
R égence du Royaume en France*
Il y a treize fiècles que la monarchie françoife
exifte. Dans cette longue fuite de fîècles, il y a
eu plus de vingt rois mineurs 5 & Ton devoit prévoir
que cet inconvénient étoit inévitable''dans un
royaume héréditaire. Les rois majeurs pouvoient
être forcés de s’abfenter de leur royaume. Ils
étoient expofés, comme les autres hommes , à
toutes les infirmités du corps & dé l’efprit. Il
falloir que le royaume fût gouverné pendant la
minorité, pendant l’abfence, ou pendant là maladie
du roi. Comment fe peut-il qu'on n'ait penfé
qu'au bout de neuf fîècles à faire une loi pour
fixer l’âge de la majoiité du r o i , & une autre loi
pour mettre des bornes à la puifTance des régens ?
Mais quatre fîècles fe font-écoulés encore, &
lious n'avôns pas de loi fur des points bien plus
ïmportans. Y a t-il quelqu’ un dans le royaume à
qui la régence appartienne de- droit 1 Quel eft
celui à qui elle appartient de droit ? Si elle n'appartient
de droit à perfonne, il n'y aurar de. régens
q,ue par nomination, par choix : mais à qui
appartiendra ce droit de nommerJe régent? Nous
n'avons pas même d'ufage pour réfoudre ces grandes
queftions ; nous n’avons que des faits qui fe
détruifent réciproquement.
On penfe bien que je n’entreprendrai pas de
les décider. Je croirai'avoir rempli ma tâche de
citoyen , fi je prouve qu’il eft néceflaire, pour
la tranquillité de nos defcendans , que nous ayons
enfin une loi fondamentale fur cette matière.
M . de Montefquieu a cru voir dans les com-
mencèmens de la première race, que les enfans
des rois , les héritiers du trône , n’étoient réputés
rois que lorfqu’ ils étoient en état de porter
le’s armes , qu’ils étoient réputés capables de porter
les armes, par conféquent majeurs & vraiment
rois à l’âge de quinze ans. Il a trouve ForL
gine de cette coutume dans' ce que Tacite nous
apprend des moeurs des Germains.
Les armes, dit-il, devinrent plus pefantes dans
la fuite , elles l’étoient déjà beaucoup du tems
de Charlemagne : voilà pourquoi, fous la fécondé
race , la minorité fut prolongée julqu’ à vingt-un
ans.
Les enfans de Clodomir furent les viétimes de
cette coutume des Francs. Us* n’avoient pas été
nommés rois après la mort .de leur père, parce
qu’ ils étoient encore dans l’enfance..Leurs oncles
les égorgèrent & partagèrent leur royaume. Cet
exemple fut caufe que , dans la fuite , les princes
pupilles furent déclarés rois d’abord aprè.s la mort
de leur père. Mais dans ce changement même on
fuivit l’efprit de la nation ? de forte que les aétes
ne fe pafToient pas même au nom des rois pu-
- pilles.
M . Houard a vu tout le contraire. Les enfans
mâles de nos rois, d it-il, « étoient, au com-
n mèncement de la monarchie , réputés majeurs
» dès le berceau. Nous voyons Childebert II &
« Clotaire I I I , âgés de cinq ans , monter fut
» le trône} Clotaire II , fils de Chilpéric , régner
» à quatre mois j Chilpéric , fils de Câribert,.
” & Louis le débonnaire, rois d’Aquitaine dès
» l’âge le plus tendre. C ’eft donc contredire l’évi-
» dence, que d’attribuer l’exclufîon des enfans
« de Clodomir , roi d’Orléans , à l’incapacité ou
» ils étoient, vu leur enfance , de fe préfentec
» aux affemblées de la nation »».
Il cite enfuité un paffage de Grégoire de Toursÿ
qui prouve que les enfans de Clodomir n'étoientï
pas encore en pojfejjion du royaume de leur père ;
& il en conclut quils étoient rois de droit. Ë
parle d'un autre fa it , qui eft au(ïi rapporté par
| Grégoire de Tours , pour prouver que de droit
: d?S'enfans-de Clodomir au trône de leur père,
j étoit certain.
