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» ne ferons que d’ouvrir ici le champ à un plus
*> ample examen. »
Quoique avant le règne de Pierre-le grand il
y eût des corps de marchands qui jouiffoient
de certains privilèges , au moyen defquels ils
étoient au-deffus de l’ordre des payfans, ces privilèges
étoient bien reftreints & bien précaires à
caufe des immenfes monopoles que la couronne
exerçoit, & des moyens qu’ ils fourniffoient aux
grands pour opprimer de toute manière ces communautés
de négocians. Pierre qui s’étoit apperçu
dans fes voyages de l’utilité & même de la nécef-
fîté d ’un tiers-état dans fou empire pour y faire
fleurir le commerce, publia plufîeurs règlemens
dans cette vu e , qui , bien que très-bons en eux-
mêmes , n’ étant pas adaptés à la nature des propriétés
telle qu’elle eft en Rujfie, ne répondirent
qu’imparfaitement au but qu’ il s’étoit propofé. Un
des plus utiles fut celui par lequel il accordoit à
quelques villes libres certains privilèges qu'Elifa-
beth augmenta par la fuite. Mais ils fe bornoient
aux villesdelPétersbourg, de M ofco'w, d’Aftracan,
de T v e r , & à un petit nombre d’autres grandes
villes j & tous les habitans, fans en excepter
les marchands, reftoient dans certains cas , fur le
même pied que les payfans. Ils étoient fournis, par
■ exemple , aux deux principales fujétions qui font
confiaérées comme le caractère indélébile de la
fervitude , ils payoient la capitation , & on les fai-
foit tirer au fort pour l’armée & pour la marine.
L ’impératrice régnante a excepté le corps des
marchands de ces deux odieufes fervitudes, elle
a augmenté le nombre & les immunités des villes
libres , elle a permis à plufîeurs payfans de.Ja
couronne & à tout homme libre de s’ infcrire, fous
certaines conditions ftipulées , dans la claffe des
marchands & des bourgeois.
Les marchands font fous-divifés en trois claffes ;
la première comprend ceux qui ont un capital de
26qo liv. fterlings. La fécondé de ceux qui en ont
iqqo j & la troifième ioo.
Par le 47 article du fameux manifefte de grâce ,
que la Czarine accorda à fes fujets après la éonclu-
fioh delà guerre contre les Turcs en 1775, tous ceux
qui veulent entrer flans quelqu’une de ces claffes
font exemptés de la capitation, à condition de
payer annuellement à la couronne un pour cent
du capital qu’ils emploient dans le commerce. On
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ne recherche pas rigoureufement la valeur de ce I
capital, & il dépend entièrement du marchand de |
déclarer la fomme qu’il eft fuppofé pofféder ; ainfî I
celui qui a plus de 2oco livres fterlings peut s’inf- I
crire dans une claffe inférieure & même dans celle I
des bourgeois, s’il aime mieux payer la capita- I
tion d’ un pour cent de fon capital, & alors il I
ne jouit que des privilèges de ce corps.
C e changement dans la manière de faire contrî* |
buer les marchands , produit de grands avantages I
pour la couronne & pour les fujets. La couronne I
reçoit, &■ le fujet paye fans peine un pour cent I
de fon capital, parce qu’il eft exempt par-là de I
la capitation & admis à de nouveaux privilèges. I
C ’eft d ’ailleurs un impôt jufte en lui- même , parce I
que le marchand paye à proportion de ce qu’il I
polsède. Il croît avec fes profits, & diminue dans I
la même proportion. Relativement aux intérêts I
de l’Etat, c’ eft une combinaifon adroite. Il excite I
l’induftrie. en faifant trouver au marchand fon I
honneur en même temps que fon profit dans I
l’augmentation de fon capital , & il lui donne 1
une nouvelle sûreté contre la crainte des impo- 1
filions arbitraires en engageant la bonne foi du I
gouvernement a protéger fa propriété. Et ce qui I
n’eft pas un avantage public moins effentiel, il 1
crée, en quelque forte , un tiers-état qui , croiffant I
en richeffes, en crédit, deviendra de jour en jour I
plus important & plus indépendant (1 ).
