
D E T D E T
D e t t e s P U B L IQ U E S . Dettes des états ou
des nations. Le même article fe trouve dans
k diélionnaire des finances ; mais l'auteur fe
contente de rapporter les .opinions de quelques
écrivains fur cette matière. Nous traiterons plus
en détail une queftion fi importante, & M.
Smith , dont l’ouvrage eft fi profond, fi lumineux
& fi exaél , nous fervira de guide.
Nous expliquerons à quelle époque de la ci-
vilifation , les princes forment des tréfors ,
& à quelle autre ils forment des dettes ; par
quels moyens s’établit la confiance s lorfque les
États veulent emprunter ; comment les Etats abu*
fent de cette confiance publique ou de ce crédit ;
quelles circonftances déterminent à exiger des hypothèques
ou à n’en pas exiger Nous expofe-
rons la manière dont fe font les emprunts ; nous
donnerons des détails fur la théorie des emprunts
en Angleterre , en France 8c ailleurs,
fur le déficit dans les finances d?Angleterre & la
manière dont on y a pourvu depuis environ un Gè-
c le } nous dirons comment les minières toujours
occupés du moment adluel , .biffent. toujours
à leurs fucceffeurs, le foin de la libération de
l ’Etat ; les diverfes fommes réglées par la nation
angloife , pour le fonds d’amortififement, depuis
la douzième année du règne de la reine. Anne ;
quel a été en Angleterre l ’effet de ce fonds d’a-
mortiffement 5 pourquoi le gouvernement de
France emprunte plus en' rentes viagères que le
gouvernement d’Angleterre ; comment arrivent les
réductions des dettes ou les banqueroutes partielles.
Nous parlerons des progrès de la dette
d’Angleterre & des amoitifiemens opérés par
cette nation ; nous expliquerons comment les
nouvelles dettes ont excedé toutes proportions
avec les amortiffemens 5 nous difçuterons les rai-
fons de tranquillité, qu’on a voulu donner fur
les dettes publiques ; quels font les avantages &
les inconvéniens du crédit puplic & des emprunts,
s’il feroit plus convenable de fournir aux frais
d’une guerre, par desimpôts que par des emprunts;
enfin nous montrerons la funefte influence , des
emprunts , fur l’agriculture 8c I’indultrie, & lè
commerceilesfunettesexpédiens qu’on a employés
pour la libération du total ou d'une partie des
dettes d’un E ta t , & en particulier de l ’altération
des monnoies ; & à la fin de ce morceau nous examinerons
quels moyens l’Angleterre pourroit employer
pour la libération de fes dettes. A ces époques
de la civilifation où le commerce 8c lesmanu-
fadtures ne fournilfent à un propriétaire rien qu’il
prnffe échanger contre le furabondant de fa
confommation, il ne peut rien faire de fon fuper-
flu , que d’en nourrir 8c d’en habiller à-peu-près
autant de monde que faricheffe le lui permet. Alors
une hospitalité fans lu xe, 8c une libéralité, fans
oftentation , occafionnent la principale dépenfe
des'riches & des grands. Mais, c’eft une dépenfe
par laquelle oh n’ell pas d’humeur à fe
ruiner. Il n ^ a peut-être pas de plaifîr fi frivole
, dont l’amour n’ait quelquefois ruiné dçs
gens même qui ne manquoient pas d’efprit. La pàf*
lion pour les combats des coqs en a ruiné plufieurs.
Je peule qu’on trouveroit moins d’exemples de
gens ruinés par l'efpèce d’hofpitalité ou de libéralité
dont je parle. Veut-on fe convaincre de
la difpofirion générale où éroient nos ancêtres
du terris, féodal, à proportionner leurs dépenfes à
leur revenu ? 11 n’y a qu’ à voir combien de tems
ces biens reftoient dans la même famille. Quoique
l’hofpitalité ruftique, exercée alors conf-
tainment par les grands propriétaires , puifle au-
jourd hui nous paroître incompatible avec l’ordre
que nous fommes difpofés à regarder comme
irréparable de l'économie , nous devons néanmoins
reconnoitre qu’ils étoient affez ménagers
pour ne pas dépenfer ordinairement tout leur
revenu. Généralement ils vendoient leur peaux
avec la laine , ou crues , pour de l’argent. Peut-
être dépenfoient ils une partie de cet argent à
acheter le peu d’objets de vanité & de luxe
que les circonftances du tems leur fourniffoient.
