
en 1773 » cent quatre bâtimens qui eompofoient
quinze mille fix cents vingt-un tonneaux , & qui
avoient fept mille deux cents foixante-trois matelots.
Cent quatre-vingt-dix mille cent foixante
quintaux , & deux mille huit cents vingt - cinq
barriques d’huile furent la récompenfe de leurs
travaux. Ces deux objets réunis rendirent trois
millions huit cents feize mille cinq cents quatre-
vingt livres.
Mais comment eft- il arrivé qu’ un empire dont
la population eft immenfe , dont les côtes font
très - étendues ; qu’un gouvernement qui a de fi
grands befoins , & pour fes provinces d’Europe,
& pour fes colonies du Nouveau-monde 5 comment
eft-il arrivé que la plus importante de fes
pêcheries ait été réduite à fi peu de chofe ? Des
caufes intérieures , des caufes extérieures ont
amené cet évènëment.
La morue fut long-tems furchargée de droits
à l'entrée du royaume. Sa confommation devoit
de nouvelles taxes. On efpéroit, en 176 4 , que
ces vexations alloient finir. Le confeil fe divifa
malheureufement. Quelques-uns de fes membres
s’opposèrent à la franchife du poiflbn falé , parce
que d’autres membres s’étoient déclarés contre
l ’exportation des eaux-de-vie de cidre & de poiré.
La raifon fe fit entendre. Le fifc confentit, en
1773 , au facrifice de la moitié des impofitions
arrachées jufqu’alors à cette branche d’induftrie ,
& deux ans après, à l’ abandon entier de cette
refîburce peu confidérable.
L e fel eft un article principal, & très-principal
dans la pêche de la morue. Cette produ&ion de
de la m e r .& du foleil étoit montée à urr prix
excelfif en France. En 1768 , en 17 70 , on accorda
pour un an feulement, & en 1774 pour
un tems illimité , aux pêcheurs la liberté de s’en
pourvoir chez l’étranger. Cette facilité leur a été
depuis refufée, mais elle leur fera rendue. Le
miniftère comprendra que , fans une extrême né-
ceflité, fes navigateurs n’emploieront jamais les
fels d’Efpagne & de Portugal, de préférence aux
Tels fort fupérieurs du Poitou & de la Bretagne.
Lorfque la morue verte arrive du nord de l’Amérique
, il refte entre fes différentes couches une
quantité confidérable defel non fondu. L es fermiers
de la couronne abuferent long tems de l’afcendant
qu’ ils avoient pris dans les résolutions publiques,
pour le faire profcrirç comme inutile ou même
comme dangereux. C e n’eft qu’après un fiècle de
follicitations, de démonftrations , qu'il a été permis
de l’employer, avec beaucoup d’avantages ,
dans les pêcheries de morue fèche.
Les voilà donc détruites, là plupart de ces
barrières, qu’une puiflance peu éclairée fur fes in-
gérçts oppofoit çlle -•même à fes profpérités.
Voyons ce qu’il faut penfer de celles qu‘une
odieufe rivalité a élevées
Terre-Neuve eut autrefois deux maîtres. La pacification
d’Utrecht aftura la propriété de cette
ifle à là Grande-Bretagne j & les fujets de la cour
de Verfailles ne confervèrent que le droit d’y
pecher depuis le cap Bonavifte en tournant au
nord, jufqu’à la Pointe - Riche. Mais cette dernière
ligne de démarcation ne fe trouvoit dans
aucune des cartes qui avoient précédé le traité.
Le géographe anglois Herman Moll fut le premier
qui en parla en 17 1 ; , & il la plaça au cap
Raye.