; Perfonne ne rend aux lumières de M. Houard
un hommage plus fincère que moi ; mais il à pu
fe tromper une fois, & ,il eft permis de balancer
: entre M. de Montefquieu & lui.
Il eft d’abord certain , par le témoignage de-
[Grégoire de Tours & d’Aimoin, que les.enfans
; de Clodomir n’avoient pas été déclarés rois après
la mort de leur père. Ils ne réfidoient pas même
dans le royaume qui devoit leur appartenir. C ’é-
toit à Paris, auprès de C lo tild e , leur aïeule ,-
qu’ils étoient élevés j & le royaume d’Orléaps ,
qui avoit été le partage de leur père , étoit gouverné
par Childebert & Clotaire , leurs onclesd
Après la mort de Sigebert, roi d’Auftrafie, on
craint pour Childebert fon fils, le même fort qu’a-
voient eu les enfans de Clodomir: on l’enlève
de Paris, où Chilpéric le faifoit garder à vue.
Il eft couronné roi d’Auftrafie à Metz , quoi-'
qu’ il ne foit âgé que de cinq ou fix ans. Mais-
comment M. Houard a t-il pu conclure de ce'
fa it, que les enfans mâles de nos rois étoient-
réputés majeurs dés le berceau ? Grégoire dé Tours-
nous apprend au contraire que Childebert fut d’abord
Jous la garde de Wandelin , fon tuteur
régent du royaume d’Auftrafie , puis fous celle
de Brunehault fa mère , enfin fous celle de Çon~
tran fon oncle, qui ne le déclara majeur qu*à;
l’âge de quinze ans.
Clotaire ILeft reconnu roi de Soiflbns à l’âge
de quatre mois. Contran , fon oncle , eft fon t.ur
teuj: & régent de fon royaume. On reçoit le fer^
ment de fidélité au nom du jeune fo i & du ré-
- genti;
gent. Gontran difpofe de la tutelle & delà régence
en faveur de Landry (1).
Dagobert fait couronner Sigebert roi d’ Auftrafie
, dès fa plus tendre en fan cd^î mais il lui donne
pour régent Cunibeft, évêque de Cologne , &
Adalgife, duc du palais d’Auftrafie.
Clovis II , encore enfant, fuccède au royàu/ne
de Neuftrie après la mort de Dagobert fon père ;
mais il eft mis fous la tutelle de Nantilde fa mère ;
& le royaume a fucceftîvement pour régens , Ega
& Erchinoald, maires du palais.
Clotaire III & Childéric II étoient auflî dans
Lenfance lo-rfqu’ ils furent couronnés rois , l’un de
Neuftrie & de Bourgogne, l ’autre d’Auftrafie j
mais ils furent tous deux fous la tutelle , l’un de
Batilde fa mère, l’autre de Wlfoald , maire du
palais d’Autrafie : les deux royaumes font, pendant
la minorité, fous la régence*, l’un d’Ebroin,
maire du palais de Neuftrie, l ’autre de Wlfoald.
II eft vrai, comme le dit M. Houard,, que
Childéric^, fils du roi Câribert , fut roi d’Aquitaine
après fon père, quoiqu’il fût en très-bas
âge. On lui en donne du moins le titre dans une
chartre de Charles le chauve , de l’an 84y.
Il eft encore vrai que je ne trouve dans aucun
monument de l’hiftoire aucune preuve qu’on ait
donné un tuteur au fils de Câribert, ni un ré-
gent au royaume d’Aquitaine. Mais le filence des
hiftoriens fur cette régence , n’a rien de bien
étonnant $ ils ne parlent de cet enfant que pour
dire qu’il (urvécut peu. à fon père , qu’ il mourut
de mort violente , & que Dagobert, fon oncle ,
fut accufé de çette mort. Non diit rebus humanis
Juperfuit : opinio morùs ejus Dagobtrto adfcribe-
batur , dit Aimoin.
Nous voyons encore Louis le ,débqnnaire
Jiommé roi d’Aquitaine dès fa naiffance, facré &
envoyé dans fon royaume à l ’âge de trois ans.
