
Dans cet état de chofes , «les fouverains des
différées pays de l'Europe tâchèrent de recouvrer
la part qu'ils avoient eue dans la difpôfi-
tion des grands bénéfices de l'églife , en faisant
rendre aux doyens & aux chapitres de chaque'
diocèfe , leur ancien droit d'élire leur évêque ,
& aux moines de chaque abbaye celui d'élire leur
abbé. Le rétabliffement de cet ancienne difpofi-
tion fut l'objetde plufieurs ftatuts faits en Angleterre
dans le cours du quatorzième fiècle , & de la pragmatique
fanétion établie en France dans le quinzième,
Pour que l'éleCtion fût valide, il falloir
k ^ verain. y confentît préalablement, &
q u il agréât enfuite la perfonne élue } & quoi-,
<ju on fuppofât que l'éleCtion étoit parfaitement
libre , il avoit néanmoins pour influer fur le clergé'
de fes domaines , tous les moyens indirects qui
réfultoient de fa fituation. On fit dans d'autres
contrées de l'Europe d’autres réglemens qui-ten-
doient au même but. Mais la puiflance du pape
dans la collation des grands bénéfices ne paroîc
avoir été nulle part auffi efficacement & auffi uni-:
verfellement reftreinte.avant la réformation, qu'elle
1 étoit en France & en Angleterre.Le concordat,qui
fscceda dans le feizième fiècle , donna aux rois
de France le^ droit abfolu de préfentation pouf
tous les bénéfices confiftoriaux & importans de’
l'églife gallicane.
Depuis l'établiflement de la pragmatiqué-fanc-
tion & du concordat , le clergé de France a m.on-j
tré en général moins de refpeCt pour la.courj
pontificale que lê clergé de tout autre pays Catho- j
lique. Dans les difputes du roi de France avec
le pape, il a prefque toujours pris le parti de!
fon fouverain. L'indépendance qu'il a afréCtée à
l'égard dè la cour de Rome femble fondée principalement
fur la pragmatique-fanCtion & le concordat.
Il paroît n'avoir pas été moins dévoué •
à cette cour dans les tems plus anciens de la
monarchie, qu'on ne l'étoit ailleurs. Loffque Rob
e r t , le fécond prince de la race Capétienne,
fut frappé par le faint-fiège de l'excommunication
la plus injufte , fes propres domeftiques jettoient,
dit-on , aux chiens , les viandes qui avoient été
fervies fur fa table, & ne vouloient goûter de
lien de. ce qui avoit été fouillé par l'attouchement
d*une perfonne fous l'anathême. 11 y a lieu
de croire qu'ils n’ en ufoient ainfi , que parce que
le clergé de fon royaume leur apprenoit à le faire.
Rome, qui avoit fouvent ébranlé & quelquefois
renverfé des trônes pour défendre fa prétention
à conférer les grands bénéfices de l'églife,
eut ainfi le chagrin de voir cette prétention limitée
ou modifiée , ou totalement rejettée en
différens pays de l'Europe avant le tems même
de la réformation. Comme , d'un côté , le clergé
avoit moins d’influence fur le peuple, de l ’autr
e , l'Etat en avoit davantage fur k' clergé, qui
par conféquent n'avoit plus ni le même pouvoir
ni la même volonté de troubler l'Etat.
L'autorité de l'églife de Rome étoit à ce poiflt
de décadence , lorfque les difputes qui donnèrent
nailfance à la réformation s'élevèrent en Allemagne
& Ce répandirent bientôt dans toute l'Europe.
