
d érable de [fes- d om a in e s l'au tre , de former
une nouvelle milice, & de faire marcher à fon
fecours les .habitans des villes fous le commander
ment de. leurs magiftrats. C e fut pendant les
règnes malheureux des princes de la maifon de
Suabe , que la plupart des villes d'Allemagne reçurent
les premières concédions de leurs privilèges
, & que la fameufe ligue anféatique commença
à devenir formidable.
Il paroît qn’ alors la milice des villes n’étoit pas
inférieure à celle de la campagne , & comme
elle pouvoir s’affembler plus aifément dans les
.cas preftans , les bourgeois eurent fouyent l’avan- ,
tage dans leurs querelles avec les feigneurs voi-
fins. Dans les pays , tels que l’Italie & la Suifte ,
où les fouverains perdirent .leur autorité , foit
parce qu’ils étoient à une trop grande diftance
du liège du gouvernement, foit par quelqu’autre
raifon > les villes devinrent en général indépendantes
& vainquirent toute la nobleiïe de leur
•voifinage , l’obligèrent de -ra.fer fes châteaux dans
la campagne , de vivre paifiblement dans la
•ville comme les autres habitans. C ’eft en abrégé
l’hiftoire de là république de Berné & dé plufieurs
autres villes de la Suifle. Si on excepte Ve.nife,
dont l’hiftoire eft un peu différente I c’eft encore
celle de toutes les républiques confidérables d’Italie
qu’on vit s’élever 8e périr en fi grand nombre
entre la fin du dixième & le commencement du
feizième fièfle*
En France , en Angleterre & ailleurs , où l’autorité
du fouverain , quoique fouvent très-foible „
ne fut jamais détruite entièrement , les villes n’eurent
pas la même facilité; Elles obtinrent cependant
afîez de eonfidération pour que le fouverain
né pût Leur'impofer, fans leur aveu , d’autre taxe
que l’impôt qu’elles tenoient de lui à ferme , &
qui étoit fixé d’une manière invariable. En con-
féquence > elles étoient invitées à envoyer des députés
à l’affembléc des états du roy aume/& à
sy joindre au ‘ clergé & aux barons , • lorfqu’il
s’agifïôit d’accorder au roi un fubfide extraordinaire.
Comme elles étoient plus favorables au ■
pouvoir de la couronne , elles ont été .quelque-!
fois' employées , ce femble , à Contrebalancer
i ’àutorité de la haute noblelfe dans, ces afiem-
blées. De-ià l’origine des repréfehtans . des bourgs.
dans les érats/généraux de toutes les grandes monarchies
de l'Europe.
C ’eft'ainfi que l’ordre & le bon gouvernement,
& avec eux la liberté & la sûreté des individus,
s’établirent dans les ville s, à l’époqùe où ceux
qui tenoient les terres de la campagne, étoient
expofés à toute forte de violences. Les hommes
ainfi opprimés fe contentent de ce qui eft nécef-
faire à leur fubfiftance, parce que s’ils acquéraient
au-delà , ils ne feroient que tenter l’in-
iuftic de leurs opprefteurs. Quand, au contraire,
ils font sûrs de jouir des- fruits de leur induftrie,
elle fe déployé davantage j ils cherchent à rendre
leur condition meilleure & tâchent d’acquérir
non-feulement ce qui eft nécefifaice pour vivre ,
mais ce qu’ il faut pour vivre d’une manière commode
& agréable. De-Ià vient que l’induftrie qui
afpire à quelque chofe de plus que, le fimple né-
cefifaire , s’eft établie dans les villes bien long-
tems avant qu’elle devînt commune parmi les
gens de la campagne. Si un pauvre Cultivateur,
dans le fervage, amaftoit un petit capital, il de-
voit le dérober avec un grand foin à la connoif-
fance de fon maître , qui autrement s’en feroit
emparé, & faifir la première occafion de fe réfugier
dans une ville. La loi avoit alors tant d’indulgence
pour les habitans des villes , & fouhai-
toit fi fort de diminuer l ’autorité des feigneurs fur
ceux de la campagne, que fi le déferteur pou-
voit fe fouftraire une année aux pour fuites de
fon feigneur il étoit libre pour toujours. Ainfi
tous les capitaux qui s’accumulèrent dans les mains
de la partit induftrieufe des habftans de la campagne,
fe réfugièrent dans les villes , comme dans
les feules afyles.où l’on pouvoir en jouir sûrement.
