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Tordre de la fucceflîon à la couronne , a été faite
par les états-généraux.
Le fils pofthume de Louis-le-hutin meurt cinq
jours après fa naiflance ; Jeanne , fille de Louis ,
difpute la couronne à Philippe-le-long. C e n'eft
point le parlement qui vuide le différend. On convoque
une affemblée de prélats, de feigneurs &
de bourgeois. On déclare dans cette affemblée
qu'au royaume de France les femmes ne fuccèdent
point (i). M m l'article France.
C e n'eft pas -là ce que j’appelle une affemblée
d'états généraux; mais j'y vois au moins une affem-
bléecompofée des trois ordres du royaume,décidant
la plus importante queftion qui fe fût encore agitée
depuis TétablifTement de la monarchie , & formant
, par le concours des fuffrages des prélats -,
des feigneurs & des bourgeois , une loi que nous
regardons aujourd’hui comme fondamentale.
Après la mort de Charles-le-bel, Edouard III,
roi d'Angleterre, difpute la couronne de France
à Philippe de Valois. Edouard étoit plus proche
parent de Charles-le-bel que Philippe de Va lo is,
mais il n'étoit parent que par fa mère.
» Il y e u t, dit Jean de Montreuil, une défér-
»> mination & jugement des pairs, des barons,
» des prélats & autres fages du royaume de France,
» & de tous les habîtans dudit royaume de France.
Finalement , ce font les propres termes d’un
auteur qui écrivoit fous Louis X I » parties
*> ouïes en tout ce qu'ils voulurent alléguer d'une
« part & d'autre, les princes, prélats, nobles
« gens des bonnes villes & autres notables clercs,
» faifant & repréfentant les trois états-généraux
» du royaume, affemblés pour ladite matière,
« dirent & déclarèrent que , félon Dieu , raifon
m & juftice, à leurs avis, le droit dudit Philippe
» de Valois étoit le plus apparent pour parvenir
m à la couronne (2) ce.
Si cette loi exifte encore, fi elle a réfifté au fa-
natifme de la ligue , à l’ambition & aux intrigues
de Philippe II , c'eft au parlement de Paris que
nous en fommes redevables. C'eft le fameux arrêt
de if95 qui a maintenu Tordre de la fuccef-
fion , qui a fauvé la France , & qui lui a donné
Henri IV .
Mais les vertueux magiftrats qui ont provoqué
cet arrêt, n'ont-ils pas un peu paffé le. but dans
les motifs qui paroiffent les avoir déterminés ?
Je voudrois dans ce moment n'être que citoyen,
pour n'avoir à leur préfenter que l’hommage de
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la reconnoiffance* de la nation. Mais je fuis aufft
jurifconfulte ; la rigueur des principes m'entraîne
malgré moi. C e font les principes du parlement
lui 1 même ; ce font les principes confervateurs
du droit de la nation ; c’eft un bien dont je ne
puis pas offrir le facrifice , parce qu'il n'eft pas
à moi.
C e fut M . Duvair qui opina le premier dans
cette importante délibération.
Je trouve dans fon difcours , que le parlement
a la garde des loix : cela eft vrai, c'eft à lui à les
faire obferver. La loi qui exclut les femmes du
trône ëxiftoit ; c'étoit par le fuffrage de la nation
affemblée qu'elle avoit été faite ou confirmée j
c'étoit au parlement à en empêcher l'infraétion.
J'y trouve que la tutelle du royaume eft dans
les mains du parlement : cela eft vrai, quand la
nation n'eft pas affemblée , & qu'elle ne peut
pas s'affembler. Mais quand elle eft affemblée,
quand elle peut pourvoir par elle-même à fes
befoins , la tutelle du parlement n'eft - elle pas
inutile)
J ’y trouve que ce n’eft pas à un petit nombre
de gens achetés & corompus à difpofer de la couronne.
Cela eft vrai. Mais je demande fi la nat
io n , légitimement aiïemblée, peut ou ne peut
pas difpofer d'une couronne vacante ; fi le parlement
a le droit d’empêcher qu’elle en ciifpofe : 8c
fur ce point je trouve chez M. Duvair des doutes
8c des affermons qui ne me fatisfont pas. Il doute
j du droit de la nation ; & il affirme que c'eft par
I l'autorité du parlement qüe fe fait Taffemblée des
états ; que ce qui fe réfout aux états généraux bien
& légitimement affemblés , n'a force ni vigueur
j qu'après qu'il a été vérifié par le parlement (3)^
C'eft peut-être à cette erreur que. nous devons
l'arrêt qui a fauvé la monarchie ; mais c'eft une
erreur , & il faut le dire. Je ne concevrai jamais
qu'une partie puiffe être plus forte que le tout.
