Toutesfois, très amées Sueurs, je vous fupplyqUc
vous me pardonnes, lî je parle de celle manière plus
avant par avanture que vous ne vauries, ou devriés
oyr j car vérité me contraint à cecy faire, f la gran t
amour que j’ay à vous affin que vous prenies 6c creiés
bon coniëil. Je fçay bien que la matière n’eft pas moult
honnefte à vous oyr, mais tenésvos oreilles chaftes 6c
vollre cueur entier envers Dieu, que point n’ayés mau-
ais efmouvemens 6c périlleux enamne convenacion.oeionu Ljvy auuuiui.,i —*— r - r — --------a;f-l-à--u-l-x- -c--hra rne~l~s pour
me povoit déguerpir là femme pour aucunes chofes A les parolle que je diray. Je requierre en iurplus pardefplaifans,
mefëhief j car jamais ne fe pevent départir ou defpe-
fchier du lien de mariage, lë non par mort5 6c fault
que l’un liieffrc de l’autre toutes les condicions mau-
vaifes qui par avant on ne povoit bien appercevoir :
car aucunes pprfonnes font qui tant en condicions 6c en
meurs , comme en naturelle difpoficion du corps ,
famblent bien ellre doés 6cornés par dehors, 6c bien
fe celent -, qui apperent bien autres par longue 8c pro-
chainne converfacion. Selond la Loy ancienne,”
s’il les trouvoit en elle, 6c leur feuft cecy
parmis 6c ottroyè de Dieu, à ce que ly Juifs n’eufi
fènt caufe de occire leurs femmes, fe pardurablement
leur fàilloit avoir à leur defplaifir : bien cft doneques
réputée celle mifere grande quant elle eftoit ditte oc-
Cafion de murtre. Par quoy appart que l’eftatdc mariage
ell plus caufe de pechier par orgueil, par envye,
par yre, ôc par haine , que l'cflat de vie îolitaire en
virginité ou en chafteté.
Nous trouvons encores que femme mariée ha occu-
pacion 6c follicitudes fans nombre qui l’enpefchent à
Dieu fervir, 6c detourbent fon làuvement : ne fault
il mie que plus fouvent elle enfuye les noces, elle vi-
fite fos voifines gifiins, elle maifmes foit vifitée j 6c
boire à l’appetit 6c voulenté de fon mari, 6c de ceulx
en qui conpaignie elle converfe: ferviennent detraélions
6c parolles mal dittes d’autrui, qui ell fort à oyr fans
peGhier, 6c fort à les non oyr, ou rebouter, fans defplai- B
re à,autrui. L a fe diront parolles deshonnelles, 6c fe
d’aventure par telles ou en telles conpagnies le mari
aparçoit chofe de foupeçon contre fa femme, 6c que
par aucuns lignes , ou ris, ou regars , ou atouche-
mens trop familiers, ou par demeures trop longues,
l’omme lë prent à doubter que fa femme nefourfàce,
ou veuille fourfàire fon mariage , 6c que par ainlÿ
qu’il entre en jaloulîe j certes vêla la povre femme
pardue, tant foit bonne 8c loyale : lors venront tenions
& riotes contre elle, lors ne pourra faire ou dire
cholë à autruy ne faire lice chiere, que le mari ne lë
couroufe à elle , qui fus lÿ ne prenene 6c face prendre
garde , comme on fait fus ung larron, affin qu’il
n’emble.
T u vois doneques que fe la femme ell belle, legie-
rcment fon mari tourne en jaloulîe , qui ell maladie
inconparable à autre : fe la femme ell layde , legiere-
ment il la laiflë, 6c n’en à cure > ainlÿ la femme foit
don aus preudes femmes mariées, fingulierement à ma
très chiere 6ctresamée Mere, fe maintenant ou par
avant je parle de mariage ou des Dames mariées plus
durement , ou mains reverenment 6c honnellement
qu’elles ne vaufiflënt, on feje defeueuvre lesfecresde
mariage trop avant j car j ’afferme en bonne confcicnce
que envis le fais, lë n’elioit la caufe dellùs ditte qui
me contraint ; 6c protelte que des bonnes 6c preudes
femmes qui loyallcment6cchallementfe maintiennent
en mariage comme plufieurs font ces ny je certain, je
n’ay entencion de parler en blafmc ou des honneur aucunement
-, 6c qui bien regarde mon entencion , ce
n’ell point blafmc de dire que fouventesfoys aufly
forte chofe ell à femme mariée fe bien garder challc-
ment jufques à la mort, comme à puccllcs non mariées,
6c autre chofe ne veuil-je prouver prefentement > 6c fon-
deray cecy par trois raifons.