Il eft vrai que les Tiabitans des villes doivent
toujours tenir en dernier refibrt de la campagne
leur fubfiftance, les matières & les inftrumens
qui fervent à leur induftrie $ mais ceux d’une
vf-{ex fituée près des côtes de la mer ou près d’une
rivière navigable , ne font pas réduits à les tirer
de la campagne qui eft dans leur voifinage j ils ont
un champ beaucoup plus vafte : ils peuvent les
faire venir des extrémités du monde., foit par
l’échange du produit manufacturé ,de leur propre
induftrie , foit en faifantle commerce detrarifport
entre des pays éloignés , & en échangeant le produit
d’un pays contre celui de l’autre. De cette
manière , une ville pourroit acquérir des richeflfes
& de la fplendeur , tandis que le pays qui l’avoi-
fine, & tous ceux avec lefquels elle commercera
, demeureroient pauvres & miférables. Quoique
le commerce de ces tems-là fût borné, il y
avoit cependant des pays opulens & induftrieux.
.T e l fut l’empire grec, tant qu’ ilfubfîfta, & .celui
des farrafins, fous le rçègne des Abaffides. Telle
furent .encore l’Egypte , jufqu’à ce qu’elle fut con-
quife par les turcs , quelque partie de la côte de
Barbarie, & toutes les provinces d’Efpagne qui
étoient fous le gouvernement des Maures.
Les villes d’Italie femblent avoir été les premières
de l’Europe qui s’élevèrent par le commerce
à un degré confidérable d’opulence. L ’Italie
fe trouve au centre de la partie du mondé qui
étoit alors civilifée. D ’ailleurs , quoique lesçroi-
fades aient retardé le progrès de la plus grande
partie de l'Europe, par la perte de capitaux &
d’habitans qu’elles occafionnèrent , elles furent
très-favorables à celui de quelques villes d’Italie.
Les grandes armées qui marclioient de toute part
à la conquête de la Terre-Sainte , donnèrent un
encouragement extraordinaire à la marine de V e nde
, de Gènes & de P ife , qui leur fournirent
quelquefois des vaiffeauX pour les tranfporter ,
Sc toujours des vivres. Elles étoient, pour - ainfi-
dire , les commiifaires de ces armées, & la manie
h plus deftruâive qui fe foit jamais emparée des
nations européennes, fut une fource d'opulence
pour ces républiques.
Par l’importation des beaux ouvrages & du
luxe difpendieux des pays plus riches, les habitans
des villes commerçantes nourrirent la^ vanité
des grands propriétaires qui s'emprefsèrent
de donner, pour ces marchandifes étrangères, de
grandes quantités du produit brut de leurs terres :
c ’eft pourquoi nous voyons qu’alors le commerce
de la plus grande partie de l’Europe confiftoic
principalement dans l’échange de ce^ produit
brut contre le produit manufacturé d’un pays
plus civilifé. C ’eft ainfi que la laine d’Angleterre
s’échangeoit pour des vins de France & pour les
fines étoffes de Flandres , comme le bled de la
Pologne s’échange aujourd’hui pour les vins &
les eaux-de-vie de France , & pour les foieries &
les velours de France & d’ Italie.
L e , goût pour les ouvrages qui fortoient des
manufactures portées à une plus grande perfection ,
s’ introduifit de cette manière dans les pays où
l ’on ne faifoit point ces fortes d’ouvrages. Mais
quand ce goût devint fi général , que beaucoup
de monde voulût en avoir , les marchands, pour
épargner les frais du tranfport, tâchèrent d’éta- ’
blir chez eux des manufactures de la même ef-
pèce. De-ià l’origine des manufactures dont le
produit peut fe vendre au lbin , & qui femblent
s'être établies dans les provinces occidentales de
l ’Europe , après la ' chute de l’empire romain.