C e n'eft pas l ’idée que les états de Blois nous donnent
du pouvoir du parlement. Les cours de parlement
, difoient-ils , font une forte des trois états
raccourcis au petit pied. C e n'eft pas l'idée qu’en
a le parlement lui-même. On peut voir dans plu-
fieurs remontrances , que les cours fouveraines
favent qu'elles ne repréfentent la nation que par
néceflîté de fa it , lorfque la nation n'eft pas affemblée
& lorfqu’elle "n’a pas nommé d’autres repré-
fentans (4).
M. Duvair auroit pu fonder fon avis fur un
( 1 ) Continuateur de Guillaume de Nangis , fpicil.'tome 3 , page 7 1 .
( i ) Mémoires de l’académie des b elles-lettres, tome 2 0 , pages 464 & 465.
(3) OEuvres de M. Duv air , fuafion de l ’arrêt donné au p a r lem en t, pour la manutention de la lo i falique.
(4) » Ce peuple avoir autrefois la con fo lation de préfenter fes doléances aux rois vos prédécelTeurs ; mais depuis un fiècle
& demi les états n’ont point été convoqués...-
» Jufqu’ à ce jou r au moins la réclamation des cours fuppléoit à celles des é ta ts , quoiqu’imparfaitement j c a r , ma l g r é
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motif plus folide , plus conforme aux loix du
royaume 8c aux droits de la pation ; c eft que les
faélieux qui formoient les prétendus états , 8c qui
prétendoient difpofer de la couronne en faveur de
l’infante d’Efpagne , n’étoient point les députes
de la nation; c’eft que cette affemblée avoit été
convoquée par gens qui n’en avoient pas la puif-
fance; c’eft que ce n’étoit pas une affemblée des
états généraux. Mais le parlement s’etoit mis dans
Timpoffibilité de déclarer cette affemblée illégale ;
il l’avoit approuvée, & M. Duvair y étoit lui-
même député.
Une fociété ne peut exifterfans revenus publics
pour fburnir aux frais de prote&ion 8c de confer-
vation.
Il y a deux manières de former ce revenu public.
On peut affigner au domaine national , des
terres ou d’autres objets produ&ifs, pour fub-
venir à la dépenfe publique. Si la nation n’ a rien
gardé pour fon domaine , ou qu’il ne fuffife pas ,
il faut prendre une portion des revenus de chacun
des individus qui compofent la fociété ; c’eft ce
qu’on appelle impôt.
Un homme qui n’a pas affez vécu pour Tinf-
tru&ion de fon fiècle, a propofé fur cette matière
un problème qu’il a réduit à cet énoncé.
m Trouver une forme d’impofition q u i, fans
m altérer la liberté des citoyens & celle du comte!
merce , fans vexation 8c fans troubles, affure
» à l’état des fonds fuffifans pour tous les tems
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» 8c tous les befoins, dans laquelle chacun con-
»9 tribue dans la jufte proportion de fes facultés
» particulières, & des avantages dont il bénéficie
M» dans la fociété «.
Je n’entreprendrai pas de réfoudre ce problème,
parce que je n’ ai ni miffion , ni peut-être les talens
néceffaires pour donner la théorie de l’impôt; mais
il eft bon de répéter fouvent aux administrateurs,
que toute la fcience de l’économie politique fe
réduit à la folution de ce problème & à l’application
des réfultats qu’il donnera.