La première raifon à prouver mon entencion , fc
fonde fus la propriété 6c condicion du pechié charnel 1
qui felond motacoulluméfc nomme luxure. Jctreuvc
que luxure 6c aucuns autres vices pareils ont telle condicion,
que point ne s’ellaindent, point ne celîènt,
ou défaillent du tout en la perfonne làinnc, par faire
ou acomplir ce a quoy ils clmeuvcnr > bien peut dire
que par ung peu de temps la perfonne qui aura acom-
pli fon charnel ôc defordonné plaifir, n’aura point fi
forte temptacion, ne fi fort efmouvement à tantoll
racommencier, comme par avant ; mais ne fera pas
que dedens brief, l’aflàultôc les mouvement de lamau-
vaife voulenté ne reuiengne, ne renaiflë, ne fe ralu-
me 6c enflamme trop plus fort, ouauflÿ fort que par
avant : tout ainly que fe aucune perfonne ha fÿevrcs
chaudes, 6c par ce aifl très grand defir de boire eauc
froide j s’elle en b o it , n’c ll pas doubte que par
brief moment fa foif ceflèra 6c fit chaleur y mais
en nom Dieu, allés toll apres, la foif defordonbelle,
foit layde, ell en périls chafcun jour d’ellreen<3née 6c la forte chaleur reviendront plus aigrement
6c plus defatrcnpeement que par avant. Véritablement
haine de fon mari. Femmes non mariées n’ont pas
occafions telles de vifiter par la ville leurs voifines,
ne dellre en conpaignies telles, comme j ’ay par avant
d i t , 6c s’elles y font contraintes aler aucune foy s,
leur ellat n’ell pas de rire où jouer aux autres , mais
Amplement .de lë maintenir.
Il m’ell avis maintenant que je voye 6c oye perfon-
nes plufieurs de divers ellas , par efpecial du peuple,
qui contre moy 6c mes dis s’oppofent en difant, que au
mains femme qui efl en mariage garde mieulx fon corps
6c fon honneur quant à Dieu 6c au monde , que une
pucelle, qui làns marier demourra , 6c point ne leur
femble que ce ne foit grande franchifc pour cfchuer les
mauvaifes temptacions de la char , qui forviennent
nuyt 6c jour, que une femme fejoingne en mariage,
8c ell la caufe plus commune de marier les filles, car
il làmble à plufieurs que lors la fille ne fera point tem- point ne luy fouffit de ce qu’il ha en là puiflànce, &
ptée de luxure, 6c fans des honneur vivra. Mais point Dabondécment en là voulenté 3 mais tou dis quiert &
ainly ell il de la foif 6c de la chaleur efpi-
rituelles de ce vice luxure, que par l’aconplir &
faire ce qu’il requiert , il revient 5c fe rcmflambc
plus mauvaifement. Je regarde que ung fevre pour
alumer plus fort les charbons de là forge gette
aucun peu de chofe froide dedens3 pareillement
l’ennemy d’enfer enhorte à la perfonne qu’elle acon-
pliflë fon delîr 6c qu’elle refroide, affin que plus fort
retourne. Gettez du bois un peu vert dedens le feu,
il s’apetiflera au commencement, mais incontinent
s’ alumera plus habundamment : ainlÿ quant tu coderas
que le feu de la charnalité foit apetiffié, parce
que tu l’auras aconpli, dedens brief s’ardera plus grandement
ou aufly que paravant.
Autre condicion de ce vice charnel ell tele , que
demande de plus en plus nouvel les maniérés de trouver
plaifirs 8c deleélacions defordonnées, comme ung
homme qui ell glous ôc friant n’eft point content
d’avoir du pain 6c de l’eau pour eflaindrc là faim
fia foif, mais demande avecques du vin; quant il aura
du vin, il vaudra avoir de la char de beuf ou de mouton
} puis s’en ennoyera 6c demandera autres chars
plus delicieufes, comme poiflons, ou oyféaux de n
viere 3 puis vaudra ung temps avoir poiflons , P111^
ne leur làmble cholë fàilàble , que fille làns marier
puiflè demoürer fans pechier par luxure , pour aucunes
femmes de Religion 6c d’autre ellat que on treuve
en ce cas fourfàire: mais à laide de nollre Seigneur qui
cil amis ôcdpous des vierges 8c de vierginite, ôc qui
confeille celt ellat fos tous autres, je panfe monllrer
que c'ell aufly poflible ou vrailàmblàble que femme
mariée peutpefehier par luxure, Ôcquemarnsdetem-f
tacions elle n’a pas 'que une vierge à marier.