On étoit allez généralement perfuadé qu’il en
devoit être ainfi, lorfqu’en 1764 le miniftère Britannique
, fur la foi d’une lettre de Prior qui avoit
manié l’affaire des limites , & d’une requête pré-
fentée au parlement en 1716 par les pêcheurs
anglois , prétendit que c’étoit par les cinquante
degrés trente minutes de latitude qu’il falloit établir
la Pointe-Riche. Le.confeil de Louis X V déféra
fur le champ à des autorités qu’ il auroit pu
contefter : mais ayant découvert lui-même dans
fes archives une carte manufcrite qui avoit fervi
à la négociation, & qui plaçoit la Pointe-Riche
par les quarante neuf degrés de latitude , fur le
bord & au nord de la baie des Trois-Mes, il de-
manda pour fes titres la même déférence qu’il
avoit eue pour ceux qu’on lui avoit préfentés.
C ’étoit le cri de la raifon & de la juftice. C e pendant
les françois qui osèrent aller dans l’efpace
contefté , effuyèrent la honte & le dommage de
voir leurs bateaux confifqués. Te l étoit l’état des
chofes, lorfque les hofti’îiés ont recommencé
eutre les deux nations.
On parut enfin âflurer aux navigateurs fran-
çoîs la pêche exclufive fur la partie de Terre-
Neuve qu’ils font autorifés à fréquenter. C e droit
ne leur avoit pas été contefté avant 1763. Juf-
| qu’alors les anglois s’étoient bornés à y aller pêcher
le loup - marin durant l’hiver : ils avoient
toujours fini leurs opérations & quitté la contrée
avant le printems. A cette époque, ils commencèrent
à fréquenter les mêmes havres , que leurs
concurrens occupoient feuls auparavant, il falloit
que la cour de Verfailles eût été réduite à l’humiliation
de facrifier les côtes poiffonneufes de
Labrador, de Gafpé, de Saint-Jean, du Cap-
Breton , pour qu’une nation trop fière de fes
triomphes osât former cette nouvelle prétention.
Ses amiraux portèrent même l ’infolence de la vic-
; toire jufqu’à défendre aux pêcheurs françois de
I fuivre la morue le dimanche, fous prétexte que
les pêcheurs anglois s’abftenoient d'en prendre
ce jour-là. Nous fommes autorifés à penfer que
le confeil de Saint-James n’approuvoit pas des en-
treprifes lï vifîblement contraires à i’efprit des
itraités. 11 fe.ntoit.que la réferve mife par la France
à la ceflion de la propriété de Terre-Neuve de-
venoit illufoire,fi fes pêcheurs pouvoient trouver
les lieux abondans en poiflbn occupés par des rivaux
qui , fixés fur les côtes- voifines , arrive-
roient toujours les premiers. Cependant il fe détermina
à foutenir qu’en toute rigueur, la jouif-
fance devoit être commune aux deux peuples. 11
lui auroit fallu plus de force & plus de-courage
qu’il n’ en avoit, pour braver les cris de l’oppofi-
tion & les murmures que fa juftice auroit excités.
Par un article du traité de 1783 le roi de France
a renoncé au droit de pêche qui lui appartenoit
en vertu du traité d’Utiecht depuis le cap Bona-
vifta , jufqu’au cap St.-Jean, fitué par environ
cinquante degrés de latitude nord : on a lîipulé
que la pêche des françois commenceroit au cap
St.-Jean , qu’elle en feroit le tour par le nord , &
que defeendant le long de la côte occidentale de
l’iile de Terre - Neuve, elle auroit pour borne
le cap Raye fituée par quarante-fept degrés cin- :
quante minutes de latitude. C e traité contient
d’autres ftipulations relativement à la pêche.
Voici l’état que donne le voyageur Américain
des marchandifes exportées de la Grande-Breta
'gne & de l’Irlande à Terre-Neuve.
Draps communs , cotons, indiennes, toiles ,
fufils, poudres, balles & pierres à fufil , attirail
de pêche, cuirs travaillés , acier , fe r , bronze ,
cuivre , étain travaillés , pipes , bonneterie ,
chapeaux , chandelles, agrès , merceries , provi
fions de navire, épiceries, huiles,lard & boeuf
fumés, drefehe, liqueurs fortes & vins; ce qui au
prix moyen de trois années, a coûté L. ft. 273,400.