Il n’y a jamais eu ni pu avoir de grand pays
fans quelque efpèce de manufactures ; & quand
on dit d’une contrée étendue qu’elle n’en a point,
il s’agit toujours de celles qui font plus belles &
plus parfaites, ou qui font propres pour la vente
au loin. Dans tout pays considérable, le vêtement
& les meubles de la. plus grande partie du peuple
font toujours le produit de l’ induftrie nationale.
C ’eft même plus univerfellement le cas des pays
pauvres qu’on dit n’avoir pas de manufactures ,
que celui des pays riches où l’on dit qu’elles
abondent. On trouvera en général dans ceux-ci
beaucoup plus de productions étrangères , pour
le vêtement & l’ameublenaent du bas peuple ,
qu’on n’en trouvera dans les autres.
Ces manufactures, propres pour la vente au
lo in , femblent s’être introduites en différens pays
de deux manières.
Elles l’ont été quelquefois de la manière que
d£con. polie, b’ diplomatique. Tom. IV .
1 je viens de décrire , par l’opération violente, fi
on peut s’exprimer ainfi, des capitaux des marchands
& des entrepreneurs particuliers qui les
ont établies , à l’imitation, de quelques-unes de la
même efpèce , qui exiftoient chez l'étranger. Ces
fortes de manufactures viennent donc du commerce
étranger , & telles paroiflent avoir été
les anciennes manufactures de foieries, de velours
& de brocards, qui s’introduifirent à Ve-
n ife, au commencement du trezième fiècle. Il
femble qu’on doit mettre au même rang celles de
draps fins , qui florifîoient jadis en Flandres , &
qui pafsèrent en Angleterre au commencement
du règne d’Elifabeth. Telles font encore aujourd’hui
les manufactures de Lyon & de Spital-
Fields. Comme elles s’établiffent à l’imitation de
celles qui font chez l’étranger, elle travaillent en
général des matières étrangères. Lorfqtie la manufacture
de Venife étoit noriftante, il n’y avoit
pas un feul mûrier , ni par conféquent un feul
ver à foie dans toute la Lombardie. Les vénitiens
tiroient leurs matières de la Sicile & du Levant : la
manufacture même imitoit celles de l’empire grec.
On n’a commencé à planter des mûriers en Lombardie
qu’au commencement du treizième fiècle, & ce
fut l’effet des encouragemens que donna Louis
Sforce, duc de Milan. Les manufactures de Flandres
employoient fur-tout les laines d’Efpagne &
d’Angleterre. La laine d’Efpagne fut employée
en Angleterre , non dans fes premières manufactures
de laine , mais dans les premières qui s’y
établirent pour la vente au loin. Les étrangers
fourniflent encore aujourd’hui à Lyon plus de la
moitié des foies, & dans les premiers tems ils
les lui fourniffoient toutes ou prefque toutes. II
eft vraifemblable que l’Angleterre ne produira
aucune de celles qu’employe la manufacture de
Spiral - Fields. Comme ces fortes de manufactures
ont pour auteurs des individus , leur fiège eft
quelquefois dans une ville maritime , & quelquefois
dans une ville fituée bien avant dans les
terres. C ’eft l’intérêt, le jugement ou le caprice
des propriétaires qui en décide.
D ’autres. Fois , les manufactures propres pour
la vente au loin , s’élèvent naturellement, & ,
pour-ainfi-dire , d’ elles mêmes, par la perfection
qu’acquièrent graduellement les fabriques nécef-
faires dans les pays les plus pauvres & les plus
barbares. Ces fortes de manufactures employènt
les matières que le pays produit, & il femble
que fouvent elles fe foient d’abord perfectionnées
& raffinées dans l'intérieur des terres , non
pas à une très - grande , mais à une diftance rai-
fonnable des côtes de la mer, & quelquefois
même de toute rivière navigable. L ’intérieur
d’un pays, quand il eft fertile & facile à cultiver
, produit beaucoup plus de vivres qu’il
n’en faut pour la fubfiftance des cultivateurs ,•
Sc fouvent la fortie de cet excédent peut être
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