Dialogue Spirituel 024
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legiere de la recevoir, ou débouter : car à l’oppofite de
l'exemple deflus ditte,avient que une fugefeion famblera
nuyfàble de premier regart, qui attrait à profitable fin.
F R e R e : O r vau fill D ieu, que nous puilfions tous-
jours avoir cette veillant circonfpeélion plainne de
jouter aus deffenfes deflus dittes j car la confideracion
d’ycelles, quelle autre choie elt-ce fors fecrete exhor-
tacion ? En fur plus que vault fouvent tele exhortacion,
quant raifon elt prcfque eflburdée, fufFoquée,
ou endormie par les temptacions, qu’il ne peut à painyeulz,
devant 6c darriere, à dextre 6c à feneftre, hault ^ ne remambrer de foy-mefmes
de.bas, & portans lesclers cierges defiusnommez qui
font fais 6c fournies de la cire de Sainte Efcripture, 6c
des reugles morales, comme par cordons, pour donner
lumière, à fçavoir quant une affeétion qui lèpre-
lente tournera à bien, ou à pechié.veniel, ou à mortel
, felbnd diverfes circonllances de la belbngne 5 6c à
cecy vault, ce nous fàmble, le Traitié que vous nous
envoyâtes jadis, qui parle en brief des dixCommande-
mens, 6c l’autre des temptacions, 6c l’autre qui baillé
reugles à congnoillre la dittinélion des pechiés véniels
6c mortels 3 6c n’ell pas doneques cecy neceflàire à
fçavoir , affin que circonfpeélion ou dilcrecion puif-
fent mieulx prouveoir ou efl le plus grant péril : lâchent
aufli trouver victoire de leurs ennemis, aucunefois par
les fuir , ou non recevoir j aucunefois par en non-
chaloir, s’ils entrent jufques au guichet dû cuer , 6c
puis ho j aucune fois par les débouter hors incontinent ;
aucune fois par les recevoir de certainne fcience pour
S u e r s : Je vous accorde que fecrete exhortation
le funde lus les confiderations devant miles, qui font
comme reugles, ou liens générais à formerefpeciales
raifons,fi applique cxhortacion ail fait,6c à pratique,
ce que par avant ell baillié comme par fpeculative.
Mettons pour exemples : venra une temptacion qui
enclinera fort l’ame à bailler contentement, 6cprefque
s’y enclinera,fecrete exhortation tantoll la confortera 6c
eiveillera, veuilles en loant, veuilles en blafmant, veuilles
en confeillant, 6c mettra vivement du devant puis
la mort, puis Enfer, puis Paradis, puis la grâce de
Dieu, puis fa feverité, puis là benegnité 6c fa croix,
puis le mal que fait pechié contre les biens de vertus,
6c dira, povre ame que veulx tu faire, què panfe tu
devenir, fe tu elloies ou dellroit pas de la mort,ofe-
royes tu cecy faire oupanfer, y vauroyes tu confen-
tir, ta vile charongne querroit-elleungtelvillainplai-
fir : dy moy, ame, quelproffit, mais quel dommage,
les occire vigoreulèment, 6c les làcrifier à Dieu , aflin g honte, travail, 6c painne làns fin te donroitalamort
que les vertus de l’ame ou de l’efprit loit plus efprou- r'“a r“
vée 6c exercitée, combien que l’experience foit très
perilleufe fouvent, qui ne le fait en toute humilité,
6c pour l’eure 6c le temps que l’efprit ell bien armé
de vertueufe confiance , en tele grâce , ou tele qui
louflilê certainnement pour exterminer tels ennemys
dedens fes portes. Exemple de ce : quant la perlonne
fè fent fi refroidée , nette , 6c afloigée par la doulce
6c pure roufée de chafieté , qu’elle ofe bien appeller
panfees d'incontinlè très lubriques, 6c mauplailàns 6c
alechans, pour les aftraindre , ou occire, ou eftran-
gler haftivement, 6c glorieufement dedens loy , par
continence contraire : mais deceu eft 6c fols qui pre-
liimptueulèment fi enbat, 6c làns la conpaigniée de
veillant circonfpeélion, aflin que d’un cofté ou d’aul-
tre ne furvienne pire bataille de foie ventence, ou arrogance,
qui aime l^peril, foui alléguer du Saigc , en
celuy périra. Eccli. m. 2 f .