autres viandes plus effranges de plus en plus , tant nons qu’elle eull enffans batart. En liirplus la femme
plus que on ly donra ce qu il demande : pareillement, mariée peut plus franchement parler aux hommes,
voir plus fort ell temptee une perfonne qui veult 6c cllrc auvecques culx que une non mariée : 6c la
iicompiit fon mauvais defir , 6c fa defordonnée plai- vérité ell que plus ha Ja femme mariée occafion difàncc
charnelle : car. quant une femme fera faôule
de pechier , 6c plus grande cfperancc ou confiance
d’ellre celée , de tant chiet elle plus lcgicre-
d’un homme, elle fera temptée d’un aqtre, ou pour
ce qu’il fera plus b e l , ou plus fort , ou plus apert,
ment en ce pechié , 6c par efpecial s’il avient que
ou briefvemeritpour ce qu’il luy plaira mieulx , tant femme mariee foit ou hollelicré ,, yu
ou tavernierc,
foit lait aucuncfois 6c mal graciculx, 6c pareillement ou marchande , 6c ainlÿ’ d’autres mclliers publiques
des hommes au regart des femmes.
Je me tais des autres temptacions , car ce vice de
luxure aveugle très horriblement la crcateure qui le
veult enfoir ou acomplir , 6c ell comme une belle for-
fonnée 6c làns frain. Doneques il apert que femmes
mariées ne font point hors d’ellre temptées de ce vice
charnel, 6c que elles ont grant painne s’clles veulent
eltre preudes femmes , de refifter ou répugner aus
temptacions de l’ennemy. Et conbien que aucunefois
leur temptacion celle après l’acompliflëment de la
charnalité , neantmains après très briefvement 6c par
avant, elles font temptez comme dit e ll, ôebienfou-
t vent plus aigrement 6c plus mervcilleufcment que s’elles
des miels fera fon mari la 1^ nrril nrcnm..myerfes
euflènt toudis vequ fans operacion charnelle, comme
j ’ay mis exemple de la fievre 6c de gloutenie : encores
y à cy à confiderer ce que dient les Philofophes
6c les Théologiens , 6c je fay très fouvent cfprouvé,
des quels fera fon mari , la cil le péril gregmeur.
Je adjoute à ce , que les non mariées ont plus grant
ayde, 6c mains d’cmpechemens : n’ell point de doubte
, que une femme mariée ne peut fi fouvent
penfer à Dieu , le per faire julhes 6c abllinences comme
la non mariée , pour quoy ? Pour les enpefchc-
mens fans nombre qui forviennent, ou pour les enffans
, ou pour le mary , ou pour la mainie , avenra
que la mariée fera en bonne devocion 8c làns convoi-
tife charnelle , il convendra que à la volenté de fon
mari elle laiflë tout , c’clt aufly trop forte choie
d e ................. . ; 6c trop mal aifiec à de guer
pir.
Vcons pour la tiercé raifon, demener les aventures
diverfes qui viennent en mariage , 6c regardons comment
y convient fouventes fois, que la mariée veuille
ou non , face abllinence de l’operacion charnelc,
c’ell que en plufieurs chofes une perfonne fc tient trop g voir s’elle ne veult trop grandement pechier env
mieulx 8c plus legierement, de en riens faire 6c de
ïaiffier du tout la chofe, qu’elle n’en prent à mode-
reement ou attrenpéement 6c par mefore ; tellement
qu’elle ne excede ou paflë les termes de raifon, quant
elle en veult prendre ou ufer. T u le vois fouvent en
mangier , que avant fouper tu julheroies bien , 6c
fans grant defplaifir ou grevance j fe tu viens à table,
6c on te montre bonnes viendes 6c que tu comman-
ces à mangier , tu auras plus fort à faire de prendre
la viande atrenpeement làns exceder , que fe tu n’en
euflë point mangié : foies couroucié contre ton voi-
fin, tu te tendras mieulx de parler à luy par t’en aler,
ou autrement, que tu ne te contenteras luy dire vil-
lenie ou faire chofe deffenduë en noftre foy , fe tu
commence à luy refporidre : 6c pareillement en plu-
ficurs vices , comme par exemple nous veons que fe
nous femmes fos une montaigne à cheval nous retenons
plus aife le cheval finis point defeendre , que
nous ne feriens par le laiflèr aler 6c defeendre fans
cheoir ou trebuchier.