Les bourgeois forment la fécondé claffe de cet- I
ordre. C ’ eft le nom qu’on donne à tous les habi- f
tans des villes libres, quelle que foit leur profeffion, I
qui déclarent avoir un capital au-deffous de I
100 livres fterlings , ou qui poffédant cette fomme, I
ne fe foucient pas de prendre le nom plus ho- I
norable de marchand. Us jouiffent de plufîeurs I
privilèges que n’ont pas les payfans, mais ils font I
au-deflous des marchands , en ce qu’ils payent la I
capitation , & peuvent être enrôlés pour l’armée I
& pour la flotte.
Au-deffous de ces derniers font les autres fujets I
libres de l’empire, comme les efclaves affranchis I
par leurs maîtres, ceux qui ont obtenu leur congé I
de l’armée ou de la flotte, les membres de l’aca- I
démie des arts & d’autres établiffemens fembla3 I
blés , les orphelins de l’hôpital des enfans-trouvés,
J êc enfin les enfans de tous ces hommes libres.
(1) Montefquieu ôbferve qii’il n’y a point de tfersétat en RuJJie, & que les Ruffes font tous nobles ou efclaves. Il eft
relevé fut ce point par M. leCÎerc , qùi prouve qu’il y a certainement, & qu’il y a eu toujours en Ruffte un certain ordre
de perfonnes qui ne font ni libres ni efclaves. Mais Montefquieu qui traitoit la chofe en grand, avoir certainement raifon,
comme M. le Clerc l’a eue en la voyant dans les détail!; ; car, quoique il y eut quelques fujets qui n’écoienr ni nobles ni elcla-
ves, ce nombre étoit bien petit, & quand Montefquieu écrivoit cette claffe ne jouiffoit pas encore des privilèges qui lui ont
été accordés depuis , renforte qu'on ne pouvoir pas dire que. ce fut là un tiers - état dans le feps ou l’on emploie ce mot
{orfqu’on parle des, autres. nations. y , . j f f* -, « • i i . < . .
'Une preuve in ponte fiable de ce qu’on obfetvcici, c’eft que l’impératrice dit* clic même en 1767 > dans fon édit, qu®
«c ordre n’a pas une forme fiable.
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Toutes ces perfonnes ont la permiflîon de s’établir
dans quelque partie de l’empire que ce foit,
d’y exercer le commerce ou des profeflîons, de
I fe faire inferire parmi les bourgeois des villes
i libres, & A elles ont un capital fuffifant, elles
font admifes dans l’ordre des marchands. Par tous
ces règlemens, le nombre des perfonnes libres
I s’accroîtra peu-à-peu, & avec le temps il formera
I un ordre confidérable , fur-tout quand il acquerra
I le droit de pofféder des terres.
Le quatrième ordre des fujets comprend les
K payfans.
Les payfans Ruffes font tous ferfs ou efclaves,
S excepté ceux de Finlande, de Carélie, d’Ukraine
i & quelques autres (1 ) : ils peuvent être divifés en
i payfans de la couronne, & payfans appartenais à
I des particuliers.
Les premiers habitent les domaines de la cou- I ronne, & ils ! forment environ la dixième partie
Id es payfans Ruffes, en y comprenant ceux des
I terres de l’églife qui appartiennent à préfent à
I la couronne. Ils relèvent immédiatement de la
Ijurifdi&ion des officiers impériaux, ou des
I baillis. Quoique ces petits tyrans puiffent leur
1 faire fouffrir beaucoup de vexations, en abufant
1 de leur pouvoir, ils font cependant beaucoup plus
I affurés de leur propriété , & comme ils font fous
S la protection du fouverain, ils peuvent efpérer I d’obtenir plus aifément fon intervention, lorfqu’ils
(font violemment opprimés. Dans plufieurs dif-
! triéts ils ont été affranchis , & on leur a permis
i de fe faire inferire dans la claffe des marchands ou
f bourgeois. Tousces payfans obtiendront peu-à-peu
I de plus grands privilèges, parce que l’efprit d’huma-
! nité & la bonne politique deviennent plus communs
J dans ces pays, & parce que Timperatrice peut
: hafarder de réalifer le généreux^ fyftème de ré-
! pandre plus de liberté & d’égalité entre les fujets
I de fon vafte empire.
I Les payfans qui appartiennent à des particuliers,
font la propriété des poffeffeurs de terres,
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comme leur charrue 8r leurs troupeaux > & la valeur
d’une terre s’eftime comme en Pologne , non
parle nombre d’arpens , mais par celui des payfans
qu’elle contient.
