efpandus, pour prendre nos âmes comme on prent le
rat au lardon, 8c doit on efehuer faufles fortes, 8c en-
flanmans à male charnalité, 6c viandes trop curieufe-
ment appareillées, 6c trop grand multitude, ou aul-
trement on agufe ou affile le coutel pour plus legiere-
ment nous trenehierla gorge de i’ame, on adouciftle
poifon pour pluftoll 6c fans refus nous enpoifonner,
on doit aufiy fuyr la compagnie glous, quiveullenta-
voir très grande quantité de mes 6c de viandes, 6cveul-
lent très longuement feoir 6c parler a table, ôccontrai-
gner lesaultres à boire d’autant ou à plusmangier que
la fânté ne requiert, 6c plufieurs ont fote honte de le
refufer, les aultres n’ont mie force -vertueufe de y re-
fifter, 6c felailfent couler telement, que ils le trouvent
y vres 6c enflés quant ne s’en donnent garde, ou
quant fe lievent de table, que la langue begoye, 6c le
pié chancelle, 6c le cerveil tourne 6c fedeult. Si donna
lâint x^mbroife une dottrine entre les aultres à lâint
Auguftin, qu’il n’alaft es noces 6c es gransdiners: 6c
àvr^y dire, c ’eft. fort de s’y fçavoir bien maintenir,
que on ne excede, ou que on ne foit noté de Angularité
> 6c fe tu dis que tu ne l’oferoyes refufer a tel, ou
a tel Seigneur, s’il t’en prie, affin quil ne t’en lâche mauvais
gré: refpont faint Jerome, ungmot bien à noter:
Je nefcay comment, dit-il, celuy quitefemont
à diner te reputera moins, quant tu y feras alé , que
le tu le refuloyes conftanment, 6c l’une caufe entre les ”
aultres eft, car c’eft fort que on ne faille en quelconque
petite contenance, foit en parler , Ibit en man-
gier, foit en regarder : 8c nous feavons que les gens
du monde cuident, ou veullent que les perfonnes renommées
de devocion loient comme Angels, 6c qu’il
n’y aift riens à reprendre, meilmement felond leur jugement
, qui n’eft point droit fouvent. Si porras dire a
toy meilmes quant on te appellera a tels mangiers,
avife bien que tu veulx faire, 6c a quel fin tu en ven-
ras le tu eftoies malade corporellement, comme en
fievre ou enydropifie, telement que par leconfeil des
médecins, il te falufift tenir dicte , c’eft à dire faire
abftinence pour venir à lânté , 6c reputeroies que tu
devroies refufer 6c efehuer tels gransdifners; ôediroit-
on encores que tu feroics que faige, 6c qu’autrement
foire feroit grant folie : dy moy doneques fe tu fens
malade plus griefvement en l’ame, par trop boire, ou
tropmangier, ne doit tu mie, par plus forte raifon, 6c
railbnnable exeufâtion foire dicte, 6c fuyr teles occa-
fions : ne doit pas fouffire à celuy qui te femont, s’il
anme toy 6c ta fanté , que ainfi lui refpondes. N ’eft C
pas à oublier, que aucuns efforcent aultrui à boire ou
à mengier par très male entencion , ou pour fçavoir
fon fecret, ou pour congnoiftre mieulx fon deffoult,
6c le grever, 6c moquer, ou pour l'induire à villain-
ne charnalité , ou pour gaigner le lien par gieus de
dés ou foulx marchiés, ou pour efprouver fon inpa-
cience, comme font à la fois aucuns Seigneurs envers
leurs ferviteurs : tels font pis à la fois que ceulx qui
donnet à ung viande laxative, affin que il foit contraint
foire fon ordure en plainne table ; 6c en appert : car à
bien penfer.l’ordure de. pechié eft plus honteufe que
celle du corps: fi eft bon fuyr toute teleoccafion, 6c
meilmement quant au monde, 6c encores plus quant
à Dieu : car aveilra que pour un exces foit en viande
trop chaude , ou trop ardent, ou en vin trop for t ,
la perlbnne cherra en tel pcchié de fon corps que jamais
ne^ l’amendera, comme une pucelle en perdra là
virginité en une maniéré ou aultre , ou ung baillera
tel coup de coutel, ou dira tele injure, qu’il en perdra
tout le lien, ou la. vie.
