
Ainfi la polygamie étoit une prérogative des.
rois Francs ; & le divorce . fans autre caufe que
la méfintelligence ou la volonté dés deux epoux ,
le droit commun dés rois 8e des fujets.
: Cependant les miniftres de la religion s’éle-
voient de tems en tems contre ces defordres.
Saint-Amant avoir cenfuré la conduite de Dagobert
, pour avoir répudié Gomatrude fon epbufe ;
il fut chaflé hors du royaume.
Charlemagne époufa la fille de Didier. roi des
Lombards j quoique fa première femme fût encore
vivante. Le pape s’oppofa à ce mariage ,
mais en vain. L'année fuivante, Charlemagne répudia
la fille du roi das Lombards , 8c prit une
autre époufe à fa place i le pape ne le trouva pas
mauvais.
. j: t :e vois que , fous ce même règne, Louis-le-
Débonnaire, qui n'étoit alors que roi d’Aquitaine
avoit époufé Ermengade fans lui donner le
titre de reine ; elle ne l'obtint que quelque tems
après le mariage.
Ainfi les moeurs, les loix Sc les ufages des rois
Mérovingiens fur la polygamie , fur le divorce &
fur la diftinction du titre d’ époufe avec celui de
reine, fe confervent dans les commenCemens de
la fécondé race.
Les defçendans de Charlemagne n etoient certainement
pas meilleurs que lu i, mais ils etoient
plus foibles ; Rome ofa contre eux ce qu elle n eut
pas ofé contre Charlemagne.
Tout le monde connoit 1 hifioire de Lothaire ,
roi de Lorraine , de Thietberge 8e dé Valdrade.,
Lothaire avoit époufé Thietberge i il veut épou-
fer Valdrade , & ne croit ce fécond mariage pof-
fible qu'en répudiant Thietberge ; pouf pouvoir
la répudier , il l ’accufe d’incefte, fait prononcer
le divorce, & fe,marie avec Valdrade. ..
« Thietberge fe juftifie ,- le pape prend fon parti,
menace d'excommunier Lothaire & Valdrade, 8e
i les excommunie 'en effet.
plutôt fut la licence des mariages des fouverains}
de l’autre, combien cette éntreprife de la cour
de Rome contre Lothaire a influé fur les fiècles
fuivatts.
Il n’y avoit pas encore cent ans que Charlemagne
Lothaire va demander à Rome fon abfolution ;
il ne l’obtient qu’à -condition que-lui. &,les fei-
gneurs de fa fuite juteront qu il n a pas approche
de Valdrade depuis les dernières défenfes du pape :
ils jurent tous ; c'étoit un faux ferment qu ils
faifoient : tous moururent dans'l'année , 8e leur
mort fut regardée comme une punition du parjure.
C e n'eft pas ce que cet exemple peut avoir
d ’effrayant qui doit fixer notre attention * mai? je
crois devoir obferver d’un côte combien on^etoit
déjà loin des idées des Francs fur la liberté, ou
avoit époufé la fille du roi des Lombards,
quoiqu’il eût une autre époufe vivante j il y avoit
un peu plus de deux cens ans que Dagobert avoit
eu à la fois trois époufes reines, & une époufe
qui n'étoit pas reine. Le droit de polygamie étoit
alors la prérogative des rois françois. N
Et Lothaire ne croit pas pouvoir époufer une
fécondé femme3 tant qu’ il fera lié à la première!
Charlemagne avoit répudié la fille du roi des
Lombards fans formalités, & fans recourir à l’autorité
des miniftres de l’églife : il étoit cependant
bien afiuré d’en obtenir la permiflîon s’ il l’eût demandée
* le pape étoit l’ennemi perfonnel du roi
des Lombards. Avant Charlemagne , les refis Mérovingiens
avoient aufli répudié leurs femmes fans
le fecours de l’églife 5 & la formule de Marculfê
nous apprend que c ’étoit le droit commun , que
le confentement réciproque des deux époux, que
même la méfintelligence entre eux, l’incompatibilité
des cara&ères etoient des caufes légitimes
du divorce.
Lothaire au contraire croit ne pouvoir répudier
Thietberge qu’ en Faceùfant, en la faifant déclarer
convaincue d’incefte 1 _
Cette réforme fut l’ouvrage des fils & des petits
fils de Charlemagne j ils proferivirent, fans
diftinétion des rangs & des perfonnes 3 les mariage*
privés & la polygamie, & n’admirent que
i’aduitère pour caufe légitime de divorce.
» Ceux qui voudront fe marier 3 dit le capitu-
» l^ire 17$) du livre 7 3 ne pourront lé faire que
m par mariage, publie . . . . . . Le mariage fera fait
l» dans l’églife pàroifliale 3 en préfence du peuple
» & par la bénédiction du curé. »
La loi étoit fage * mais le motif qui Ta déterminée
paroîtra .peut - être bizarre* elle interdit les
mariages fecréts , parce qu’il ne vient pour l'ordinaire
de ces fortes de mariages , que des enfans
aveugles 3 boiteux 3 boflus ou chaüfieüx.
Un autre capitulaire dit qu’il ne fera permis à
perfonne y nulle liceàt 3 devoir à la fois deux
, époufes , ou une époufe & une concubine* &
'là raifon que le légiftateur en donne, c’eft que
la pluralité des femmes perd Lame, fans porter
aucun profit au ménage.