S u e r s : autrefois de cecy, bien m’en recors, par-
lames anfàmble 5 mais encores ëft circonfpeélion necefte
orde temptacion, fe tu t’y acpordoÿes, queref-
ponderoyes-tu aus ennemys aigrement oppofàns 6c ac-
cufàns à cefte porte ou ÿfîiiè de la mort, 6c ne tefe-
roit pas lors Paradis clos, 6c ouvert Enfer, pour t’y
dedens plungier, ceflè doneques ? Ceflè de toy cy amu-
fer, confentir 6c accorder, prens bon cuer, noble 6c
vaillant, pour refifter 3 attens la grâce noftre Seigneur,
doubte fa feverité, ainme fà bénignité, recours
au figne de la croix , regarde bien ou mainne
vice , 6c qu’aporte vertus , fufeite en toy fàige previ-
fion, de ce qui t’avenroit, prens confèil à difcrecion,
6c avife tout en l’environ par veillant circonfpeélion.
En cette exemple povés apercevoir que vault tele
fecrete exhortacion,’ 6c comment elle fè peut prendre
6c funder : de laquelle chofè pluficurs ont efeript, tant
es oroifbns, comme es meditacions, 6c divines admonitions,
6c de cefte matière efl la fécondé partie du
livre De medicité ejpirituelle , que vous avez. Mais
je viens à ce que vous adjoutés, que raifon à la fois
efl en tel point, 6c fi opprimée par temptacion, que
ceflàire , pour donner l’ordre , quant la perfonne fe C P rcfflue elle voit goûte. Je refpons que de tant plus
porra expofer à aélion s’elle efl perilleufe à exercer, fort, crier par exhortacion, pour l'efveiller, à Iaquel-
r ■- — — _n.— :.i j_ le chofè proffite à la fois mettre comme feroit oyr confeffion, par efpecial de femmes au devant non raye
jofnes, ou prendre correélion de fes fubges, ou faire
aucune oeuvre de grande renommée , car on doit
avant, par circonfpeélion, regarder 6c penlèr toutes
les circonllances , pour fçavoir fe on fe fent fouffifà-
ment armé , pour pouvoir furmonter tout ce qui fè
melle en teles operacions, maintenant luxure, maintenant
ire , maintenant vainne gloire , foit au commencement
, ou moyen , ou la fin, fe on fè fènt in-
difpofe, ou neceffité, ne contraint, on doit lors cef-
fer: mais neceffité qui n’aloyfedoitlorsdutout commettre
à Dieu , 6c en fa confiance , expofer fon in-
perfeétion, puis que le cas neceflàire efl obligant pour
fon office, ou qui pour le lieu 6c temps y efcliiet.
Jeçongnoisbienqueplusau large pourroit eftre defeulement
painne ou louyer de l’autre fiecle, mais du
prefènt 3 car ce qui fè voit 6c fènt prefèntement ef-
meut plus fort. Il appartàplufieurs, ausquels il fum-
ble que jamais ne fè porroient lever à matines demy
nuyt, quant ils ne panfent fois à l’efpirituel, qui le
gierement s’efveillent 6c lievent quant le proffit tem
porel de quatre ou fix fouis y va : fi ay confeillie autrefois
tant par paroles, comme par efeript, que la
perfonne avant la temptacion, quant elle a bon propos
6c horreur de pechié, ordonne aucune painne
temporelle pour aucun temps, par bon avis: notez ce
que je dis, 6c par bon confèil, laquelle elle fbuften-
dra, fe elle enchiet en tele, ou tele temptacion, comme
par exemple donra ung denier pour chafeunefois,
duite la matière de cette deffenfe, 6c aufli celle des pre-Dpour ofter fà mauvaife acouflumance 3 ou fe elle encedentes3
mais en querans tousjours briefveté paflbns.
, nous à tan t , 6c fuions ce premier jour qui desja tent
à baflès vefpres , en parlent de la darrienne deffenfè,
laquelle ha nom fècrette exhortacion , c’efl comme
la capitaine en la bataille efpirituelle, contre les temptacions
qui enhorte l’ame 6c tout fon ot 6c fà puif-
fànce, à vigoureufement 6c fàigement bataillier, par
bonnes 6c vives paroles , comme par efperons ou
aguillons, à l’exemple dé Judas Machabeus , de Ju-
le Cefàr, 6c generallement de tout bon capitaine.
F r e r e : Secrete exhortacion ne fàmblc riens adchiet
en tele oeuvre deffendue, elle jufnera, ou donra
tele chofè pour Dieu, ou veflira la havre, ou ira
tantoll dedens ung jour ou deux à Confeffion. Je dis
que celle painne mifè au devant, par fecrete exhortation
, movera fort 6c retraira l’ame du mal, par tele
maniéré, peu-à-peu, par bonne acouflumance, que
tout fora fait legier : ainfi retrait la nourrice
fànt du lait par aucune amaritude : ainfy eft noftre frail-
le nature fouvent efmeute à bien, 6c retardee du ma.
