
puiffance intrinfeque formidable par l’ agriculture,
l ’induftrie , le commerce & la navigation , c’ eft
lin plan di&é par la fageffe. Si elle veut reculer
fes frontières, fi elle fonge à des conquêtes lointaines
en Europe , elle formera un fyftême vicieux
, blâmable , dangereux, chimérique. Il en
eft de même des autres puifiances. On ne fauroit
donner ici de règle fixe. La viciffitude des chofes
humaines change à chaque inftant la fcène du
monde; & l ’habile politique doit régler fes me-
fures fur les circonftances.
Syjiême guerrier , fyftême pacifique.
Un Etat peut s’agrandir de deux manières, ou
par les armes , ou par des acquifitions paifibles ;
par conféquent il y a un fyftême guerrier & un
fyftême politique. Lorfqu’ un fouverain règne fur
lin peuple nombreux,. brave , propre a la guerre,
il peut, difent les publiciftes, embraffer \q fyftême
guerrier. Mais il faut voir de quelles nations il eft
environné , & fi la guerre enrichit quelques-uns
des anciens peuples, elle appauvrit, elle rend
miférables les peuples modernes. V~oye^ les articles
G u er r e j P a ix .
L ’hiftoire indique une multitude de célèbres
conquérans, qui ont_rendu leurs fujets victimes
de leur fougue impétueufe. On fait dans quel état
de détreffe Charles X II réduifit la Suède. Voye%
Particle S uède.
Quelques publiciftes ont rapproché Charles X II
de Frédéric IL quifuivit long rems un fyftême guerrier,
mais qui, difent-ils, futl’allier avec la plus Page
politique , remporta vi&oire fur victoire , prit des
v illes , s’empara d’un vafte pays, l’incorpora à fes
Etats, fitfervir ces conquêtes à l’accroiftement de
fa puiffance réelle & relative, fut faire à propos
les plus grands & les plus heureux efforts pour
s’ên conferver la poffeflion , s’ appliqua pendant les
intervalles de la paix, à faire fleurir dans ces pays,
les arts , les fciences .& le commerce , y introduis
fit l’abondance & les relfources 5 Frédéric II a
fans doute agrandi la monarchie pruflienne y mais
fes,peuples en furent-ils plus heureux? & exceptées
les jouiffançes de la gloire ,en fut-il plus tranquille
? Si au lieu d’envahir la Siléfîe , il eut employé
tout fon règne à animer le Brandebourg &
la. Prude , s’il eut mis fa foibleffe fous la garde
des loix du corps germanique au lieu de la mettre
fous la garde de fes canons, fa vie eut été
moins iaborieufe & moins agitée quelquechofe
peut- il dédommager d’ un million d’hommes qu’il
a facrifié dans fes guerres ?
C ’eft lorfqu’ un fouverain n’a point d’armées
nombreufes , lorfque fon penchant ne le porte
point à faire la guerre, ou que le bonheur de
fes peuples en fouffriroit vifiblement, ou enfin
iczique- d'autres confidérations politiques l’empéchent
d’employer la voie des armes, qu’un le voit
fuivre un fyftême pacifique &: ce plan qu’inlpire
la néceffité , que l ’on fuit a regret, eft prefque
toujours difté par la fageffe.
Le premier objet du fyftême pacifique , qui eft
ta confèrvation de l’Etat & la sûreté des peuples,
exige que le fouverain entretienne une ,bonne harmonie
avec toutes les puifiances de l’Europe, &
en général qu'il fe fortifie par des alliances défen-
fives. L ’agrandifiement, d'un autre c ô té , s'opère
par des acquifitions paifibles, par des achats de
terres ou provinces, des héritages & des fuccef-
fions, des alliances de famille, des paéles. de
confraternité , &c. C e pian fuppofe beaucoup
d’habileté ; l ’adreffe doit toujours y fuppléer à la
force , car il ne s’agit pas feulement de conclure
des pactes & des traités, il faut arrêter les plans des
Etats qui ont des vues contraires à nos intérêts.
La négociation devient donc un objet principal
dans ce fyftême ; & le prince qui l’embraffe doit
avoir dans les principales cours des miniftres
éclairés pour y ménager fes intérêts , & l’avertir
de bonne heure des trames qui peuvent fe formel
contre lui.
Syftême des nations commerçantes.