A brief parler : encores efl plus celle maniéré trouvée
en luxure, car c ’efl: trop fort 6c avient trop peu fouvent,
Dieu 6c fon mari: le mari fera malade ungmoys, ou
deux, ou demi an , la femme fe devra Contenir 6c
vivre làns charnelle conpaignie d'omme, 6c «’elle s’en
peut garder demy an en mariage, pourquoy fans mariage
ne le porra elle faire aufli legiérement, 6c fe
par demi an elles'cn paflë, pourquoy nes’cnpaflëra-
elle aufly aifement par l’autre demi an , 6c ainfy le
tiers, 6c ainfy par le quart, 8c en avant avendra que
le mari fera en fes marchandifes, fera enprifon, fera
en fon labeur, devenra inpotent non puiflànt, par le.
temps deflùs d it , ou plus 3 6c lors luy fera plus grief
avoir default de la conpaignie de fon mari, que s’elle
ne l’eull point acoullumé : 6c tant de temps pourtant
la non mariée doit avoir mains de temptacions,
6c plus aifement les feurmonter, que la mariée. Etfe
les mariées es cas deflùs dis gardent leur mariage, 6c
la foy 6c loyauté à leur mari, pourquoy ne pourra
garder une non mariée famblable foy à Dieu fon
loyal efpous , 6c qui tant bien guerdonne fes amies,
qui purement ôc challement le fervent.
Je me tais de plufieurs temptacions que ont les mariées
anvecques leurs maris, defquelles font délivrez
que la perfonne qui s’y abandonne n’y excede, ôccuide^les pucelles non mariées: car j ’ayme mieulx
dire chofe plus fàilàble legierement s’en tenir du tout,
que en ufer amoderéement fans pechier : 6c comme
en dit vrayement de l’a\ aricieux, que plus ha 6c plus
veult avoir, ainfy le peut dire du luxurieux , 6c ell
famblable à l’omme ydropique que plus boit 6c plus
veult boire, 6c fe g^rit mieulx par iion boire que par
boire : làmblablement la maladie de luxure fe garit
mieulx par s’en tenir conllamment 6c perfeveran-
ment, que par en ufer peu 6c fouvent.
Seconde raifon. Je fonde la féconde raifon à prouver
l’avantage que ha une pucelle ou vierge oultreles
mariées , que point elle ne peche en luxure , parce
que une pucelle non mariée à mains defranchife defe
fourfàire, que une mariée > experience monltre que
verSon£ne 11une des chofes qui plus en-DVoftre e fla t, 6c que ma ditte Sueur annee ne feroit
peiche 6c retrait cuer de bonne femme à meflàirc de
Ion corps, 6c en aucunes ell honte grande 6c fi forte
, que mieulx elles ayment occire leurs propres enf-
ims , les^ quels nature leur enlàigne tant amer , que
eltre notées ou mocquées au monde d’avoir en com-
paignie d omme. Ores ell certain que celle retra-
hence ell plus en pucelle non mariée , que en malices
j car defloubs l’ombre de mariage la femme à
eperance d’ellre, celée eu fon pechié 6c fourfàit, pre-
Tom.IU. Pars!/. r r
prouver mon entencion, que de defeouvrir inhonelle-
ment chofe à celer. Que diront nous des iolhes mariées,
qui ou premier temps de leurs mariages par-
dent leur maris par mort honnefte ou deshonnelle,
celle aventure dolercufe ell avenue à la plus agié de vous,
mes Seurs, de qui n’agueres ell mort le mari, conbien
quel fut moult iofne, 6c bien lànblant avoir bonne complexion
pour longuement vivre: ôc icy je dirayfàmi-
lierement ce que m’avint, quant j ’oy premièrement là
mort, apres ce que je eu prié pour luy, carjel’amoye
bien : incontinent une lieflè efpirituelle me furvint ce
que je n’avoye point autrefois acoullumé à la mort
d’autrui 3, 6c la caufe full, car bien me làmbla que Dieu
difpofoit la befongne laquelle pieça j’avoye panfée for
point feparéede vollre compaignic, mailmement que
autresfbys pieça j’avoye feeu la bonne 6c grande vôlen-
te qu’elle avoit à fervir Dieu, à ellre à l’Elglife plus
volentiers 8c plus plailànment que au monde , ou à
mainnage , ce qui eftoit chofe peü trôuvée en autres
perfonnes femmes mariées, 6c de tel aage : 6c comment
povoit Noftre Seigneur autrement mieulx ordonner les
befoignes pour celle bonne voulenté celle grande devocion
mettre à oeuvre. Et croy 6c tien en bonne foy
G g g 2. quC