F r e r e : V ous avésfatisfàit à ce que nous que-
rons, 6c vaurions encores bien oyr tandis que le jour 7 dure,
8 24c Jean Gerjon avec fes Soeurs. 826
dure, j(è fecrete exhortacion proffite en aultremaniedefirons
aufly que vous formilfiés aucunes aultres
teles briefves incitations , apres ce que nous aurons
finie noftre eolloqueion, pour les joindre ou noter
en la fin* car nous fournies peu foubtives à promptement
les trouver.
S u e R s : L ’office de focrete exhortacion efl très
ample 6c grande, 6c ufo prefquc de toute chofeàfon
propos, comme toute chofè fe peut appliquer â ay-
mer vertus, 6c fuyr vices : elle defeent à particulières
raifons, felond les temptacions efpeciales, felond le
lieu, le temps, la perfonne, la fin, 6c aultres circon-
flances, elle met devant les yeulx de l’ame laprefen-
; de Dieu, des Angels, 6c de tous Saints 6c Saintes
qm _
tenra, comment fes ennemys mortels font oü champ
de cefte. bataille , pour la moquer 6c perdre , s’elle
dit ce mauvais mot, je me rens: exhortacion aufli fe
prent garde à la condicion de la temptacion ; car fo
c’eft adverfité, elle enhorte aler à l’encontre vigoreu-
fement, fo c’eft profperité ou chofè de propre excel-
lance, elle confeille vaincre par s’enfuyr , 6c non y
amufer: elle avife quant une temptacion efl amenée
ou apportée par une aultrç comme par la principalle 3
lors elle enhorte fo prendre à la principalle. Comme
par exemple fo luxure vient pour avarice d’argent, eh
le fo prent plus à deflruire avarice que luxure : pareillement
fe avarice vient pbur amener eftat pompeux,
L e premier remede eft noté, en ce qui fo dit, oy la
parole de Dieu. La parole de Dieu de fà condicion 6c nature
donne nouriflbn à Pâme, comme noftre Seigneur
le refpondit à fàthah, qui le temptoit de gloutonnie,
Vomme , dit-il, ne vit mie feulement de pain, mais de la parole
qui vient de la bouche de Dieu. Matt. iv. 4. C ’eft la
fàinte Efcripture,6c généralement toute dottrine enhor-
tant à bien vivre, N ’avons nous mie de plufieurs Saintes
perfbnnes hommes 6c femmes, qui oblioicnt leur
mangier en parlant de noftre Seigneur, telement qu’elles
ne fentoient quelconque fain , Comme nous vcons
que les perfbnnes charnelles qui entendent fort à nourrir
leur corps, oublient de legier â nourrir l’ame,
avient par le contraire que celles qui panfent fort à la
i la regarde, comment elle fo deffendra ou main-^ nourriflbn efpirituelle, ont moins de cure de la
porelle. En confideracion de ce , remede efl ordonné
es Religions, que on life au diner: 6c ce gardent plufieurs
Prelas : fi doubte la perfonne quant fon afne
mange, tourner Dame raifon à plus haultc table de
viande efpirituelle,ou aultrement, quelle hontecfl-ce
veoir la Dame mengier comme befte aveuc fon afnc
de fà viande ?
S’enfuit du fécond remede. Prens occupation,
Perfonne oyfeufe efl comme affenméc , non mie
feulement ou ventre , mais par tout fon corps 3
les oreilles défirent nouvelles., les yeulx regardent ça
6c là çurieufement, la bouche parle fans mefure 6c
mains 6c pies n’ont point de flableté, ne de difciplièlle
prent à confundre orgueil 6c ponpe, toufîours, â B ne ordonnée par tout le corps 5 mais occupation ofte
brief- dire.mem-e nmnw U •fi. celle fain. Nous avons d’un faint Heremite qui eftoit
tempté de mengier des le matin, il difoit à foy-mef-
me, tu attendras jufques à tant que tu ayes dit ton
forvice, puis apres mettoit des palmes tremper, des
quelles il fàifoit panniers, 6c difoit, tu attendras encores
jufques à tant que ces palmes foient trenpées,
6c que tu en ayes fait aucun ouvrage, 6c ainfy par
heures fe contraignoit à jufner jufques à heure deube:
tel remede peut une chafcune perfonne ordonner à
foy, felond fon labeur, 6c fon eftat, 6c vault en efpecial
à ce que on attende heure convenable.
S’enfuit du tiers remede. Vife à la foif Jhefus.