Les nouvelles doctrines prirent par-tout
une haute faveur parmi les gens du peuple. Elles
étoient prêchées avec tout le zèle & l'enthou-
fiafme qui animent ordinairement l’efprit de parti,
quand il attaque l'autorité reçue. Quoique les
nouveaux doCteurs ne fuflent peut-être pas plus
favans que les théologiens qui défendoient l ’églife
romaine , ils paroiflent pourtant avoir été plus
verfés dans la conrioiflànce de l'hiftoire ecclé-
fîaftique 3: & dans celle de l'origine & du progrès
de ce fyflême d'opinibrîS qui fervoit de fondement
à l'autorité de cette églife, & c'eft ce
qui leur donnoit quelque avantage dans prefque
toutes les difputes. L'auftérité de leurs moeurs
les accrédita dans le peuple, qui metto.it en op-
pofition la grande régularité de leur conduite
avec la vie déréglée de la plupart'des membres
du clergé, catholique. Us pqfledosent auffi , mieux
que leurs advérfaires, l'art de fe rendre; populaires
& de faire des profélytes , art que les en-
fans de l'églife avoient négligé depuis long-tems
comme leur étant prefque inutile. Quelques-uns
eî^braifèrent les nouvelles doCfrjnes après les avoir
examinées,, plufieurs .à caufe de leur nouveauté ,
un plus grand nombre par njépris & par haine
pour le -clergé} mais';ce qqi .leur attira le plus
dç partifans, ce Fut l'éloquence.pleine' de z è le ,
de paffion & de fanatifme, quoique fouvent grof-
fière, avec laquelle on les annonça prefque partout.
Le fucces qu'elles eurent fut fi grand & fi général,
qu’il donna auX princes q u i, par hafard
fe trouvèrent brduillésravec’ la’ cour de Rome ,
la plus grande facilité qu'ils puflent defirer de
fecouer dans leurs Etats le joug de l’églife, qui,
ayant perdu le refpeCt & la Vénération des rangs
inférieurs du peuple , ne put prefque faire aucune
réfiftance. Là cour de. Rome avoit défobligé quelques
uns des .prinqes du nord dç l’Allemagne,
qu’elle regardoit probablement comme , n’étant
pas d’ une affez grande importance pour qu’elle
fe donnât la peine ,de les ménager* Tous ces princes
établirent la réforme dans leurs domaines. La
tyrannie de Ghriftiern II, & de Troll, archevêque
d’Up fa l, mit Guftave Vafa en état de les chafter
tous deux. Le pape les favorifant l’un & l’autre,
Guftave abolit la religion catholique en Suède.
Ghriftiern II fut dépo.fé depuis. en Danemarck ,
où fa conduite l ’avoit rendu auffi odieux qu’il
l’avoit été en Suède. Le papê continuant de prendre
fon parti, Frédéric de Holftein , qui le rem-
plàçoit fur le t rô n e s 'en Yenge» en imitant Texenapie
de Guftave Vafa. Les magiftrats de Berne &
ce Zurich, qui n’avoient point de querelle particulière
avec le pape, établirent très-facilement
la réforme dans leurs cantons refpeCtifs, où le
clergé venoit de fe fendre odieux & méprifable
par une impofture des plus groffières.
Dans cette crife, la cour pontificale avoit affez
à faire à cultiver l'amitié des puiffans fouverains
de la France & de l'Efpagne, dont le dernier étoit
en même tems empereur d’Allemagne. Pàr leur
fecours elle vint à bout, quoiqu’avec beaucoup de
peine & d’effufion de fang, d'arrêter ou de ral-
lentir confidérablement les progrès de la réforme
dans leurs Etats. Elle étoit difpofée à montrer
de la complaifance au roi d'Angleterre , mais les
circonftances ne lui permettoient pas de le faire,
fans offenfer un fouverain plus grand que lui ,
je veux dire , Charles V , roi d’Efpagne & empereur
d'Allemagne. En conféquençe , 'quoi-
qu'Henri VIH rejettât.la plus grande partie de la
doCtrine des réformateur^, le crédit qu'elle pre-
noit généralement le mit en état de fupprimer
tous les monaftères , & d'abolir l’autorité de l'é-
glife romaine dans fon royaume. Il n'alla pas plus
lo in , mais ceux qui favorifoient la réforme furent
bien-aifes qu'il eût été jufques-là , & lorf-
qu'ils prirent poffeffion du gouvernement fous le
règne de fon fils & fon fucceffeur, ils confom-
mèrent fans difficulté l'ouvrage qu'il avoit commencé.
Dans quelques pays , comme l’Ecoffe , o.ù le
gouvernement étoit foible, antipopulaire & fans
Habilité , la réformation fut affez forte pour ren-
verfer non - feulement l'églife, mais l’Etat, qui
voulôit en être le foutien.
