 1 occafion fe préfente, on leur fait payer
au décuplé les intérêts & les dommages. Le pa-
chalic de Damas, par fa fituation, eft plus expofé
qu aucun autre aux incurfîons des Arabes - Bédouins
: cependant on obferve qu'il/eft le moins
ruine de la Syrie. La raifon que l’on en donne, eft
du au lieu d’en changer fréquemment le,s pachas,
comme elle fait ailleurs, la Porte donne ordinairement
ce pachalic à vie : dans ce fiècle , on l'a vu
occupé pendant cinquante ans par une riche famille
4e Damas, appellée El-Adm , dont un père &
tiois freres fe font fuccédés. Afàd, le dernier d'en-
tr eux, l'a tenu quinze ans, pendant lefquels il a
fait un bien infini. Il avoit établi affez de difeî-
pline parmi fes foldats, pour que les payfans fuf-
ferit à l'abri de leurs pillages. Sa paflion é toit,
comme à tous les gens en place de Turquie , d’en-
taffer de 1 argent ; mais il ne le laiflort point oifif
dans fes caiffes ; & par une modération inouïe
dans ce pays, il n'en retiroit qu’un intérêt de fix
pour cent.
. C'eft a Damas que fe raffemblent tous les pèlerins
au nord de l ’Afie, comme au Kaire ceux de
1 Afrique. Chaque <annee le nombre s’en élève
depuis trente jufqu'à cinquante mille ; plufieurs
■ s'ÿ rendent quatre ou cinq mois d’avance ; la plupart
n arrivent qu a la fin du Ramadan. Alors
Damas reflemble a une foire immenle; l ’on nevoit
qu'étrangers de toutes les parties de la Turquie
& même de la Perlé ; tout eft plein de chameaux,
de chevaux, de mulets & de marchandifes : après
quelques jours de préparatifs , toute cette foule fe
inet confufément en marche , & faifant route par
la frontière du defert} elle arrive en quarante jours
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à la Meke , pour la fête du Bairam. Comme
cette caravane traverfe le pays de plufieurs tribus
arabes indépendantes , il a fallu faire des traités
avec les Bédouins , leur accorder des droits de
paffage , & lés prendre pour guide.s. Souvent il y
a des difputes entre les jehaiks à ce fuiet; le pacha.
en profite pour améliorer fon marché : ordinairement
la préférence eft dévolue à la tribu de
Sardîé, qui campe au fud de Damas , lé long; du
Hauran; le pacha envoie au chaik une maffe d'armes
, Une tente & une peliffe ^ pour lui lignifier
qu’il le prend pour chef de conduite. De ce moment,
ce clfaik eft chargé de fournir des chameaux
à un prix .convenu ; il les tire de. fa tribu 8ç
de celles de fes alliés,. moyennant un louage éga?
lement convenu ; on ne lui répond d'aucun dommage,
& toute perte par accident, eft pour fon
compte. Année commune il périt dix. mille cha-
meaux ; ce qui fait un objet de confommation
très-avantageux aux arabes.
Il ne faut pas croire que le motif de tant de
frais & de fatigues foit uniquement là dévotion 5
l'intérêt pécuniaire y a une part encore plus confidérable.
La caravane eft le moyen d’exploiter
une branche de commerce très-lucrative. Prefque
tous les pèlerins en font un objet de fpéculation :
en partant de chez eux , ils fe chargent de mar-
chandifes qu’il vendent fur la route ; l’or qui en
provient, joint à celui dont ils fe font munis chez
eux, eft tranfporté à la M ek e, & là il s’échange
contre les mouffelines & les indiennes du Malabar
& du Bengale, les châles de Kachemire,
Laloës de Tunkin, les diamans de Goleonde ,
les perles des Barhain , quelque peu de poivre &
beaucoup de café d’Yemen. Quelquefois les arabes
du défert trompent l’efpoir du marchand , en
pillant les traîneurs, en enlevant des portions de
caravane. Mais ordinairement les pèlerins reviennent
à bon p ort, & alors leurs profits font
eonfidérables.
Jérufalem a eu de tems en tems des gouverneurs
pfcpres, avec le titre de pachas ; mais plus
ordinairement elle eft , comme aujourd'hui, une
dépendance de Damas, dont elle reçoit un mot-?
fallait» ou dépofitaire d’autorité. C e motfallam en
paye une ferme , dont les fonds fe tirent du miri,
cîes douanes & fur-tout des fottifes dés habitans
chrétiens. Pour concevoir ce dernier article il
faut favoir que les diverfes communions des grecs
fehifmatiques & catholiques, des arméniens, des
coptes , des abyffms, & des francs s’envient mutuellement
la poffeffioH des lieux faints, fe la dif-
putent fans ceffe à prix d’argent auprès des gouverneurs
Turcs. C ’eft à qui acquererâune prérogative.,
ou l’ôtera à fes rivaux : c'eft à qui fe rendra
le délateur des écarts qu'ils peuvent commettre.
A-t'-on fait quelque téparation elandeftine à une
églife ; a-t-on pouffé une proceffion plus loin que
de coutume 5 eft-il arrivé tin pèlerin par une autre