S’enfuit du quint remede. Voy le mefehief des
povres. Ce que tu defpens par aventure à ung diner
outrageufement, fouffiroit à la refeétion de plufieurs
povres, qui a grant painne ont pain a mangier, 6cfi
font fouvent meillieurs que toy , 8c le gaignent plus
loyalment au labeur de leurs corps, 6c d’iceulx vien-
Spirituel
nent les biens que tu delpens : de l’un un denier de
l’autre une maille, de l’autre plus en difmes ou cens
felond que tes revenues fe paient en efpecial. Se tues
perfonne Ecclefiaftiquc, fi dois bien penfer que tu en
rendras compte, 6c te fera chier vendu , fe'tu ne vis
comme tu dois, de quoy tu dois avoir continuel foii-
L c y , paour, 6c charge : fi dois fouvent penfer à ce ôc
reftraindre ta bouche, pour repaitre celles qui font tant
vüidesôc indigens, à l’exemple -de celle perlbnne qui
avoit de couftume laiffier partie de toutes les viandes
qu’elle mangoit, pour donner à aucun povre, lèlond
ce ainfi que la nef ou le plat des Seigneurs eft pour ce
ordonné.
S’enfuit du fixiéme remede. V o y des glous l’affli-
étion. Aucuns gïous feulent dire, je veuil bien vuire
6c me donner du bon temps , mais ils y foillent trop
clerement -, car pour ung plaifir qu’ils prennent à mangier
8c à boire, 6c à foy remplir, ils demeurent tout
le jour 6c toute la nuit en affiiélion, pelânteurÔcgrief-
veté du chiéf, 6c de tout le corps ; mais les fobres font
au contraire : car pour louftenir ung peu de faim ,
qui le paflè tantoft quant on ha pris fa refeétion louf-
filânt 6c lobre , ils demeurent tout le demourant du
temps liez 6c alegiez , 6c efveilliez , 6c eft merveille
comment apres tant d’cxperience en loy 6c en aultrui,
le glout en ce ne le corrige ; c ’eft bien une bcftiali-
té lbte 6c lâns frain , 6c une fervitüte très dure 6c
vile.
S’enfuit du feptiéme 6c du huitième remede enlân-
ble. Nepersfens, los, biens, temps, pour vile ege-
ftiôn. Cler fins & v if, comme dit le proverbe des
Grecs, 6c le recite St. Jerome, ne peut venir de crajfe
fan f i . Vous vées comment* par trop boira, oh en pert
jugement de raifon, ou^out,ou grant partie, fi chiet
le glout en tout decepcion, en périls de corps 6c d’a-
me, 6c en derifion ; il y pert Ion bon los., quoyque
dient pour -l’eure ceulx pour lefqucls il foit trop ex-
ceffive delpenlè, certes eulx meifmes fouvent s’en moquent
en leur cher, ou s’en rient par darricre} ou reprennent
les deffoulx que ils ont veu, ou es ferviteurs,
ou es viandes mal ordonnées, ou appareillées, 6c dient
que ils euflènt efté plus aifes en leur hoftel; ou font
triftes quant il fout rendre le pareil ; ou fe moquent
des contenences nices de l’oftel, qui s’abandonne à courroux,
a notes, ou à tenions, ou fe tourne en gCnglé-
rie 6c venterie 6c difloluë léeflë. Mais n’eft point dé
doubte qu’ il y pert les biens temporels en diverfes maniérés
: tellement que pour ung diner d’une heure, il
en auroit une cotte pour luy, ou pour ung aultre, que
dureroit ung an ou deux, "de quoy auffiàla fois il devient
mefehant, ou toute fa famille'ou ligniée ; fi eft
tempté demander honteufement, ou de ravir l’autrui
fecrettement, ou publiquement, par diverfes fraudes,
felond ce que l’occafion 6c Ion mal engin offre. Mais .
quelle perte eft-ce du temps , qui eft tant pïecieus;
du temps, par lequel nous povons üveuc Dieu tant
gaignier, 6c befoignier, 6c proffiter à nous, 6c à aultrui
j 6c regardons pour Dieu, qu’elle eft la fin celte
vile egeftion, c’eft à dire liens 8c ordure, qui eft hon-
teulê nés à nommer ou regarder. On ne doit point
avoir grant cure, comme dit St. Jerome , de quelle
viande loit faite une tele ordure. Contre glotonnieoy
la parole de Dieu , prens occupation , vile à la foif
Jhelùs, fuy male occafion, voy le mefehief des po-
l vres, des glous l’affliétion , ne pers fens , les biens
temps , pour vile egeftion. Contre luxure , fuy k
feu, ou le mouille, ,ou oftelebuchier; fuy pour ung
repentir honteux, v il, ort 6c chier, bcftial, eftre ôc
dur , de pis en pis glaflier. Contre pareflë prens labeur
atrenpé, prens variacion, voy quel mal eft langueur,
quel mal dilacion, quel mal eft perdre temps»
perdre lâlvacion, voy le travail des bons, des mauvais
l’aétion. Contre avarice peu louffit à nature, r t a
n’eft allés à vice, riche eft à qui foufift, qui ne fouffit
S 2 0 T) i f cour s de P excellence de la Virginité.
eft nyce ; riche eft frugalité ; tout fouit à avarice.
