
«toit un fief immédiat de la couronne ; que la
duchefle n’étoic âgée que de treize ou quatorze
ans ; qu'elle avoit pour tuteurs Rieux & Lefcun 5
que , fuivant le fixième canon du concile de Compïègne
de Tan 757 & le chapitre 63 des établifle-
mens de faint Louis, le vaflal mineur ne pouvoir
contracter un mariage valable fans le confentement
du feigneur ; que le mariage de la duchefle de
Bretagne avoit été contracté à l’infçu du r o i , fon
feigneur, de fes tuteurs & de fa famille ; que
c ’ étoir un mariage clandeftin.. . . on conviendra
peut être qu’un pareil mariage, a pu être réputé
n u l, fans qu’on foie en droit d’en conclure qu’en
général les mariages contractés par procureurs
ne font pas valables.
Aufli ne fut-ce pas fur la nullité des mariages
contractés par procureurs , que le confeil de
Charles VIII fonda'fes èfpérances : on regarda
comme nul le mariage de la duchefle de Bretagne,
parce qu’ étant mineure , elle n’avoit pu coptraCter
d’engagement valable fans l’aveu de fes parens ;
parce qu’étant princefle du fang , elle avoit eu
befoin de l’agrément du roi (1) 5 enfin , parce
qu’étant vaflale de la couronne , elle n’ avoit pu
difpofer de Ton fief fans l’agrément de fon feigneur.
Mais fi l’on veut juger le droit par les faits ,
voici une anecdote qui pourra fixer tios idées
fur la validité des mariages contractés par procureurs
, par celle qu’en ont eue Henri IV &
Marie de Médicis.
Le mariage s’étoit fait à Florence. Le grand duc
avoit époufé Marie , comme procureur de Henri
IV . Marie arriva à Lyon le 2 décembre ; Henri
y arriva le 9 à onze heures du foir. Et voici le
compte que rend de cette entrevue la chronologie
feptenaire, année - 16 0 0 .
» La reine étoit à fon fouper ; & la voulant
» voir & confidérer à table fans être connu ,■ le
*> roi entra jufques en , la fallette , qui étoit fort
« pleine ; mais il n’y eut pas plus tôt mis le pied,
*> qu’il fut reconnu de ceux qui étoient le plus
» près de la porte. Ils fe fendirent pour lui donner
» paflage ; ce qui fit que' fa majefté fortit à l’ inf-
3,3 tant , fans entrer plus avant. La reine s’apperçut
» bien de ce mouvement, dont toutefois elle ne
33 fit aucune démonftration , que de pouffer les
» plats en arriére à mefure qu’on laTervoit ; &
33 mangeoit fi peu , qu’elle s’ affit plutôt par con-
*> tenance que pour fouper.
» Après qu’on l’eut deflervie, elle fortit incon-
» tinent , & fe retira en fa chambre. Le r o i ,
» qui n'attendoit autre chofe , arriva a la porte
» d’icelle , & faifant marcher devant lui M. le
« Grand , qui frappa fi fo r t, que la reine jugea
» que ce devoit être le roi , & s’avança au meme
» inftant que M. le Grand entra fuivi de fa ma-
33 jefté , aux pieds de laquelle la reine fe jeta. Le
» roi l’embraflant & l’ayant, relevée , ce ne furent
33 qu’honneurs , carefles & baifers , refpeCts &
33 devoirs mutuels. Après que les complimens
33 furent paffés, le roi la prit par la main , &
33 l’approcha de la cheminée , où il parla a elle
33 une bonne demi-heure , & s’en alla de la fou-
33 per ; ce qu’ il fit aflez légèrement.
33 Cependant il fit avertir madame de Nemours,
33 qu’elle dît à la reine qu’il étoit venu fans li t ,
» s’attendant qu’elle lui feroit part du fien , qqi
33 leur devoit être commun dès-lors en avant.
» Madame de Nemours porta ce meffage à la
33 reine , laquelle répondit, qu’elle n’étoit venue
v que pour complaire & obéir aux volontés de
» fa majefté , comme fa très - humble fervante.
» Cela lui étant rapporté , fadite majefté fe fit
33 déshabiller, & entra en la chambre de la reine,
33 qui étoit déjà au lit «. ■' ...
C e ne fut que huit jours après , le 1 7 décembre ,
que le cardinal Aldobrandin donna la feçonde bénédiction
nuptiale au roi &: à la reine.
Henri IV & Marie de Médicis croyoient donc
que- le mariage célébré à Florence par procureur ,
leur avoit conféré le facrement & les avoir irrévocablement
liés l’un à l’autre.
§. II. Droits & prérogatives de la reine pendant
le mariage.
Un fragment d’Ulpien , que Tribonien a recueilli
dans les pandeéles , nous donne en peu de
mots une idée aflez exaéte des droits 6c des prérogatives
de l’époufe d’ùn fouverain.
33 L ’empereur eft difpenfé des loix ( ï) ; l’im-
33 pératrice leur eft foumife. A cela près, elle a
» les mêmes privilèges que l’empereur «. C e
qu’Ulpien difoit des impératrices , nous pouvons
l’appliquer aux reines de France.
Autrefois même les reines de France partagé
oient avec leurs époux le poids de l’adminiftra-
tion publique Rome a bien pu aufli être quelquefois
gouvernée par les impératrices 3 mais ce n’étoit
pas l’ordre établi ; au lieu que par les loix & les
moeurs françoifes, il y avoit un département fixe
x(0 Cette M im e n_a bien été'établie que fous îe rhiniftBre du cardinal de Richelieu , au fujet du mariage de mondeur ,
frere de Louis X III, avec la princeTe Marguerite de Lorraine.