Pour tranfporter les articles ci-defîiis de Londres,
P o o l, Weymouth , Dartmouth , Tyne-
mouth , Topsham , Briftol , Liverpool & de
différentes, parties de l’Irlande à Terre-Neuve ,
& de-là porter le poiflbn & l'huile aux différens
marchés du Portugal, de l’Efpagne & de l’Italie,
y compris la prife & la préparation dudit poiflbn ,
on a employé 380 navires montés chacun de
12 hommes, 2,000 barques montées chacune de
8 hommes : 20,560 hommes.
On n’a point compris dans la lifte ci-deflus des
articles envoyés à Terre-Neuve, le fel , la farine
de froment, celles d’ avoine, d’o rge, les pois ,
les fèves, & c . apportés de Philadelphie &
des autres colonies Américaines, qui, pour n’être
pas immédiatement exportées de la Grande-Bretagne
, n’en augmentoient pas moins le commerce
de fes colonies , dont le profit reflue toujours
fur la mere-patrie.
Marçhandifes exportées de Terre-Neuve.
Trente-mille tonnes morue féche
à L. To............................. L. ft. 300,000
Trois mille tonnes huiles à L. 15. 45,000
L. 34;,000
. * D'après ces tableaux , dit le voyageur Américain
, la balance ne paroît être en faveur de la
Grande-Bretagne que de 71,000 liv. fterlings ;
mais il ne faut pas croire que ce foin là le montant
total des profit du commerce. Les prix ci-
deffus de la morue fèche & de l'huile , offrent
feulement \ cjt qu'elles valent fur les lieux.
Dans les divers lieux où on les envoie, elles
rapportent lé triple au moins, enforte que , dans
la fuppofition la plus modérée , ce commerce
ajoute annuellement aux richeffes de la nation un
profit net de plus d'un demi-million. 8 Les chofes
ont un peu changé depuis la révolution des Etats-
Unis.
Les François poffè'dent fur les eûtes de Terre-
Neuve , les ifles de Saint-Pierre & Miquelon.
Saint-Pierre a .vingt-cinq lieues de circonférence;
un port où trente petits bâtimens trouvent un
afyle fùr ; une rade qui peut contenir une quarantaine
de vaiffeaux , de quelque grandeur qu'ils
foient; des côtes propres à fécher beaucoup de
morue; En 17 7 3 , il y avoit fix cents quatre domiciliés
; & un nombre à-peu-près égal de matelots
y paffèrent l'intervalle d'une pêche à l'autre.
Les deux Miquelons, moins importantes fous
tous les points de v u e , ne comptoient que fix
cents quarante-neuf habitans , & cent vingt-fepe
pêcheurs, étrangers feulement, y demeurèrent pendant
l'hiver.
Les travaux de ces infulaires, joints à ceux de
quatre cents cinquante hommes arrivés d'Europe
fur trente - cinq navires, ne produifirenc que
trente - fix mille fix cens foixante & dix quintaux
de morue, & deux cens cinquante - trois
barriques d'huile, qui furent vendus 805,440 liv.
Cette valeur ajoutée à celle de 1,42.1,61 y Hv-
que rendit la morue verte ptife au grand b ancl
a 3,816,580 liv ., qu'on tira de la morue féchée
fur Pille même de Terre-Neuve , éleva en 1775
la pêche Françoife à la fomme de 6,033,683 liv.
De ces trois produits, il n'y eut que celui de
Saint-Pierre & de Miquelon , qui reçurent les
années fuivantes quelque augmentation.
Ces ifles ne font éloignées que de trois lieues
de la partie méridionale de Terre-Neuve. Par les
traités , la poffeffion des côtes emporte cette
étendue. L’efpace devoit donc être en commun
ou partagé entre les pêcheurs Anglois, dont le
droit étoit le même. La force, qui prend rare-
rement confeil de la jullice , s’appropria tout.
La raifon ou la politique lui infpirèrent à la fin
des fentimens plus modérés ; & en 1776 , elle
confentit à une diftribution égale du canal. C e
changement mit Saint-Pierre & les Miquelons ea
état de pêcher l'année fuivante foixante & dix
[ milis cent quatre quintaux de morue fèche , &