Mais i jn ’étoit roi que de nom ; & les hiftoriens
obiervent, d’un côté, que Charlemagne conferva
toujours la principale autorité dans l’Aquitaine $
de l’in tre , qu’en y envoyant fon fils, il lui donna
des tuteurs & un confeil de régence, à la tête
defquels étoit un feigneur de fa cour , nommé
Arnold.
Les deux enfans de Louis le bègue font couronnés
rois à l’âge de quinze ou feize ans. M. l’abbé
Velly parle du commencement de leur règne,
comme d’une minorité: cependant il n’y eut point
de régence , les deux jeunes rois y gouvernèrent
par eux-mêmes.
Après leur mort, la régence du royaume fut
déférée à Charles le gros , à caufe de l’enfance de
Charles le fimple, qui n’avoit encore que fix ans.
La ttirelle du jeune prince fut conférée à Hugues
-l’Abbé. Après la mort de Hugues l’Abbé & la
dépofition de Charles le gros , les François élurent
Eudes tuteur du pupille & régent du royaume.
Charles le fimple r.’avoit pas encore quatorze
ans lorfqu’il fut couronné , & dès ce moment, il
paroït avoir gouverné fans tuteur & fans régent.
Lothaire, fils de Louis d’outremer , eft facré
à l’âge de treize ou quatorze ans j mais c’eft
Hugues le grand qui gouverne ie royaume fous
le titre de duc des François-,
Louis, qu’on a mal-à-propos furnommé le fa inéant
, avoit dix-huit ou dix-neuf ans lorfqu’il
fuccéda à Lothaire fon père 5 cependant, il fut
mis fous- la tutelle de Hugues C ap e t, & le
royaume fous la régence de la reine mère.
Philippe premier n’avoit que huit ans Iorf-
que fon père mourut ; fa mère v iv o it, & ne
fut point régente. Baudoin, comte de Flandres,
fut nommé marquis de France, tiiteur du jeune
Philippe & régent du royaume.
Philippe n’avoit que quinze ans lorfque Baudouin
mourut 5 cependant on ne nomma point
d’autre régent. Philippe, régna par lui-même. *
Philipp e-Augufte n’avoit auffî que quinze ans ,
lorfque Louis le jeune , fon père, mourut. Il
eut pour tuteur & pour gouverneur, Philippe
d’Alface , comte de Flandres } mais le royaume
,n’eut point de régent 5 Philippe régna par lui-
même , & le comte de Flandres ne fut que fon
premier mi-niftre.
Saint Louis fut facré d’abord après la mort
de fon père, quoiqu’ il ne fut alors âgé que de
onze^ ans & fix mois ; mais lé royaume fut gouverné
par la reine Blanche fa mère, que Louis
VIII avoit déclarée régente. Saint Louis ne gouverna
par lui-même qu’à l’âge de vingt-un ans.
Philippe le bel n’ avoit que dix-fept ans lorfqu’il
monta fur le trône 5 cépendant il régna fans
tuteur & fans régent.
Après la mort de Louis hutin , dont la veuve
étoit enceinte, les" feigneurs & le parlement de
France déférèrent la régence à Philippe le long;
on régla que .fi la reine accouchoit d’un prince ,
Philippe aurort la régence, & la tutelle pendant
dix-huit ans ; d’autres difent pendant vingt-quatre
: mais il feroit d’autant plus étonnant que
cette affemblée eût déclaré les rois mineurs juf-
( ' ) Quelques hiftoriens, entre autres M. l’abbé Ve lly , ont dit que
çoijtraire , P r in c ip e s............Clotarium. per civitates regni circumduxerunt
fufceperunt. Il fait prendre à Gontran le titre de Çlomrii nutritor &■
tmmno Clotario datus fu e r a t , que Landericus vicem regis habcbac.
• (Eicon. polit. 6> diplomatique. Tome IN.
Fradégonde fu t déclarée régenté. Aimoin d it , au
, & facramenta ex nomine ipfim a,que G u n r âm .i
regni relier. Il dit que Landericus tuior à Cu n -
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