La puiffance d’un Etat ne confifte pas toujours
dans la vafte'etendue de fes provinces, il peut
acquérir des forces immenfes par l’augmentation
de fes richeffes naturelles. Les grands princes
n’ont bien fenti cette vérité , qu’à mefure que
l’Europe a ceffe d’être barbare. Aujourd'hui elle
eft uoiverfellement reconnue 5 & le commerce
ajoutant à la profpérité d’un Etat, des nations ref-
peélables ont pris le titre de commerçantes, &
le fouti.ennent par des efforts continuels. C ’eft ce
qui a donné lieu à un quatrième, fyftême , qu’on
nomme le fyftême des progrès du commerce. Les
circonftances doivent déterminer les vues des nations
à cet égard, & celles qui veulent imiter
plus ou moins l’Angleterre & la Hollande, quoiqu’elles
ne fe trouvent pas dans la même pofition,
fe trompent beaucoup. Quoiqu’il en fo it, la plupart
des peuples cherchent à élever leur commerce
au-defius de celui de leurs voifins 5 & de-là
vient cette rivalité que nous voyons entre les
plus grandes nations de l’Europe. Les plus célèbres
rivales font à cet égard la France & l’Angleterre.
Chacune a des avantages à faire valoir &
des inconvéhiens à furmonter, pour atteindre fon
but ; chacune a fes amis & fes alliés qu’elle fait
faire agir félon fes vues , & leur intérêt mercantile
n’a que trop mis en feu trois parties du monde.
D’autres puifiances , dont le commerce & la navigation
font moins confidérables, cherchent à
l’augmenter par des voies plus douces ; elles pa-
roiiient fur la mer, dans les ports & dans les
villes marchandes avec moins d’éclat ; elles tâchent
de faire des traités de commerce les plus avantargetix
qu’ il leur eft pofiîble , & marchent, pour-
ainfi-dire à leur b u t p a r des fentiers détournés,
ou elles” rencontrent fouvent moins d’obftacles, &
« ’excitent pas les regards des jaloux.
jDe C abaijfement des puijfances trop formidables.
Par l’idée générale que nous avons donne de la
puiffance relative des Etats à l’article Purss an ce ,
il paroît y avoir dans les cabinets de l’Europe un
cinquième fyftême politique , qui a pour objet
l ’abaiffement des puifiances trop formidables, fur-
tout lorfqu’elles lotit nos voifines- li ne s’agit pas
ici de la balance générale, dont nous avons parle
ailleurs, mais d’ une rivalité particulière de,puiffance
réelle. C ’eft ainfi qu’un grand maître de 1 art,
Je cardinal de Richelieu , forma autrefois le plan
d’abaiffer la maifon d’Autriche, dont les princes
pofiedoient les vaftes provinces qu’on comprend
fous le nom colleâ if de pays héréditaires, les
royaumes de Hongrie & de Bohême , une grande _
partie de l’Italie t les Efpagnes , les Pays - Bas ,
tant de riches contrées de l’Amérique, & par-
«ieffus tout la couronne impériale. Il eft aifé de
concevoir la terreur que cette maifon infpiroit à
l ’Europe & fur-tout à la France. François I & fes
fuccefleurs n’en avoient que trop reffenti les fu-
neftes effets ; ainfi rien n’étoit plus naturel, plus
fage & en même tems plus grand que ce deflein ;
& un fyftême raifonnable en lui-même , fuivi avec
confiance & avec habileté, demeure rarement fans/
effet. On ne connoifloit pas alors en France les
principes du commerce, & l’on fe doutoit encore
moins de la puiffance que donnent fes progrès-
C ’eft ce qui fit que le cardinal oublia l’ Angleterre.
S’il reparoiffoit fur la terre, il feroit bien fur-
pris de voir que la maifon d’Autriche n’étoit
pas le plus redoutable adverfaire de fa patrie. Ses
fuccefleurs ont travaillé avec fuccès à l’abaiffement
de l’Angleterre : cette révolution des Etats
unis que le cabinet de Verfailles^ a déterminé, eft
une fuite de fon plan appliquée à l’Angleterre s &
quoiqu’en aient pu dire plufieurs écrivains anglois,
l’empire britannique en perdant treize colonies
de l’Amérique feptentrionale, a perdu une grande
partie de fes forces : fes forces aéhielles font réduites
au commerce, à l’induftrie, au courage &.
à l ’efprit public de fes habitans ; leur efprit public
diminue de jour en jo u r , & la force que
donne la plus heureufe conflitution a befoin,
fur-tout aujourd’hui , d’une force territoriale &
d’une nombreufe population*