Joins toy aux mendres, 6c voy des riches la malice.
Contre ire patience.......vaint, vaincue tousjours eft
ire jure, 8c menace , 6c léul lècret eft blafmed’ire
furieùfe eft, 6c l’aide à tous perils elle attire cuerbénins
eft joyeulx ; mais lèlon fe delîire. Contre envie,
t o u t pert envie, amour par tout 6c tout acquiert,
830
de le plus bel, le plus riche, 8c plus loyal des au] trèsj
qui non pas une de vous mes Sueurs, mais toutes vous
pourrait 6c vauroit efpoufer, fe vous ne le refufés, 6c
me feuft monftrée la maniéré de ce Mariage eljpirituel
commcncier, continuer 6c acomplir moult legiere-
ment, 6c lâns périls de ame ou de corps, ce qui m’a-
voit toudis efté le plus fort à trouver 8c confiderer ;
louche 6c foie eft envie, du bien a mort fe fiert pour ^ car a vray dire 6c fans blalme de Religion, jen’avoye
nuy rc aultruy fe nuyt, 6c ou fiel le miel quiert, af-
fés h» Dieu pour tous, tretout à toy n’affiert. Contre
orgueil voy quel monftre eft orgueil, il naift de
de fon contraire , naift de fâ mort, 6c fert à chafcun
vice traire, fuy hautains, 6c enluy ceulx qui font d’umble
affaire Nota fieptem............. fpiritmlia nequiora les
doufe deffenfes generalles, fin mortele 6c fans mort, de
grâce neceffité, les haulx jugemens de Dieu 6c fa bénignité
, la croix, le mal des vices, des virtus la bonté,
previfion de long , 6c clere diforecion , circon-
fpeétion foige, fecrete hortacion , donnent deffenlè
à l’ame encontre temptacion.
Temptacio
Occulta, -Fallax.
Crebra,
Violenta.
pas inclinacion grande que vous fucies miles en Religion
que je cogneufiè , pour caufes plufieurs qui à ce
memouvoyent, mais autre manière de vivre pour vous
moult leure 6c legiere, que je diray. En la fin me
vint des lors en confideracion, 6c depuis continuellement
mes cures ? mes penlees 6c foucys furent pref-
ques toutes paffees, 6c bien me fembla que mieulx ne
pourriés eftre miles ou affignées, 6c que d’aultrcMa-
riage ne vous dévoyé parler , jufques à tant que je
feeuflb voftre voulenté 6c refponfe fuscelycy. Vray
eft que non pas par bouche d’aultruy, mais par moy
maifines, je vouloye celte chofe dire 6cexpofer, pour
ce que je tiens 8c croy que vous prendras mieulx en
gré ce que je vous diroye de bouche, 6c mieulx l’en-
tenderies 6c croiriés , que fe ung aultre qui ne vous
ayme pas tant 6c qui ne a pas tant panfé , 6c qui n’a
myc tant la befongne a cueur le vous difoit : car vous
B devés tenir d’une part que pour riens je rie vous vaur-
roye décevoir, ou quent chofe qui ne vous fuit pour
le mieulx.
D ’aultre part vous devés favoirque je dois par raifon
ailes cognoiftre celle befongne, tant par fcience acqui-
lè , 6c par ce que je y ay fouvent penfé, comme par expériences
diverfes que j ’ay veu au monde trop plus que
vous; 8c carempefchemens me furviennent que je ne
puis fi toll vous veoir. J’ay voulu mettre en efeript
mon entencion fus celle befongne, 6c tout mon avis.