Les François ne payoient point d’impôts fous
les deux premières races de la monarchie. Les
rois avoient des domaines dont les revenus fuffi-
foient à leur dépenfe. Le cens ou tribut étoit une
redevance qui ne fe levoit que fur les fcrfs ou fur
certaines terres tributaires ; ce n’étoit point une
charge publique. Chaque propriétaire ou feigneur
percevoit le cens ou le tribut fur fes ferfs ou fur
les terres qu’il avoit données à la charge d’ un tribut
, comme le roi le percevoit fur les ferfs ou fur
les terres tributaires qui appartenoient au domaine
public. Tout homme libre contribuoit de fa per-
fonne au fervice militaire, fe pourvoyoit de vivres,
d ’armes , de chevaux 8c d’habits néceffaires. Ils
fournifloient de plus des chevaux & des voitures
aux envoyés du roi 8c aux ambaffadeurs qui par-
toient de la cour ou qui voyageoient avec le roi ;
ils étoient auflï obligés de les loger & de les défrayer
à leur palfage. Il ne reftoit donc nul prétexte
à l’impôt (1).
tout notre z è le , nous ne nous flattons point d ’avo ir dédommagé la nation de l ’avantage qu’elle a vo it d ’épancher fo n coeur
dans celui de fon fouverain.
» Mais aujourd’hui l’unique reffource qu’on avoit IaifTée au peuple lui eft auflï enlevée....
» Par qui les intérêts de la nation feront-ils défendus contre les entreprifes de v o s miniftres ? Par qui fes droits vous fe ront
ils préfencés, quand les cours n’exifteront. plus ?...
» Le peuple difperfé n’ a point d ’organe pour fe faire entendre....
» Interrogez donc , lire , la nation elle même , puifqu’il n’y a plus qu’elle qui puifTe être écoutée de votre majefté....»
Remontrances de là cour des aides de P a r is , du 18 Février 17 7 1 .
» C’eft à la nation, fire , à recourir avec refpeéfà la dernière reftource que lui offrent les loix , f. StalHcjrant de votre
majefté l’aflemblée des états généraux. Plus d’une fois le défordre y a trouvé fon remède , & l’état fon foulagement. Jamais
peut-être il ne fut plus intéreffant à la nation d’en obtenir la convocation , & aux magiftrats de la demander ». Lettre du
Parlement de Rouen au R o i , du 8 Février 17 7 1 .
» Puifque les efforts de la magiftrature font impuiffans.... daignez, lire, confulter la nation affemblée ». Remontrances
du Parlement de R o u en , du 19 M a r s 17 7 1 .
s » S’il étoit vrai que le parlement, devenu fédentaire fous Philippe-le-Bel, & perpétuel fous Charles V I , n’eft pas le même
que l’ancien parlement ambulatoire , convoqué dans les premières années du règne de Philippe-le-Bel, fous Philippe-le-Hardi,
fous Louis IX , fous Louis VIII , fous Philippe-Augufte , le même que lés placita convoqués fous Charlemagne & fes def-
■■cepdans , le même que les anciennes alfemblées des Franc s, dont l’hiftoire nous a tranfmis des veftiges avant & après la
conquête j fï la diftribution de ce parlement en plufîeurs refforts a vo it changé fon effence conftitutive 3 en un m o t , fî vos
: cours de parlement , fire , n’avoient pas le droit d ’examiner & de vérifier les lo ix nouvelles qu’il plaifoit à votre majefté de
; propofer 3 ce droit ne pourcoit pas être perdu pour la nationrj i l eft: imprefcriptible , inaliénable. Attaquer ce principe ,
| c ’eft trahir non-feulement la nation , mais les rois mêmes 3 c’eft renverfer la conftitucion du royaume 3 c’ eft détruire le fo n dement
de l’autorité du monarque. Croiro it-on que la vérification des lo ix nouvelles dans vos cours de parlemen t, ne fupplée
: pas ce droit primitif de la nation ? L’ ordre public pourroit-il gagner à la vo ir exercer encore par la nation ? Si votre ma-
1 jefte daigne la rétablir dans fes d ro its , o n ne nous v erra point réclamer cette portion d’autorité que les rois vos prédécelïeurs
nous avoient confiée , dès que la nation les exercera elle même. Mais jufque-là ,'&c...... » Remontrances du parle-
Iment de Bordeaux , du 1 f F évrier 17 7 1 .
I; Voilà les principes des cours fouveraines , développés autant que le permettoic la circonftance dans laquelle ces remon-
trances furent faites.
g^. V o y e z 'l’efprit des lo ix , liv . 30 ,-chap. xz & fuivans 3 les obfervations fur l’ hiftoire de France de l ’ abbé' M a b ly , liv . 1',
I j aP * 1 » aux preuves,, note x 3 & le dro it public de B ou q u e t, part. 1 , art. 4 8c j 3 le fyftême de l’ abbé Dubos fur l ’impôt
[ * es É‘eux premières race s , y eft complètement réfuté.