Mais ils femblent avoir communément fait un
amas du relie j|j& s’ils n’euffent pas théfaurifé,
qu auroient-iis fait de l'argent qu’il épargnoient >
11 étoit déshonorant pour un gentilhomme de
commercer, & il l’eut été encore d’avantage
de prêter de l’argent à intérêt, puifque cette
fortç de prêt paflbit pour ufure , & étoit défendu
par les loix. D ’ailleurs, dans ces tems de
défordre & de violence , il étoit bon d’avoir
fous la main un tréfor, afin que dans le cas où
l’on feroit chaffé de fa maifon , -l’on eût quelque
choie d’une valeur connue à emporter dans un
lieu de fûreté. La même violence qui mettoit
dans le cas de théfaurifer, portoit à cacher fon
tréfor. Les fréquentes decouvertes de tréfors dont
on ne connoifloit pas le propriétaire, démontrent
affez l’ ufage où l’on étoit alors d’amaffer
& de cacher fon argent. Ces tréfors fans maître
étoient regardés comme une branche importante
du revenu du fouverain. Tous ceux qu’on
trouveroit aujourd’hui dans le royaume, ne
feroient peut-être pas actuellement une partie
confidérable du revenu d’ un gentilhomme à fon
aife.
Cette difpofition à épargner 8c amaffer fe trou-
voit dans le prince comme dans les fujets.
Dans une nation où l’ on ne connoît guère le
commerce 8c les manufactures, le prince elt
dans une ficuation qui le difpofe naturellement
à la parcimonie qu’il faut pour accumuler des
richeffes ; la dépenfe du prince même ne peut
être dirigée par cette vanité qui fe plaît dans
Ja parure 8c le brillant extérieur d’une cour. L’i gnorance
des tems lui offre peu de ces colifichets
dans lefquels cette parure confifle ; il n’a pas
befoin d’armée fur pied; & , comme les autres
grands feigneurs , à peine a-t-il d’autre ’moyen
de dépenfer que celui de donner à fes vafTaux,
& d’exercer l’hofpitalité envers, ceux de fa fuite.
Mais la bonté & l’hofpitalité mènent rarement
à l'extravagance, quoique la vanité y. mène pref-
que toujours. Auffi, tous les anciens fouverains
de l'Europe avoient - ils des tréfors , 8c on dit
qu'à préfent il n’y a point de chef tartare qui
n’en ait un.
Dans un pays commerçant , où tous les ob- j
jets de luxe abondent , le prince , ainfi que
préfque tous les grands propriétaires de fes domaines
, dépenfe en luxe une grande partie de
■ fon revenu. Son pays & lès autres pays lui pré-
fentent en foule ces bagatelles fi difpendieufes
qui compofent l’éclatante, mais vaine pompe
d’une coup. Pour l’amour de ces bagatelles , fes
nobles'renvgyent les penfionnaires de leur fuite,
rendent "Téurs tenanciers indépendans , & , par
degrés, deviennent des gens d’auffi peu de con-
féquence que les riches bourgeois de fes domaines.