(2) Il faut bien fe garder de prendre le premier membre de cette l o i , dans le fens littéral qu'elle femble préfenter. Mais
ce a ’elt pas ici le lieu de l’ expliquer.
pour Jes reines ,• & ce département étoit de la ,
plus grande importance.
C ’étoit h reine qui avoit le maniement clés finances
& l’infpe&ion de la chambre du roi,;
Nous voyons dans Hincmar & dans les articles
16, 1 7 ,4 7 & du capitulaire de Charlemagne ,
de. villis 3 que cet ufage fùbfiftoit encore dans la
. fécondé race.
l’on entendoit par chambre du r o i , Ueii où
étoient les meubles, fes bijoux , fes tréforsg & 1
les ornemens royaux. C ’eft T idée que nous en
donne le codicille de Charlemagne, qu’Eginhart
nous a tranfmis y & qui eft intitulé Breyiarium
divifionis tkefaurorum Caroli Magni imperatons 3'
quam poft obitum fuumobfervari jujfit. Charlemagne
y difpofe de touS lesmeubles , tréfors , o r , argent,
bijoux 8f ornemens royaux qui. fe trouveront
dans fa chambre , de thefauris fuis atque
que de lui épargner tous les details de ITdminiftra-
tion économique , & de ne lui laifler d autre foin
que celui de veiller à la fureté , à la tranquillité
& au bonheur de fes fujets.
C ’ eft cet ufage toujours fubfiftant qui donna
lieu aux foupçons qui fe répandirent fur la vertu
d erépoufe de Louis-le - débonnaire. Bernard,
comte de Barcelonne , étoit grand chambellan;
: les devoirs de fa charge l’obligeoient de voir fou-
vent l’impératrice-r«//ze , pour prendre fes ordres
& pour lui rendre compte de leur exécution. Les
hiftoriens difent que Bernard étoit un cavalier accompli
pecuniâ que. in illâ die in caméra ejus inventa eft.. . .
Omnemfubftantiam atque fupelleSlilemfuam 3 qudin
au.ro & argento , gemmifque & ornatu regio , in
caméra ejus inveniri-poteratî - ■
. Oétoit la reine encore qui régloit les préfénsj
que l’on faifoit aux ambafladeurs , & qui recevoit
ceux que-les grands du royaume & les ’autres'
Francs avôiént accoutumé d’ôflFrir au roi chaque
année.
Le chambellan étoit immédiatement chargé de
ces objets ; nais fes fondions étoient fnbordonnées
à rinfpeélion de la reine j c’eft d’elle qu’ il recevoit
les ordres , • & elle qui rendoit compte de leur
exécution,
. La reine avoit aufli la furintendancé des domaines,
du roi. Le fénéchal& le bouteiller recevoient d’elle
les ordres relatifs à ce département. C ’étoit elle aufli
qui adrefloit immédiatement fes ordres aux juges
fifeaux chargé de la régie des domaines, ou qui
les leur faifoit adrefler par le fénéchal ou le boute,
iller. C ’étoit la reine qui donnoitles.-ordres pour
défrayer les envoyés du palais dans les domaines
dft roi.
C ’étoit elle enfin qui preferivoit ou qui faifoit
preferire par le féiiéchal & le bouteiller , l’ordre
que deyoiçnt tenir dans les domaines du roi les
veneurs fauconniers , & les autres officiers du
palais.
~ Ainfi la reine étoit chargée de tous les foins do-
meftiques , de tout le poids de l’adminiftratio'n
économique.
Cet ufage des premiers tems de la monarchie
paroît être encore un refte dés anciennes moeurs
des Germains. On fe fouvient que Tacite a dit que
leurs époufes étoient les compagnes de leurs tra-
vauxk C ’étoit s’afîbcier'en effet aux travaux du roi,
; que l ’impératrice-reùz* étoit belle , fpiri-
tueile , enjouée. La calomnie les attaqua fans
ménagement > ;un dévot fanatique accrédita l'im-
pofture. L ’impçratrice fut enfermée dans un mo*
naftère. Bientôt on reconnut fon innocence ; elle
remonta furie trône ; & Tabbé Vala fut. enfermé
dans un cliâteau , fur un rocher eicârpé, près du
lac de Genève.
On ne voit point à quelle époque les reines ont
cefle d’adminiftrer les domaines & les finances. 11
fer^ble que Charles V fe propofoitde rétablir cet
ordre antique., lorfqu’en confiant la régence du
: royaume au duc d’Anjou fon frère , il donnoit le
| gouvernement des finances.de l’état à la reine fon
époufe.
En renonçant à une branche d’adminiftration
dont les objets fe multiplioient à l’infini, dont les
formes dévenoient de jour en, jour plus compliquées
, cjui par conféquent pouvoit effrayer une
jeune princefle , elfes'û’ont cependant pas cefle de
s’occuper du bonheur des peuples. Nos rois ont
continué de les aflocier-^ux aétes les plus impor-
tans du gouvernement. Nous en trouvons la preuve
dans du Tillet.
33 Du tems que la forme étoit d’autorifer &
» approuver les Chartres royales par les feings des
33 princes & grands officiers de la maifon du roi....
» nos -rois ont fait fouferire leurs Chartres aux
*> reines3 pour les autoriler. Il y en aen 1 abbaye
33 Saint-Denis, des rois Philippe premier & Louis-
« le-gros, lignées des reines Anne CO & Alix leurs
» femmes.
J 33 Les autres rois ont voulu leurs Chartres être
» datées par les années du règne des reines leurs
33 femmes'comme du leur; il-y en a deux en ladite
( 1 ) I l doit y avoir ic i une erreur de tto;m. Philippe premier n’ a . p oint eu d’ époufe nommée Anne.