Vray eft très chieras Sueurs, que l’eftat du quel je vous
veuil anmonefter 6c confeiller eft tel, 6c fi noble 6c vertueux,
que à le prendre ne doit eftre femme quelconque
contrainte ; mais doit venir de fa franche vouien-
' té-, ja foit ce que bon confeil y face moult: car voulenté
de créature humaine, en efpecial de femmes jofnes,
Cc ft encline fouvent a ce qui ly eft contraire, 6c a ce qui
finablement ly tourne à mifere 6c defplaifîr. Si doit
regarder par elle 6c par aultruy ce qui eft Amplement
le millieur pour tout le temps de lâ mortelle vie, 8c pour
parvenir a fa finable entencion, qui eft d’eftre fauvée
en gloire ; 6c cecy je monftre par exemple entendible
6c fenfible.
Ung pèlerin veultaler a lâint Jaques, 8c demende
le chemin, on l'y en monftre deux, delquels l’un eft
moult bel 6c plailânt au commencement, plein d’erbes
de floureftes de bois vers, environnés de rivières : l’autre
chemin par le contraire eft fec, plain de pierres a-
gues, 6c demontaignes; mais le premier a dedensfoy
par toutferpens venimeux, 6ccouleuvresmordensca-
D I S C O U R S
de l’excellence de la
V I R G I N I T E .
Tiré du Manufiript de St. Viftor cotte 207. r. to. JMr.
Colbert. <54fj>. Sans nom d'Auteur.
S’enfuit ung petit T r a ité , enhortant à prendre
l ’eftat de V irg in ité plus que de M ariage ;
Salut en Jefus Chrift vrdy efpous de Virginité.
T R e s chieras 6c très amées Sueurs : Je voftre
ailhé, Frere charnel, d’up Pere,6cd’uneMe-
re quant au monde, 6c Frere elpiritudquant
envers Dieu noftre vray Pere, qui en noftrc Merc
Sainte Eglife nous à régénéré par ung Baptefme commun
, 6c en ungs meilmes fbns; vous lignifie 8c tef-
moingne, que fouventes foys 6c de long temps, j ’ay
penfé comment vous qui eltes jolnes filles, ôcenl’aa-
ge de marier, fuciezbien affignées 6c ordonnées en
bon Mariage, ou charnel ou elpirituel, Dieulefcct,
devant qui, 6c à qui j ’en ay foit maintes prieras, affin
qu’il vous inlpiraft, 6c à moy aufiy, quel eftat vous
feroit plus convenable 6c profitable ; 6c car Dieu ne
fouit point au befoing , 6c ne refulè point les prieras chiés, 6c muciés defloubz la verdure; 6c qui point ne
qui luy font foittes a i bonne entencion, 6càfonhon- fe monllrent, fors quant on eft dedens entré, 6c que
neur. Je croy fermement, que tant par vos mérités j ) on ne puet retourner 6c àlaparfin mainne enfoflèzou
font larrons 6c murtriés, qui fouvent eftoient les pèlerins
: par l’autre chemin on parvient a fon terme : n’eft
point de doubte , que quant à la voulenté fenfuele,
qui nefeult regarder que le plaifir, 6c délit appetifîànt
6c prefent, le pèlerin prendrait le premier chemin;
mais, en nom Dieu, raifon corrige, 6c doit corriger celle
voulenté, 6c croire confeil de ceulx qui bien feevent la
nature des deux chemins, 6c mieulx que le pelerin qui
pafîcr y doit.
O r eftainly , très chieras lûers, que ou plerinagé
êc ou trelpas de c’eftbrieve vie, vous povez prendre
deux chemins, l’un eft du mariage elpirituel, l’un eft
grant 6c large , par lequel vont plufieurs femmes
maintenant : l’autre eft élirait, ôc eft de noftrc temps
peu cheminé : en l’un on pert fon noble en precieulx
trefor de virginité, en l’autre on le doit garder; qui l’a ,
6c
6c defertes envers luy, comme pour l’entencion bon-
ne que j'avoie, conbien que en autres chofes je foyc
abhominable pechieur, qu’il m’a monftré quel eftat
vous fera en ce mortel 6c brief pèlerinage du monde,
le plus profitable, 6c à luy plus aggreable : 6c vous
rcquier conjure ôc prie , que amiablement ôc lâige-
ment vous entendez 6c fouvent recordez ce que fus
voftre eftat, je voftre dit frere , trueve 6c ay trouvé
eftre le meilleur, leplusfeur, le plus lâint, 6c le plus
aespefehie pour bien vivra en celle prefente mifere,
oc pour parvenir à celle gloire, pour laquelle avoir nous
fommes fois 6c formés.
Pieça le jour de la fefte du très glorieux Confeflèur,
Monfeigneur Saint Martin, qui eft en y ver, en pen-
ant felond ma couftume, à voftre eftat, me furvint
comme foudainement que ung mary eftoit en ce mon