Les mêmes pallions frivoles qui influent
fur leur conduite, influent fur la fienne. Comment
fuppofer qu’il puiffe être le fêul homme
riche dans fes domaines, infenfible aux plaifirs
de cette nature ? Si.» contre les apparencesx, il
a la modération de n’acheter de ces plaifirs ,
que ceux qu’il p'eut fe procurer fans beaucoup
affaiblir la puiflfance défenfîve de l’ Etat, au moins
peut-on craindre qn’il n’y dépenfe tout ce qui
lui reliera au-delà de ce qu’il faut pour la fou-
tenir. Sa dépenfe ordinaire eft égale à fon revenu
, & ce fera un grand bonheurTi elle ne J’excède
pas fouvent. 11 ne théfàurifera donc point;
& fi l’Etat à des befoins extraordinaires", 1T feras,
H-éceffairement obligé d’appeller les fujets à fon jj
fecours. Frédéric i l , roi de Pruffe, 8c fon père
Frédéric Guillaume , font les feuls grands princes
de l'Europe qu’on fuppofe avoir amalfé
un tréfor confidérable, depuis la mort d’Henri
IV , roi dë France , en 1610. La parcimonie,
qui fait accumuler, eft devenue prefque auffi rare
dans les gouvernemens républicains, que dans les
monarchiques. Les républiques d’ Italie , les Provinces
Unis des pays-bas, font toutes endettées.
Le canton de Berne eft la feule république en
Europe qui ait beaucoup’amaffé. Les autres républiques
Suilîe ne l’ont pas imité. Le goût pour
quelque forte de magnificence, du moins pour
les fuperbes barimens & autres ornemens publics
enttaïne auffi fouvent l’affemblée du fénat d'une
pente répubiique frugale en apparence que la
cour ûiuipee du plus grand roi.
Le défaut d’économie dans les tems de paix
impofe la néceûité de contrarier des dettes en
tems de guerre. Lorfque la guerre arrive, il n'y
a dans le tréfor que l’argent néceffaîre pour la
depenfe courante. S’il faut trois ou quatre fois
plus de dépenfe pour (défendre l’Etat en tems
de guerre^, il faut trois ou quatre fois plus de
revenu qu’en tems de paix. Su'ppofé que le fou-
veram ait, ce qu’ il a rarement, les moyens d’augmenter
fur le champ fon revenu en proportion
de 1 augmentation de fa dépenfe, le produit des
impôts d’ou dépend l’accroiflement du revenu
ne. peut entrer dans le tréfor que dix ou douze
mois apres qu’ils font établis. Mais au moment
oü la guerre commence, au moment où il pa-
roit qu’elle doit commencer, il faut que l’armée
foit augmentée, les flottes équipées, les villes
de garnifon mifes. en état de défenfe. Il faut ap-
provifionner l’armée , les efeadres, les villes fortifiées
, d’armes , de munîtions & de vivres ;
1. faut trouver de quoi faire fur le champ une
grande depenfe, parce que le danger qui prefle
ne donne pas le tems d’attendre les retours lents
& graduels de nouveaux impôts , & le gou^
vernement n a d autre qèflource que d’emprun-
Le.même Etat commerçant de la fociété, q u i,
par l’opération des caufes morales, conduit ainfi
le -gouvernement à la néceffité d’emprunter
produit dans les fujets le pouvoir fit la volonté
de prêter. Si cet Etat entraîne d ’ordinaire la néceffité
d’emprunter, il amene auffi la,facilité de
le faire.
, Un. pays rempli de marchands & de manufacturiers
a néceflairement beaucoup de gens dont
le capital joint auxcapitauxdeceuxquileur prêtent
de l’argent ou qui leur confient des marchandifes
pâflenc auûi fouvent, & plus fouvent par leurs
mains, que le revenu d’un particulier, fans commerce
& fans affaires, qui vit de fon bien, ne
paflepar les fiennes. C e particulier ne touche1 fou
revenu qu’une fois par an. Mais le montant du
capital & du crédit d’un négociant qui fait un
commerce dont les retours ,1'ont'pronipts, revient
..dans fes mains trois ou quatre fois par an.
On trouve donc dans un pays rempli de marchands
& de manufacturiers , des hommes qui
font toujours en état d’avancer, s ’ils veulent,
de grandes fomrues d’argent au gouvernement. De