Aucun règlement n’ a peut-être plus contribué à
river les chaînes de ces malheureux efclaves, que
deux loix publiées par Pierre-le-grand. Par l’uné
il établit que le feigneur de la terre répondroit
à la couronne de la capitation de fes ferfs j &
par l’autre il l’oblige à livrer un certain nombre de
recrues. Ainfî le feigneur eft devenu extrêmement
intéreffé à ce qu’aucun de fes payfans ne forte
de fa terre. Cette circonftance a produit une différence
frappante dans le fort du payfan Ruffe
& du payfan Polonois , qui eft en faveur du
dernier, quoiqu’à d’autres égards il foit plus mifé-
rable. Si le payfan Polonois eft opprimé , & qu’il
s’enfuye chez un autre maître, ce dernier n’ eft
fujet' à aucune peine pour l’avoir reçu ; mais en
RuJJie, celui qui reçoit le payfan d ’un autre, eft
condamné à une groffe amende. Le feigneur peut
exiger de fes payfans la fomme qu’il lui plaît,
& les employer comme bon lui femble , fans
qu’aucune loi le gêne à cet égard j il eft le maître
abfolu de leur temps & de leur travail \ il en emploie
quelques - uns à l’agriculture , il en prend
d’autres pour fes domeftiques, & peut-être fans
léur payer de gages. Il y en a dont il exige un tribut
annuel > ainfî chaque ferf eft taxé arbitrairement
par fon maître- Quelques-uns payent quatre à
cinq fchellings par an, d’autres qui font* quelque
trafic ou commerce payent fuivant leur profit réel
ou fuppofé. S’ils gagnent par leur induftrie un
capital, le feigneur peut lefaifir fans qu’ils puiffent
avoir aucun recours contre lu i , car fuivant l’ancienne
loi féodale qui exifte encore i c i , un payfan
ne peut intenter un procès à fon feigneur -, de-là il
arrive quelquefois que des payfans qui auront
amaffé une fomme confidérable , ne peuvent acheter
leur liberté à aucun prix, parce qu’aufli long-
tems qu’ils reftent ferfs, ils peuvent être impunément
volés par leurs maîtres.
A l ’égard de l'autorité qui appartient au fei-
(1) U eft difficile de déterminer le nombre & les privilèges de ces payfans libres : v o ic i ce qu’en d it M. le Clerc.
» Il y a une claffe de fujets na tu re ls , qui ne font n i noblés ni ferfs. On les appelle,o d n o v o r t j i . Ce font des payfans libres
te qui poffèdent dès terres en propre , qui les cultivent eux-mêmes ou les fo n t cultiver par les autres. »
i Bufching parle ainfî de cet ordre d e perfonnes. » Les odnovortji , c ’eft-à-dire , ceux qui ne poffèdent qu’ une maifen , fo n t
a» une efpece de fujets intermédiaires entre les nobles & les ferfs , ils font indépendans de là nobleffe , & perfonae ne dépend»
» d’eux j mais plufîeurs ont acheté p.eu-à-peu des payfans , en empruntant le nom de quelque noble. Sous le règne d ’Anne ,
» un-grand nom b re . d’ eutf’ eux .furent tranf^ortés fur les frontières de P U kt aine , 5c levèrent une milice nationale pour
» fe défendre. Quelques-uns demeurent fur les bords de l’O cca dans le goaveriietuent de Mofcow , mais la plus grande partie
l» eft établie dans les gouvernemens de Bielgorod Ôc de V o ron étz. »
I M. le Clerc ajoute : ».-Il eft encore d ’autres payfans qui ne fourniffent'point à l’ entretien de la Land-Milice , ou des troupes
i» qui gardent.les frontières , & qui payent à la couronne pour redevances annuelles Ôc par tête deux roubles & fo ixan te -
w dix copecs. ils font au nombre de vingt-quatre m ille -n eu f cens quatre-vingt-onze. Outre c e u x - c i, il y en a cinq cens
I » trente-deux mille , n eu f cens quarante h u i t , également libres , qui payent une redevance d ’ un rouble foixante-dix copecs,
** & qui fôurniffent à l’entretien des troupes-, » .
Il dit dans un autre endroit : » Les payfans qui habitent aux environs de l ’Archangel ont des terres en propre , qu’ils
ji» peuvent h ypothéquer, vendre & léguer. Les yamfchiks 1, ou ceux qui font chargés de fournir des chevaux pour la p o l ie ,
! » peuvent être comptés parmi les payfans lib r e s , puifqu’ils font exempts du fe ry ie e militaire ôc de la capitation. »