Cefte foif fout en l’abre de la croix, il ot aufly fou-
vent foin éç foif par avant en fà vie, tant en enftànce,
6c çn joneflè , comme en plus grand aage 5 ou de-
fort , 6c aillieurs : fi ne devons mie quérir tousjours
noftre ventre renplir , que nous ne veuillons bien
fouffrir foin 6c fo if, à l’exemple de noftre Seigneur,
qui pour nous fàuver ainfy fouffrit, 6c pour ainfy nous
ferons penitence , 6c porrons venir à bonne acouftü-.
brief dire, s’efforce mettre la eugnye à la racine : finalement
quant exhortacion voit faillir tout humain
engin, force ou cautelle, elle ramentoit, refuit au foui
remede en tel cas, c'eft: à oroifondevote, meflàgiére
de l’ame à Dieu, à fës Saints*6c Saintes, pour requérir
fecoursi
Mes bbhnes Suers, à bien foyés venues, le bon
jour vous foit donné 3 voftre defir pour d’aprendre fe
mon fixe afles, 6c je le dois aconplir felond ma promette,
6c le pouvoir de ma petite fcience, noftre matière
, Ce fçavés efl pour le jour d’uy defeendre à la
deffenfe de l’ame en particulier contre les temptacions
des fept vices : fi tenray cefte maniéré de procéder,
. Car premièrement reciteray en brief aucuns remedes
contre chafcun des fept pechiés mortels, afles pareil^
lement aux remedes que met l’aéleur De la Somme des
vices ^ en apres je noteray les inconveniens, 6c dom-
tnaiges que foit ung chafcun vice, pour, ce que tant
de remèdes font contre euh:, . .....................maulx
çn penfe qu’il aviengne par eulx. En oultre je reciteray
aucunnement les biens d’une chafcune vertus, C mance de legierement jeufner, comme en difànt foupour
les acquérir plus voulentiers, en furmontant temptacions
qui les quierent deflruire, affin que la, fo la confideracion
du dommaige des vices ne fouffit mie à
les fuir, la loange des vertus puiflè à ce noble cuer
efmovoir : fi tenres filence en ce jour, làns rien interro-
guer, mais ourés feulement acaufe briefté jufques à l’autre
jour, ou vous pourrés tout demander ce qu’il vous
venra à double : finalement je mettray aucunes brief-
Ves exhortations, que porra foire l’arae fecretement
en fes temptacions.
F r e r e : ceflç ordre nous plaifl, 6c Vaurions bien
que vous ramenifliés à briefs termes aucuns tels re-
naed.es contre chafcun des fept pechiés mortels , fuft
en rime ou aultrement, en adjoutant aucune déclaravent
à foy mefmes, tu te garderas de mangier tel ou
tel morcei, ou de boire à prefont, en l’onneur de la
foif 6c de la foin que fouffrit noftre Seigneur 3 6c auf-
fy pour monflrer que tu as franchife fus ta bouche,
6c que tu n’es point ferf de gloutonnie , 6c n’efl ce
mie honte que pour ung tel ou tel morcei , tu ne
puiflè ufor de franche voulentè, 6c que raifon ne foit
maiftreflè3 tu n’en goutteras ja, 6c ne feufl que pour
garder l’auélorité de raifon, 6c en defpit de c’eflc vile
charongne qui la veult furmonter , 6c maugré
tous les ennemis qui l’enhortent a tels defirs.
S’enfuit le quart remede. Fuy male occafion 3 combien
que ce remede foit general contre tous vices r 6c en
efpecial contre les charnels, 6c ceulx qui enclinent à 1 9 R a v o ir plus legierement enmemoire, écpdeleélacionjwr qui amme le peril, dit fe Saige, il fera
perdus , Eccli. m. i f . Neantmoins nous apouvie
les portes de l’ame à chafcun aultre vice, quant
c e s y enbat, 6c abat le corps telement, qu’il ne peut
ou ne veult à raifon obéir. ^
b u ERS nouspovons conprendre les remedes en-
Dniîie, foubz cefte briefve forme de par--
I r 'Co ytT ula Xp artie de jDu/ijecuu :: ppirceiniôs uoçycupacion : vîfè i
a 01 Jhefus : fuy maje occafion : voy le mefohief
s povres ; des glous l’ajffiliélion: ne pers fens, corps,
ns 5 temps, pour vile eeeftion.
portions ce remede contre gloutonnie, par l’exemple
que nous veons es oyfeaux, qui diligenment avi-
font la viande ou le grain avant qu’ils y touchent,
affin qu’ils ne foient prins aus las, ou aus trébuches :
fi doit eftre perfonne raifonnable plusententive qu’en
fà viande, elle ne foit prife aux las de l’ennemy, par
encourir pechie, ou occafion certainne de péché, car
en tout ce que nous mangons 6c buvons font las
F f f 3 êfpandus,‘