C h e z les partifans de la réforme difperfés dans
tous les pays de l'Europe il n’y avoit point de
tribunal commun & général comme la cour de
Rome-, ou-un concile oecuménique pour terminer
les difputes qui s'élevoiententr’eux, & leur marquer
à tous avec une autorité irréfragable les
limites de l'orthodoxie. Lors donc que ceux d'un
pays, vinrent à penfer autrement que ceux d'un
autrp j comme ils ne pouvoient appeller à un
juge commun , la queftion reftoit indécife, &
il y eut entr'eux plufieurs différends de cette nature.
Ceux qui concernent le gouvernement de
î'églife & le droit de conférer les bénéfices ec-
cléfiaftiques, étoient peut-être lès plus intéreflans
pour le repos & le bon ordre de la fociété civile.
De-là l ’origine des deux principaux partis
des luthériens & des calviniftes, les feuls parmi
les proteftans dont la difcipline & la doctrine
ayent été jamais légalement établies en Europe.
Les luthériens, ainfi que ce qu'on appelle l'églife
anglicane , ont gardé plus ou moins Quelques dif-
pofitions du gouvernement épifcopal > ils ont mis
de la fubordination dans le clergé j ils ont laiffé
au fouverain la nomination de.tous les Evêchés,
& des autres bénéfices confiftoriaux de leurs
états j ce qui les a rendus les véritables chefs
de l'églife } & fans priver les évêques du droit
de nommer aux petits bénéfices de leur diocèfe,
ils ont nomfeulement admis , mais favorifé le
droit de patronage , par rapport à ces mêmes
bénéfices, tant dans le fouverain que dans les autres
feigneurs laïcs. C e fyftême de gouvernement
eccléfiaftique fut favorable dès fon commencement
à la ' paix , au bon ordre & à la foumif-
fion envers le magiftrat civil. Jamais il n'a oc-
cafionné de tumulte ni de trouble dans les endroits
où il a été une fois .établi. L'églife d'Angleterre
s'eft toujours glorifiée avec raifon de
la fidélité inaltérable de fès principes.. Sous un
tel gouvernement, le clergé s’efforce de plaire
au fouverain & à.la grande & à la petite no-
bleffe , dont il attend fon avancement. Les ec-
cîéfiaftiques leur font la cour , à la vérité, quelquefois
par les flatteries & les complaifances les
plus baffes, mais fouvent auffi en cultivant tous les
talens qui méritent le mieux & qui font les
plus propres à leur concilier l’eftim.e des gens
qui ont un rang & de la fortune , par leurs con-
noifiances dans les diverfes chofes utiles & agréables
, par la décence & l'honnêteté de leurs
moeurs, par l'humeur fociable & gaie qu'ils
apportent dans la converfation , & par le mépris
qu'ils profefTent pour les aufterités abfur-
des & hypocrites que les fanatiques ne ceffent
de recommander, & qu'ils, prétendent pratiquer
pour s’attirer la vénération du bas,peuple &
lui faire abhorrer la plus grande partie de ceux
qui lui font fupériëurs & qui fe déclarent les ennemis
de ces pratiques. Cependant, fi un clergé de
ce caraéière eft fait pour obtenir l'eftime & la
bienveillance des rangs plus élevés, il eft à craindre
qu'il ne néglige les moyens de conferver
fon influence & fon autorité fur le peuple. Ses
fupériëurs l’écoutent & le refpeclent 5 mais devant
fes inférieurs , il eft fouvent incapable de
défendre efficacement & jufqu'a la conviction
les doCtrines fages & modérées qu'il enfeigne,
contre le plus ignorant enthhufîafte qui juge à
propos de les attaquer.
Les feCtateurs de Zuingle, o u , pour mieux
dire", de C a lv in , ont donné , au contraire, au
peuple le droit d’élire fon pafteur , & ont établi
en même tems la plus grande égalité dans le
clergé. Il femble que la première de ces inftitu-
tions n'ait produit que défordre & confufîon ,
tant qu'elle a fubfifté dans toute fa force, & qu'elle
tende à Corrompre les moeurs du clergé & du
peuple. L'autre, au contraire , paroît n'avoic
jamais eu que de très-bons effets.
Tant que le peuple de chaque paroiffe a con-
feivé le droit d'élire fon pafteur, il » prefque