Un autre capitulaire dit qu’i^ne fera permis à
perfonnë, nulli liceat 3 fie répudier fa femme &
d’en époufer une autre, excepté la caufe d’adulf
tère:
u , , • on fe méprendrait même fi l’on en con-
duoit que -l'époux qui avoit renvoyé fa femme
pour caufe d'adultère, avoit la liberté d en epou-
î fer une autre. C e capitulaire eft explique par un
autre , qui dit : Hi qui , causâ farnicaliants, <U-
| mijfis Mxoribus fuis 3 alias ducunc, domini Jenten-
\ tiâ aduluri ejfe notentur.
A la vérité , je trouve d'ans un autre capitulaire
j du même tems , que le confentement réciproque
des deux époux eft une caufe fuffifante pour le
! divorce j mais cette efpèce de divorce ne donnoit
à aucun des deux époux la liberté de contracter
un autre mariage * ils ne pouvoient fe feparer d un
commun accord, que pour fe vouer au fervice de
Dieu » propurfervitium Dei.
Plus ces loix etoient récentes, plus l’infra&ion
I en dut paroître fcandaleufe* il ne fallut plusçju un
pape entreprenant & un prince foible, pour mettre
les fouverains fous le joug de la cour de Rome.
Nicolas I & Lothaire etoient précifément ce qu il
falloit être pour opérer cette révolution-
Je ne fais fi l’on, peut dire qu’elle ait beaucoup
contribué à faire refpe&er le mariage * mais je crois
que la cour de Rome y a plus gagné que les bonnes
moeurs.
A la vérité les rois, depuis cette époque, ont
été fournis , comme leurs fujets, à la monogamie*
mais les loix du royaume ont plus fait que les
cenfures de la cour de Rome, pour nous ramener
aux faines maximes. La cour de Rome a fouvent
fervi les paflions ou les intérêts des rois qui ne
l ’ont.pas redoutée : elle a combattu , elle a puni
quelquefois les fentimens veitueux de ceux qui
| fe font humiliés devant elle.
Dans la troifième race, & dans le cours de fix
fiècles , jê vois.fept reines répudiées, & une huitième
qui fubit le fort de Galfonte.
Un de nos meilleurs rois eft forcé de quitter une
; époufe vertueufe qu’il chérit tendrement : leur mariage
eft annullé | parce qu’ ils font parens au qua-
I trième degré , & parce que le roi a tenu fur les
I fonts baptifmaux un enfant que la reine avôit eu
i d’un premier mariage. Au lieu de rehabiliter ce jj mariage par des difpenfes 3 qu’ on a f i fort prodi-
I guées depuis, on excommunie les deux époux , on
: met le royaume en interdit * une terreur religieufe
i s’empare de tous les efprits , & le bon monarque
[ eft abandonné de fes fujets qui l’adorent, de fes
I courtifans & de fes propres fiomeftiques. Il fait
i le voyage de Rome, implore la clémence du pape 3
I & le pape eft inflexible.
Bien plus coupable que fon aïeul, Philippe pre-
I «lier fut plus heureux que lui. Il avoit répudie
(Scott, polit. & diplomatique. Tom. I V .
la reine Berthe , fon époufe depuis vingt ans , &:
qui lui avoit donné plufieurs enfans II avoit epoule
Bertradé de Montfort, dont le premier mari étoit
vivant : on l ’excommunie * il brave la foudre s on
finit par l’abfoudre de toutes cenfures, & I on
confirme fon double adultéré.
Philippe-Augufte répudie la reine Ifemburge î
il époufe Agnès de Méranie, & en a deux entans.
on l’excommunie aufli: il reprend Ifemburge* mais
le pape compofe avec lui * il déclare légitimes les
deux enfans nés de l’adultère.
On auroit fans doute excommunié Louis le
huttin* s’il eût répudié Marguerite de Bourgogne
fa première femme 5 mais il prit le parti de la ran e
étrangler, & Rome 8c fes miniftres gardèrent le
filence.
Charles-Ie-bel poiivoit avoir de très-bonnes
raifons pour répudier Blanche de Bourgogne* mais
iî en donna de très mauvaifes pour faire prononcer
le divorce 3 8c cependant il 1 obtint de la cour
• de Rome. On obferva affez plaifamment à ce
propos, que tandis que le pape rompoitle mariage
de Charles-le bel pour un (impie compérage qui
n’étoit pas prouvé , il permettait a un certain
Billevart d’époufei fa double commere.
Les foudres du Vatican font moins redoutables
qu’autr efois ; mais les décrets de Rome fur les
mariages 8c les divorces des rois peuvent encore
caufer bien du trouble : fa condefcendance pour un
roi puiffant qui voudrait répudier fon ÇP°ure pour
fatisfaire une nouvelle paffion, 8c fa refiftance aux
voeux d’une nation qui voudrait conferver une
reine chérie, ou qui folliciteroic un divorce juite
8c néceifaire, pourraient devenir egaiement tu-
nefies.
Nos moeurs fe font épurées fans le fecours de
Rome ; la religion 8c les loix du royaume ont tout
fait.
Nos rois ont abjuré d'eux- mêmes cette prérogative
fcandaleufe qui permettoit aux rois crânes
d’avoir plufieurs époufes à la fois : ils ont cru que
la morale de l’évangile obhgeoit le monarque
comme les fujets, plus même que les fujets, parce
que c’eft du monarque que doivent partir tous les
bons exemples.
C ’ eft donc une loi irréfragable, 8c qui eft fidèlement
obfervée depuis plus de neuf cents uns
que nos rois ne peuvent avoir a la fois plus d une
époufç.
La loi de l’indiffolubilité du mariage eft au(U
commune aux rois Sc aux fujets ; elle remonte
à la même époque que celle qui fut faite contie
la polygamie. L'adultère même ne feroit pas une